Crime et châtiment
Tu ne tueras point
"Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé". Albert Camus
Le premier criminel de l'histoire de l'humanité, Caïn, porte en lui son propre châtiment : la culpabilité. Celle-ci est autant le fruit de son remords que celui du jugement implacable de Dieu dont le sixième commandement ordonne "tu ne tueras point".
Caïn est un fratricide. Il ouvre le ban de crimes et meurtres de toutes espèces, parricide, infanticide, régicide, génocide. Car le mal, introduit dans l'Eden par ses parents, est en chaque homme.
Eternel puni et fugitif, Caïn pose, au-delà de la question de la culpabilité, celle de la punition. Dieu ne lui ôte pas la vie. Au commandement de Dieu et à la grâce qu'il accorde au fils d'Adam, les hommes répondent cependant par la peine capitale.
1791 : la mort égalitaire
Avec les Lumières, la peine de mort est âprement discutée. Les arguments abolitionnistes de Cesare Beccaria sont repris, en France, en 1791, devant l'Assemblée Constituante. En mai et juin 1791, Le Peletier de Saint-Fargeau plaide pour son abolition mais, si les tortures sont interdites, la peine de mort est maintenue.
En mars 1792, il est décidé que les exécutions se feront par décollation et que la guillotine, jugée plus sûre et moins cruelle pour le condamné, sera l'outil du supplice.
1793 : Le Peletier de Saint-Fargeau
Le 20 janvier 1793, et après avoir hésité, Le Peletier vote la mort du roi Louis XVI. Il est assassiné le soir même et devient "le premier martyr de la Révolution".
La Terreur règne en France et les exécutions font rage. Leur nombre, la violence du supplice qui sépare la tête (conserve-t-elle sa conscience ?) du corps (conserve-t-il une capacité d'action ?), fascinent les artistes. Alexandre Dumas raconte ainsi, "J'ai vu des criminels décapités par le bourreau se lever sans tête du siège où ils étaient assis, et s'en aller en trébuchant, tomber à dix pas de là".
1793 : l'assassinat de Marat
En pleine Terreur, le 13 juillet 1793, Charlotte Corday poignarde le Conventionnel, l'Ami du peuple, Marat. Martyr de la Révolution, sa mort est mise en scène par David qui invente un modèle neuf et révolutionnaire tout en puisant dans les codes religieux.
La personnalité de Charlotte Corday passionne également : fourbe criminelle pour les Révolutionnaires, elle est une nouvelle Jeanne d'Arc pour les royalistes, ou une femme tenaillée par l'influence de ses humeurs.
Au XXe siècle, son mythe perdure et elle est la créature qui menace et tue l'homme, qui renverse les rôles de martyr et de bourreau.
1817 : l'affaire Fualdès
Avec les dessins qu'il réalise autour de l'assassinat de Fualdès (un ancien député de l'Aveyron sordidement égorgé à Rodez le 19 mars 1817), Géricault tente de hisser un fait divers à l'échelle de l'Histoire.
Le crime, la victime, les assassins lui semblent, un temps, relever de l'épique. L'attrait pour l'expression des noires passions humaines n'aboutit cependant pas à un tableau de Salon. Le peintre réalise qu'il n'invente pas mieux que les illustrateurs de presse qui couvrent l'affaire et qu'il n'y a aucune grandeur dans cette ignoble exécution.
Figures du crime romantique
La période romantique s'attache aux brigands, aux sorcières, aux femmes fatales qui incarnent soit une forme de société en dehors de la société, régie par des codes particuliers (honneur, vengeance...), soit des passions irrationnelles et incontrôlables.
L'Espagnol Goya, qui vit la sanglante occupation de son pays par les troupes impériales françaises livre, dans ses tableaux et ses gravures, les différentes dimensions de ces figures.
Le caractère à la fois picaresque et apologique des aventures de Frère Pedro, verse dans l'horreur et le sublime avec ses scènes de brigands. Ses gravures Les Caprices et Les Essais et leurs cortèges de sorcières et de visions maléfiques alimentent, de Redon à Kubin en passant par Schwabe et Klinger, toute une noire vision de l'art.
Le visage du criminel
Giuseppe Fieschi a été exécuté en 1836 pour tentative de régicide sur Louis-Philippe. Sa tête a été peinte et moulée selon un usage documentaire qui sévit dans toute l'Europe. Les experts en phrénologie et en physiognomonie, disciples de Gall et de Lavater, l'ont étudiée recherchant dans la forme de son crâne et dans les traits de son visage, les signes de sa pulsion criminelle.
Soucieux de distinguer les criminels des fous (non responsables de leurs actes), le docteur Georget a demandé à Géricault de faire le portrait de fous mono-maniaques. Le peintre en saisit toute l'ambiguïté. Leur humanité est terriblement présente mais leurs regards, fuyants, refusent tout échange.
1880-1920 : canards et apaches
L'apparition de la presse à grand tirage, dont Le petit Journal lancé en 1866 est l'exemple le plus fameux, confère une audience considérable à tous les crimes et faits divers qui étaient jusque-là évoqués dans de minces feuilles colportées à travers la France. Flattant les passions les plus basses de ses lecteurs, à coups de récits et d'illustrations spectaculaires cette presse diffuse, comme l'écrit Balzac, "des romans autrement mieux faits que ceux de Walter Scott, qui se dénouent terriblement, avec du vrai sang et non avec de l'encre". Elle est à la fois dénoncée et justifiée.
Lorsqu'il crée Détective, en 1928, Joseph Kessel déclare : "Le crime existe, c'est une réalité, et pour s'en défendre, l'information vaut mieux que le silence". Les codes de ces revues, qui allient dans les récits et les images, suspens, drame, précision, cruauté, perversité, érotisme latent... contaminent les récits des écrivains, de leurs illustrateurs comme Rops, et d'artistes comme Klinger.
Les journaux illustrés servent également à dénoncer, avec Daumier ou Steinlen, le grand drame de ces pauvres gens broyés par un monde impitoyable.
Les gens de justice
A Daumier également le rôle de présenter le monde de la justice. Avocats imbus d'eux-mêmes, juges réfractaires à toute compassion ("Sous la patte de velours du juge, on sent les ongles du bourreau" écrit Victor Hugo), victimes et/ou accusés perdus, la vision du caricaturiste est cinglante.
Le panoptique / le bagne
C'est pour en finir avec les sombres cachots où croupissaient les condamnés à un état bestial ou foetal représentés par Goya et Redon, que Jeremy Bentham invente le panoptique. Un système architectural fondé sur l'utopie selon laquelle, d'un point central chaque homme est soumis au regard permanent, à la surveillance, d'un seul autre. Cette invention qui semble un progrès offre également la perspective d'un monde où toutes les actions sont contrôlées.
A partir de 1827, le modèle de Bentham est mis en place en France sans pour cela remplacer les prisons, comme Sainte-Pélagie réservée aux femmes dans laquelle Steinlen effectue un reportage dessiné et où s'entassent 5 à 10 prisonnières par cellules.
La peine de mort
Les textes, les discours et les dessins de Victor Hugo offrent sans doute les plaidoyers les plus forts et les plus passionnels que le XIXe siècle a produits contre la peine de mort.
Régie selon un rituel qu'un artiste comme Emile Friant restitue avec curiosité et force détails, ou que d'autres, comme Toulouse-Lautrec ou Félix Vallotton synthétisent avec effroi, l'exécution capitale s'impose dans le débat artistique jusqu'à Warhol qui, ne montrant que la chaise électrique, sans bourreau, sans condamné, résume la sourde horreur de toute exécution.
Le crime et la science
A l'âge du positivisme, la science s'empare des criminels avec la certitude que le crime peut s'expliquer, le criminel se deviner.
Benedict-Augustin Morel établit la théorie de la dégénérescence qui remet en cause celle du libre arbitre. Cette théorie sous-tend Physionomies de criminels et La petite danseuse de 14 ans de Degas. Les jeunes garçons, comme Abadie, Knobloch et Krial, au procès desquels l'artiste assiste en 1880, élevés dans des milieux populaires et ouvriers de Paris deviennent des assassins. Le petit rat de l'Opéra, aux origines similaires, est une prostituée.
Se pose alors la question de la responsabilité du mal. Punir ou soigner ?
Alphonse Bertillon pose les bases de l'identification judiciaire. Il s'agit de repérer les récidivistes grâce aux photographies de face et de profil, de relever les caractéristiques invariables (couleur de l'iris, tatouages...) puis de classer ces données, non plus selon un ordre alphabétique, mais selon celui de mesures physiques. L'identité corporelle prend le pas sur l'identité de l'âme.
Artistes, fous et criminels
Cesare Lombroso, dans Génie et folie, publié en 1877, signale "la ressemblance de l'inspiration avec l'accès épileptique".
C'est ainsi que Patricia Cornwell a voulu faire de Walter Sickert, qui a peint à plusieurs reprises des prostituées dans leur chambre du quartier de Camden Town à Londres, le terrible meurtrier Jack the Ripper.
L'assassin et l'artiste répondent à des aspirations qui échappent aux communs des mortels.
Cadavres exquis
Avec d'autres modèles, d'autres moyens, le surréalisme montre la même fascination pour le crime et pour le criminel que le romantisme. Violette Nozières et les soeurs Papin sont des héroïnes, les cadavres sont exquis, les corps sont disloqués, égorgés, décapités...
Tout ce qui relève de l'ordre est rejeté et André Breton déclare : "L'acte surréaliste le plus simple consiste à descendre dans la rue, revolvers aux poings, et à tirer tant qu'on peut au hasard dans la foule".