- Anaïs Alchus, conservatrice Arts décoratifs
Haute de 65 cm et pesant environ 16 kg, la coupe Hope est constituée de quatre blocs de jaspe – le vaisseau étant supporté par trois blocs superposés – taillé, poli et gravé, ainsi que d’une monture foisonnante où se détachent diverses figures en ronde-bosse ainsi qu’un décor végétal luxuriant en or repoussé et émaillé.
Représenté chevauchant Pégase, Persée, muni de la tête de Méduse qu’il vient de décapiter, menace de sa lance le dragon, qui, agrippé sur le côté de la coupe, jette ses dernières forces dans l’action. Andromède, enchaînée à son rocher au niveau du nœud de la coupe, attend d’être délivrée, tandis que six néréides tournoient à ses pieds, rappelant l’origine de la tragédie : la reine Cassiopée, sa mère, avait courroucé Poséidon en comparant la beauté de sa fille à celle des Néréides. Dans sa colère, le dieu des mers avait envoyé un monstre marin dévorant hommes et bétail, que seule la mort de la princesse pouvait désormais arrêter. Le bec de la coupe est couvert d’un cartouche en or émaillé orné en son centre d’un camée en jaspe figurant la tête de Méduse, dont la chevelure de serpents, en or émaillé, s’entrelace dans la pierre. Sur le bord de la coupe sont assis deux génies qui portent des globes au naturel fendus évoquant les armes du commanditaire, Henry Thomas Hope. Un rappel de l’épisode au cours duquel Persée trancha la tête de Méduse fait par ailleurs pendant à la figure d’Andromède, au revers de celle-ci sur le nœud de la coupe, et donne une nouvelle occasion à l’orfèvre de présenter des émaux aux dégradés de couleurs saisissants.
Jean-Valentin Morel est l’un des bijoutiers les plus reconnus de la génération romantique. Initié par son père, lapidaire, à la taille des pierres dures, puis à l’orfèvrerie par Adrien Vachette, réputé pour ses boîtes et tabatières ayant conservé les techniques du XVIIIe siècle, Jean-Valentin Morel fut d’abord chef d’atelier chez Fossin, puis il s’associa avec Charles-Edmond Duponchel (1794-1868). Leur production, raffinée et d’une qualité technique irréprochable, les fit connaître lors des différentes expositions des produits de l’industrie - Morel remporta une médaille d’or en 1844. Ayant rompu avec Duponchel en 1848, il s’installa à Londres et s’entoura d’excellents collaborateurs comme Constant Sévin, Henri Fourdinois, ou encore l’émailleur Lefournier. Après son triomphe en 1851 à l’Exposition universelle de Londres, il rentra en France et s’installa à Sèvres, où il exécuta la coupe Hope.
La composition de la coupe revient à Constant Sévin. Une aquarelle datée de 1854, dont il est probablement l’auteur, est conservée dans les collections Chaumet et permet d’apprécier quelques différences entre le projet et la pièce achevée, au niveau de la base d’orfèvrerie. La « sculpture » de la coupe, c’est-à-dire a priori le modèle du décor émaillé, est dû à Alexandre Schoenewerk, sans doute aidé du sculpteur ornemaniste Willms. La ciselure a été confiée à Dalbergue, ciseleur réputé formé dans les ateliers de Vechte, et les émaux à un certain Richard de la manufacture de Sèvres. Enfin, le camée figurant la tête de Méduse a été exécuté par Jean-Baptiste Salmson, graveur en pierres fines et père du sculpteur Jules Salmson. Cette œuvre est donc issue de la collaboration d’un nombre important d’artistes excellents dans leur domaine, sous la direction de Morel, dont il faut souligner la qualité d’ouvrier-fabricant, à une période où cela n’était plus le cas de tous orfèvres.
La coupe a été commandée par Henry Thomas Hope (1808-1862) quelques années avant l’exposition parisienne de 1855, sans doute dans le sillage de l’Exposition universelle de Londres, où les travaux de Morel avaient été très remarqués, plusieurs étant acquis par le Museum of ornamental art et par des amateurs anglais. Membre d’une riche famille de banquiers, Henry Thomas Hope se passionna pour les arts et rassembla une collection exceptionnelle. Il fut également membre de l'Art Union of London et de la Royal Botanic Society, et fut l’un des organisateurs de l'Exposition universelle de 1851, en tant que membre du jury de la 23e classe (joaillerie), ce qui explique en grande partie sa commande auprès de Morel.
En 1855, la coupe Hope apparaît comme un sommet de l’art lapidaire et le point d’orgue de la carrière de Jean-Valentin Morel, qui obtient la grande médaille d’honneur : « Tout le monde a vu à Paris, pendant l’exposition universelle de 1855, la magnifique coupe en jaspe oriental faite pour M. Hope de Londres […] » rappelle Dussieux en 1876, « toutes ces figures et les plantes sont en or repoussé et émaillé, à la façon du XVIe siècle. La coupe est tirée d'un bloc de jaspe qui pesait quatre-vingt livres ; c'est la plus grosse pièce de jaspe oriental que l'on connaisse ; sa taille a demandé trois ans de travail et l'invention de nombreux procédés » (p.306).
Inspiré des gemmes de la Couronne et d’autres collections de pierres dures montées des XVIe et XVIIe siècles, ce chef-d’œuvre de l’art lapidaire du XIXe siècle associe la monumentalité et la robustesse d’une coupe en jaspe à la finesse d’une monture en or émaillé fourmillant de détails avec un sens de la dramaturgie exceptionnel. Elle représente un enrichissement capital les collections du musée d’Orsay, et figure désormais parmi les chefs-d’œuvre de la collection, au même titre que la toilette de la duchesse de Parme de Froment-Meurice ou le médaillier de Diehl.
Coupe Hope de Jean-Valentin Morel
- 1855
- H. 65,5 ; L. 50 ; P. 22 cm
- Jaspe sanguin, base en argent doré, reste de la monture en or repoussé et émaillé, émail opaque et translucide
- Poinçon : maître, Jean-Valentin Morel
- Signature sur la base en jaspe : MOREL/1855