Comme Louis Janmot, artiste auquel le musée consacre une exposition cet automne, vous pratiquez le dessin. Pourquoi avez-vous choisi ce médium ?
Mélanie Delattre-Vogt - J’ai beaucoup dessiné quand j’étais enfant. C’était une solution de repli, une cachette, pour pouvoir m’exprimer dans un coin, tranquille. Après, en grandissant, on délaisse un peu le dessin. Il y a toujours un passage difficile à l’adolescence, entre le dessin qu’on fait enfant de manière assez inconsciente et ce que l’on réalise plus tard avec la prise de conscience du manque de capacités techniques, la déception. Mais j’ai poursuivi le dessin malgré tout. Je voulais faire des arts plastiques, ce que j’ai réalisé à l’université. J’avais envie de m’essayer à tout, j’ai fait de la photographie argentique, de la gravure, de la peinture, des installations, des performances avec de la vidéo… J’ai touché à tous les médiums parce que j’avais un besoin de m’exprimer et peu importait alors la technique utilisée. Je dessinais en même temps, et un professeur, quelqu’un qui compte beaucoup pour moi, a vu ce que je réalisais à cette époque-là et m’a conseillé de me concentrer sur le dessin et de le pratiquer pour voir les formes que cela pourrait prendre. Je l’ai écouté et je me suis détachée de toutes les autres possibilités de création. Je n’ai plus fait que dessiner, toute la nuit, très peu dans la journée, et en même temps, je continuais la musique au conservatoire. Je composais beaucoup au piano, de manière improvisée. J’étais alors tiraillée entre la musique et les arts plastiques. Le fait de dessiner de manière assez obstinée a abouti à une production assez large, et le professeur en question a eu l’idée de me présenter à Frédéric Pajak, dessinateur et écrivain, qui dirige la revue Les Cahiers dessinés, et c’est ainsi que mes réalisations ont été publiés pour la première fois en 2006. C’était la première affirmation d’un travail en train de naître et de se développer à toute vitesse. Ce qui me plaisait dans le dessin, c’était le côté immédiat. Contrairement à tout ce à quoi j’avais pu toucher auparavant, je pouvais le pratiquer partout, quand je voulais, cela dépendait uniquement de moi, ce qui n’est pas rien. Par exemple, j’avais goûté à la réalisation. J’avais très envie d’écrire des scénarios et de les réaliser mais c’était compliqué pour moi de me dire que je ne pouvais pas tout faire seule, que j’allais avoir besoin d’autres personnes et finalement dépendre d’elles pour l’éclairage, le montage… Ne pas être autonome dans cette pratique me faisait peur. J’avais aussi besoin de légèreté au niveau du médium pour exprimer tout ce qui me travaille. Le côté très léger du matériel de dessin, le fait qu’on peut avec un crayon et une feuille de papier dessiner pendant des heures et produire quelque chose a fait que le dessin s’est imposé.
Vous avez mentionné votre formation musicale au conservatoire en parallèle de votre cursus en arts plastiques à l’université : établissez-vous des passerelles entre ces deux modes d’expression dans votre travail ?
Mélanie Delattre-Vogt - J’ai commencé la musique dans la toute petite enfance alors que je ne savais pas encore très bien lire, ni écrire. La musique a eu une empreinte directe sur ma construction, ma sensibilité. J’étais une enfant qui chantait tout le temps, qui jouait du piano en chantant. Et quand je dessinais, je chantais, ou je parlais, je racontais. Il y avait quelque chose d’oral. La musique, c’est comme avoir appris une langue étrangère lorsqu’on est tout petit. Elle ne peut pas vous quitter. Vous pensez, vous rêvez même dans une langue étrangère. Pour revenir au dessin, outre le fait que je crée en écoutant de la musique, la composition du dessin rejoint la terminologie de la musique : j’ai besoin de silence dans la composition. Dans mes dessins, il y a souvent des formes qui flottent, le fond de la feuille est laissé vierge comme dans une partition où tout n’est pas noirci d’inscriptions, à part si l’on regarde les partitions d’Edgar Varèse où vous avez des clusters (ndlr : résonance de plusieurs notes jouées simultanément), des grosses zones complètement noires ; il y a des respirations, des silences, des accélérations, de la densité à certains endroits et d’autres beaucoup plus calmes. Je ressens des parallèles entre les tempi, la manière d’exécuter les phrases, il y a une construction. La différence est que le dessin se regarde, une fois qu’il est terminé, tandis qu’en musique, on suit un déroulé, on a beaucoup de mal à avoir une vision d’ensemble d’une œuvre musicale. Une image se voit, une musique, vous en suivez le fil et à la fin seulement vous avez un sentiment d’ensemble mais il n’est pas palpable. Pendant la création du dessin cependant, je ressens la même impression que le déroulé musical : la construction, des temps forts, des tensions, des moments extrêmement calmes, c’est vraiment de l’ordre de la composition avec toute sa dynamique.
Vous pratiquez également la lithographie. Pour poursuivre le parallèle avec la musique. Peut-on voir là une sorte de variation, avec la reproduction du motif qui aboutit chaque fois à une œuvre singulière ?
Mélanie Delattre-Vogt - La lithographie, c’est une différence de médium d’abord et un travail d’équipe. Je passe d’un travail solitaire avec le dessin à une collaboration avec des imprimeurs d’art, dans l’atelier de Michael Woolworth . Il y a des espaces de dialogue, sur la couleur, la taille de la pierre, le nombre de passages, le nombre de tirages, les possibilités… Michael Woolworth a une expérience de plusieurs dizaines d’années, il y a plein de choses qu’il sait possibles et que j’ignore complètement comme le principe d’irisation pour créer des dégradés de couleurs, que nous avons utilisé pour la série des Nuages. Il y a des solutions, des idées, des discussions, comme un compositeur qui travaillerait avec un orchestre plutôt que de composer sa pièce pour son instrument et de l'interpréter tout seul. C’est vraiment l’idée d’un écho, d’une discussion, d’un échange.
Tout à l’heure, vous parliez du choix du dessin, du besoin de travailler seul, plutôt que de la vidéo où vous auriez dépendu d’une équipe technique. Avec la lithographie, ne dépendez-vous pas de compétences techniques qui vous échappent ?
Mélanie Delattre-Vogt - La lithographie, ce n’est pas de la gravure, c’est vraiment du dessin à même la pierre, mais c’est vrai que je suis tributaire de l’impression. Je ne le ressens pas comme une dépendance cependant mais plutôt comme une nécessité d’ouverture. C’est-à-dire qu’un dessin prend une certaine forme mais il a peut-être besoin d’en prendre d’autres. Et la lithographie que j’expérimente, je ne la fais pas sur des petits ou moyens formats, mais plutôt sur des grands avec des couleurs que je n’utiliserais jamais dans le dessin, donc cela permet des libertés nouvelles. Finalement, ce n’est pas de la dépendance, mais de l’air, un enrichissement, des couleurs que je n’aurais jamais utilisées dans un dessin, ou alors seulement dans un détail. Avec la lithographie, on peut faire de grands aplats de bleu pétant, de rose de orange, ce que je n’aurais peut-être pas fait de moi-même. Cela donne de la nouvelle matière. Mais ce n’est pas simple, parce que les horaires sont des horaires d’atelier, pas vraiment mes horaires préférés pour travailler. En plus c’est un travail avec du bruit. Bien sûr, je pourrais emmener une pierre dans mon atelier et la travailler au calme, mais certaines sont difficiles à déplacer. Par exemple, j’ai travaillé sur une pierre qui était la plus grande de l’atelier, qui n’avait jamais été travaillée, qui n’avait même jamais été grainée, c’est-à-dire poncée pour accueillir un dessin. Il a fallu plusieurs mois pour la grainer, elle nécessitait six personnes pour la manipuler. Je suis donc obligée de travailler sur place. Il y a du bruit, les imprimeurs qui travaillent sur d’autres projets, parfois d’autres artistes. Ce n’est pas du tout le même monde. Mais peut-être que finalement, quand on a besoin d’indépendance, on a aussi besoin de sociabilité pour contrebalancer.
Vous intervenez lors d’une conférence sur le thème de la figure l’androgyne, laquelle traverse l’œuvre de Janmot. Cette figure est-elle aussi présente dans votre œuvre ?
Mélanie Delattre-Vogt - Peut-être. Les formes humaines qui peuvent apparaitre dans mes dessins sont privées de sexe. Ou alors ce sont les sexes uniquement qui sont présentés mais qui dépassent leur forme humaine ou animale, qui deviennent des végétations, des digressions du sujet, ce n’est plus une question de sexe mais de nature réelle de ce que l’on voit. L’anatomie a quelque chose de fascinant. J’ai beaucoup dessiné à partir de planches d’anatomie, de gravures, de précis. Toute forme a son intérêt. J’avais trouvé un dictionnaire de médecine tout à fait horrifiant. Il y avait un passage sur les femmes qui avaient des sexes très étranges, et il fallait absolument les couper pour qu’il n’y ait pas de confusion. J’avais fait une série de dessins avec ça. Souvent, les choses qui me heurtent et me choquent, j’ai besoin de les dessiner pour les digérer peut-être, pour les regarder de très près, en face. Le dessin va permettre de les décompresser, d’en faire autre chose.
Dans une interview, vous parliez justement d’une « réappropriation des choses du monde par le dessin » et vous vous inspirez pour cela de livres, d’objets, de récits… La performance dessinée que vous allez réaliser relève-t-elle de ce processus ?
Mélanie Delattre-Vogt - Je pense que je vais attraper des idées, des phrases, mais c’est assez différent de la manière dont j’utilise les choses que je trouve sur mon chemin. Les réappropriations, c’est souvent un coup de chance. Je marche et je trouve un livre sur les canaris, et je me dis que je ne l’ai pas trouvé pour rien. La dernière exposition que j’ai faite porte le titre d’un ouvrage, CHEESE and FERMENTED MILK FOOD, que j'ai trouvé dans le lieu de résidence lié à l’exposition. Il était tout seul dans un couloir, je me suis dit « voilà, c’est lui, et ce sera le titre de l’expo ». C’était un manuel sur la manipulation des fromages. Ce sont souvent des objets ou des livres avec des images qui ont du potentiel qui vont amener un dessin, souvent parce que c’est complètement incongru et que je n’aurais jamais pensé dessiner à partir de cette thématique. Par exemple, j’avais fait un dessin à partir de la poignée de main loupée entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing. Ils se détestent, ils ne veulent pas se regarder pour se serrer la main et il y a une photo de ce moment et même un petit film que j’ai retrouvé sur le site de l’INA où l’on voit le geste loupé. Je ne pensais pas dessiner ça, mais je l’ai trouvé dans un livre avec tout le décorum de l’espace où est réalisée cette non-poignée de main, les tapisseries, les meubles. Ça s’est imposé.
Pour la conférence, la thématique me donne des idées de mise en place de ce que je pense faire mais si ça se trouve ce sera complètement différent, parce qu’en général quand je projette de faire quelque chose, je fais l’école buissonnière de ce que j’ai décidé. Je prends un chemin différent. Sur scène, j’aimerais avoir une lampe de bureau, parce que sur le double, ce qui me vient à l’esprit, c’est mon mode opératoire, qui est d’utiliser des objets que je manipule, et comme ils sont posés à côté de moi, il y a une ombre portée. Cette ombre crée un double de la forme qui est souvent plus intéressant que la forme elle-même, parce qu’elle est déformée. Pierre Boulez a écrit une pièce qui s’appelle Dialogue de l’ombre double, une pièce pour clarinette, très intéressante parce que justement il y a quelque chose qui se déforme. C’est vraiment la même idée que cette source, une algue séchée par exemple, qui mise en face de la lumière va avoir une ombre dans laquelle, peut-être, un visage va apparaître. Cette ombre, je vais avoir envie de l’attraper, plus que la source elle-même, parce que c’est un peu flou. C’est compliqué d’attraper quelque chose qui n’est pas net. La définition du dessin, c’est de saisir les contours de quelque chose. Mais là, quand l’ombre portée est floue, c’est compliqué de saisir les contours. Je me disais que pendant cette performance dessinée, j’avais envie que la caméra montre, non pas toujours du dessin, mais des formes en train d’être manipulées, en train de bouger et créer des doubles.
Quelle place occupe ce genre de performance dans votre travail d’artiste ?
Mélanie Delattre-Vogt - Ce sera ma première performance en direct. Je n’ai jamais dessiné en public. Ce sera donc une nouvelle expérience. J’aurais plus l’impression d’être musicienne que dessinatrice, peut-être. Je vais utiliser mon instrument qu’est le dessin pour une sorte de concert. On pourrait d’ailleurs placer un micro près de moi car le crayon, le dessin, produit un son avec ses rythmes, des glissements, des accélérations dont on parlait tout à l’heure. Cela pourrait être intéressant d’entendre ce grattage comme une réponse à la conférence.
Louis Janmot, d’une certaine manière, témoigne du rapport de la société de son époque avec la religion. Votre travail sur le Manuel de congélation que vous aviez présenté au Palais de Tokyo en 2010 relève-t-il de la même intention ?
Mélanie Delattre-Vogt - Je pensais que vous alliez me demander s’il y avait quelque chose de religieux dans la congélation… Avec cette série, j’ai découvert à quel point le processus de congélation avait été enclenché assez tôt. C’est un manuel des années 1970 mais la pratique remonte à bien plus longtemps. Le livre invite à acheter de la viande en énorme quantité avec des amis, de la famille pour ensuite se répartir des lots, presque acheter une vache entière, et se dire, moi je vais prendre ça, toi, tu auras ça… Personnellement, j’ai vécu cette frénésie de la congélation. Ma mère faisait des commandes astronomiques auprès d’un représentant qui venait à la maison avec un catalogue. Quand on descendait à la cave et que l’on ouvrait le congélateur, énorme, on trouvait tout dedans, on pouvait aussi bien se préparer des tartes, des bouchées-à-la-Reine, des Paris-Brest… alors que l’on habitait en ville et que l’on pouvait très facilement s’approvisionner, mais c’était l’idée de l’avoir là, dans la maison, tout de suite, quand on veut. Il y a quelque chose d’assez magique. On congèle quelque chose qui a été préparé à un moment pour le manger des mois, voire des années après. C’est presque un objet de science-fiction. Au XIXe, on n’imaginait pas disposer de cela aussi facilement. Il y a une accélération dans le processus de consommation, de disponibilité des aliments, et d’en avoir pléthore. Le livre en question est un de mes livres-sources préférés. Je le considère comme un talisman, c’est un livre important. Je l’ai présenté dans une exposition, et quand on m’a demandé la première œuvre à sauver en cas d’incendie, j’ai répondu « Le Manuel de congélation ! ». Je l’ai trouvé chez un ami qui avait hérité de plusieurs caisses de livres et qui allait certainement les mettre à la rue. Quand j’ai vu les images, des mains qui manipulent des ingrédients, on ne voit pas le reste du corps, une pièce de viande dans un torchon à rayures, des animaux en train d’être plumés, tout ça dans l’optique de les cuisiner mais aussi de les congeler pour les manger beaucoup plus tard. Ce n’est pas un livre de cuisine habituel, c’est un livre de cuisine de science-fiction : on prépare mais pour le futur. D’une certaine façon, cela parle d’une société mais ce n’était pas ma première volonté. Il y avait un appel irrésistible : il me fallait dessiner ça.
Je vois, maintenant, le lien possible entre la religion et la congélation que l’on pourrait rapprocher de l’embaumement des corps...
Mélanie Delattre-Vogt - En effet mais cela fait écho, qui plus est, à un épisode que j’ai vécu et qui m’a marqué mais dont je n’ai encore rien fait. Il me revient parfois. Pendant un séjour à Clermont-Ferrand, il y a longtemps, je dormais dans un sous-sol, sans fenêtre. Il y avait là un immense congélateur, près de la pièce où je logeais. Quelqu’un est venu prendre quelque chose dans le congélateur et, pour accéder à ce qu’il voulait, a sorti un lapin, puis l’a oublié. Et quand je l’ai découvert, il était à moitié décongelé, il y avait un liquide rouge qui avait coulé, et j’ai trouvé cela absolument magnifique. On pense à Une Charogne de Charles Baudelaire (ndlr : poème publié dans Les Fleurs du mal, section « Spleen et idéal », chapitre XXIX). Cet animal qui n’avait plus sa peau, qui restait un lapin, un écorché, avec ce fluide encore un peu glacé mais qui commence à couler… Je suis resté fascinée, je l’ai regardé assez longuement, mais je ne l’ai pas dessiné. Dans ce sous-sol, sur ce congélateur un peu crasseux, il y avait quelque chose d’étonnant dans cette scène. J’ai une grande fascination pour ce genre de choses tout en étant absolument incapable de manger de la viande ou des animaux depuis longtemps. L’œuvre que j’ai préférée dans l’exposition « Manet / Degas », c’est Le Jambon, quelque chose que je ne pourrais jamais manger, mais si on m’avait demandé de choisir une œuvre dans l’exposition j’aurais choisi celle-ci.
Vous êtes donc une habituée du musée d’Orsay. Quel est votre lien avec ce musée ? Quels sont les artistes qui vous ont influencée dans votre travail ou qui vous inspirent dans ses collections ?
Mélanie Delattre-Vogt - Il y a à Orsay, l’un des artistes que je préfère au monde, c’est Vallotton. Je suis un peu amoureuse des peintures de Vallotton. Je voudrais vivre dans ses tableaux. Si on me demandait lequel tableau, je voudrais être cette femme en bleu fouillant dans une armoire. Je voudrais être ce personnage dans cette peinture, peint de cette façon, avec ce décor, dans la réalité de Vallotton. Il y a aussi Bonnard, Vuillard. Il y a une toute petite peinture de Vuillard, un petit nuage sur une forêt, minuscule. Si je vais au musée d’Orsay, il faut que j’aille voir le nuage. J’aime beaucoup les Nabis et notamment les décors, les panneaux de Bonnard, Redon. Evidemment Manet. Et puis, Caillebotte. Les acquisitions récentes, Les Soleils, Partie de bateau, sont extraordinaires. Je suis moins attirée par les sculptures. Ce sont vraiment les œuvres picturales qui m’intéressent. Je me perds toujours quand je viens au musée d’Orsay mais je retrouve toujours le petit nuage de Vuillard, je sais toujours où sont les Vallotton. De cet artiste, j’apprécie aussi les dessins, qui sont peu présentés pour des raisons de conservation. C’est un dessinateur extraordinaire, les noir et blanc, les bois gravés de Vallotton et les dessins préparatoires aux bois gravés sont remarquables.
Vous citez Vallotton et son travail sur la lumière, Vuillard et son nuage, Redon inspiré par des planches botaniques pour certains motifs oniriques, autant de formes mouvantes que l’on peut rapprocher de votre travail sur les ombres portées, non ?
Mélanie Delattre-Vogt - Oui, il y a aussi l’intimité. Je suis très touchée par la présentation des intérieurs, des petits espaces, des habitudes, chez Bonnard mais en particulier chez Vallotton. Je suis souvent attirée par les petites peintures avec beaucoup de détails. Les primitifs flamands par exemple : les intérieurs, les objets, les petites fenêtres qui ouvrent sur un minuscule paysage, ces choses-là me donnent envie d’entrer dans le tableau, de m’approcher et de rester très longtemps à contempler les détails. Le quotidien, les couleurs, les matières, pour quelque chose qui est a priori ordinaire qui devient presque gourmand. On a envie de manger ces peintures.
Pour terminer, revenons à Louis Janmot : quel est votre lien avec cet artiste ?
Mélanie Delattre-Vogt - J’ai passé beaucoup de temps au musée des Beaux-Arts de Lyon à regarder ses peintures, et en particulier, Fleur des champs (ndlr : ce tableau n'est pas présentée dans l'exposition « Louis Janmot, Le Poème de l'âme ») qui est un portrait d’une femme avec des bleuets, des marguerites, des boutons d’or. Cela m’arrive de tomber amoureuse d’un personnage dans une peinture, et ça a été le cas avec cette femme. Je l‘ai beaucoup regardée. Quand une telle chose se produit, je reviens plusieurs fois devant le tableau, comme avec cette peinture de Janmot, artiste que j’ai découvert avec ce choc.
Entretien réalisé par Jean-Claude Lalumière, éditeur-rédacteur pour le site internet du musée d'Orsay