Quand les œuvres d'Orsay dialoguent avec le cinéma


Dès l'ouverture du musée d'Orsay en 1986, le cinéma a trouvé sa place dans les collections présentées au public. Très vite, des expositions sont venues illustrer les liens entre le 7e art et les autres : peinture, sculpture, photographie, arts décoratif... Inspirations du cinéma puisée dans les arts plastiques, formation du regard à travers la peinture ou la photo à la révolution cinématographique à venir durant tout le XIXe siècle, cet échange fécond ne cesse de s'enrichir. Découvrez ici une sélection d'œuvres illustrant ce dialogue.

« J’ai passé ma vie à tenter de déterminer l'influence de mon père sur moi », déclare Jean Renoir (1894 - 1979) à la fin de sa vie. Entre 1925 et 1971, il réalise une trentaine de films dont Partie de campagne, tourné en 1936, dans lequel figure la fameuse scène de la balançoire, référence évidente au tableau de son père, Pierre-Auguste Renoir (1841 - 1919). En 2018, le musée d'Orsay a consacré une exposition au dialogue entre Renoir père et fils, entre peinture et cinéma.
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« J’ai passé ma vie à tenter de déterminer l'influence de mon père sur moi », déclare Jean Renoir (1894 - 1979) à la fin de sa vie. Entre 1925 et 1971, il réalise une trentaine de films dont Partie de campagne, tourné en 1936, dans lequel figure la fameuse scène de la balançoire, référence évidente au tableau de son père, Pierre-Auguste Renoir (1841 - 1919). En 2018, le musée d'Orsay a consacré une exposition au dialogue entre Renoir père et fils, entre peinture et cinéma.
Le vent se lève pour la Femme à l'ombrelle, ici tournée vers la gauche, (le musée d'Orsay conserve aussi une version tournée vers la droite) dans le tableau de Claude Monet. Le vent se lève, c'est aussi le titre d'un film d'animation de Hayao Mihazaki (1941 -) qui choisit pour l'affiche de son long métrage, sorti en 2013 par les studio Ghibli, un plan qui adresse un discret clin d'œil au maître de l'impressionnisme.
Sans aucun doute l'œuvre la plus célèbre du peintre américain James Abbott McNeill Whistler (1834 - 1903), Arrangement en gris et noir, dit aussi Portrait de la mère de l’artiste est aussi une des icônes de l’histoire de la peinture, objet, à ce titre, de nombreux détournements. Parmi les plus célèbres réappropriations de cet austère et digne portrait, celle proposée par le film américano-britannique de 1997, Bean de Mel Smith (1952 - 2013), dans lequel le maladroit Mr Bean (interprété par l’acteur Rowan Atkinson) détériore le visage du personnage représenté sur le tableau qu'il tente de restituer avec un grotesque dessin au stylo. Terrible restauration, comique iconoclaste au détriment de cette peinture, objet de vénération des Américains, qui s’est imposée au fil du temps comme une image de la mère idéale.
Le peintre danois Vilhelm Hammershoi (1864 - 1916), dont le musée d'Orsay conserve deux tableaux, est habituellement associé au cinéma de son compatriote Carl Thodor Dreyer (1889 - 1968). Plus prêt de nous, le film d'un autre réalisateur danois, Gabriel Axel (1918 - 2014), Le Festin de Babette, réalisé en 1987 d'après une nouvelle de Karen Blixen (1885 - 1962), reprend dans certains plans les cadrages austères des scènes d'intérieur peintes par Hammershoi. Dans ce film, Babette, interprétée par Stéphane Audran(1932 - 2018), recueillie 15 ans plus tôt par deux sœurs qui l'ont engagée comme domestique alors qu'elle avait fui la guerre civile à Paris, prépare, grâce à l'argent qu'elle a gagné à la loterie, un repas de fête pour une douzaine de convives.
Dans les années 1950, après un passage à Hollywood, Jean Renoir rentre en France et réalise des films qui font plus explicitement référence à l’époque et à l’art de son père, tandis que la France d’après-guerre connaît une grande vague de nostalgie pour la « Belle Époque ». Alors qu’il avait essayé, depuis trente ans, de se faire un prénom, Renoir joue désormais volontiers de son nom et profite de la popularité toujours plus grande de l’œuvre de son père. Il évoque, en Technicolor, le Paris et le Montmartre de son enfance dans French Cancan (1955) dont l’esthétique puise dans l’œuvre de Pierre-Auguste Renoir mais aussi, et surtout, chez Jules Chéret (1836 - 1932) ou Henri de Toulouse-Lautrec (1864 - 1901).
Le musée conserve plusieurs épreuves des célèbres « têtes d’expression » du personnage de Pierrot incarné par Charles Deburau (1829 - 1873). Ces clichés ont été réalisés par Adrien Tournachon (1825 - 1903), jeune frère de Félix (1820 - 1910) dit Nadar. En 1945, avec leur film, Les Enfants du Paradis, Marcel Carné (1906 - 1996) et Jacques Prévert (1900 - 1977) rendaient hommage au père de Charles, le mime Jean-Gaspard Deburau (1796 - 1846), rebaptisé pour l’occasion Baptiste et interprété par Jean-Louis Barrault (1910 - 1994). Pour l'anecdote, de 1972 à 1979, ce dernier présenta les spectacles de sa compagnie dans la grande nef de la gare d'Orsay alors désaffectée.
Comment, en regardant ce bronze de Gustave Doré (1832 - 1883) qui représente un chevalier en armure qui joue à saute-mouton, ne pas songer aux facéties des Monty Python dans leur film Sacré Graal sorti en 1975 ?
Dès le début du cinéma, les réalisateurs se sont inspirés des peintres d'histoire les plus habiles. Jean-Léon Gérôme (1824 - 1904) fait partie de ceux-là. Cadrages, décors, costumes imaginés par les peintres du XIXe siècle sont reproduits à l'écran. Les années 1950 et 1960, avec l'avènement du technicolor, favorisent la multiplication du genre péplum : Quo vadis? de Mervyn LeRoy et Anthony Mann (1951), Ben-Hur de William Wyler (1959), Spartacus de Stanley Kubrick (1960) ou encore Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz (1963) pour ne citer que les plus connus. En 2010, le musée d'Orsay organisait une exposition consacrée à Jean-Léon Gérôme, dont le sous-titre, L'Histoire en spectacle, traduisait le lien entre son œuvre et le cinéma.
Avec Jérusalem, autrement intitulé Golgotha, Consummatum est, Jean-Léon Gérôme conçoit une singulière crucifixion. Jérusalem est représentée dans le lointain sous un ciel d’orage qui accompagne le calvaire. La foule, représentée de dos, s’en retourne vers la ville. Ne sont visibles que les ombres des trois croix, lesquelles demeurent hors-champ, accentuant ainsi l'effet dramatique. La tableau est organisé pour favoriser le mouvement du regard qui revient sans cesse à l'ombre des croix. Du cinéma avant l'heure...
« Jamais l'infini du désert n'a été peint d'une façon plus simple, plus grandiose et plus émouvante », écrit Théophile Gautier (1811 - 1872) à propos de ce tableau. Par une composition en larges bandes, Gustave Guillaumet (1840 - 1887) retranscrit, avec une économie de moyens, l'âpreté d'un paysage loin du pittoresque et de l'anecdotique bien souvent représentés dans les tableaux orientalistes. Au contraire, en opposant la carcasse de l'animal mort au premier plan à la caravane progressant dans le lointain, il touche au récit universel de la vie et de la mort.
Quelques années avant Guillaumet, le thème de la caravane se déplaçant dans le désert avait été traité dans ce tableau tout aussi spectaculaire par Léon Belly (1827 - 1877). Ici le spectateur est confronté de façon frontale à l'imposante colonne de pèlerins en route vers la Mecque. Dans les deux tableaux, celui de Guillaumet comme celui de Belly, l'espace est traité dans une dimension narrative, cinématographique. Ces deux images peuvent être rapprochées des plans les plus saisissants du film Lawrence d'Arabie, chef-d'œuvre de David Lean (1908 - 1991) sorti en 1962 avec Peter O'Toole (1932 - 2013), inspiré du récit autobiographique de Thomas Edward Lawrence (1888 - 1935), Les Sept Piliers de la sagesse (1922).
Comiques ou réalistes, parodiques ou archéologiques, les films des XIXe et XXe siècles dont l’action prend place pendant la préhistoire véhiculent souvent des stéréotypes hérités directement de l’imagerie du XIXe siècle. C’est en effet durant ce siècle que naît l’idée moderne de préhistoire, à la suite des découvertes de Jacques Boucher de Perthes (1788 - 1868). Dès lors, artistes et illustrateurs, s’appuyant sur les connaissances scientifiques du moment, imaginent l’apparence de ces grands ancêtres. Si la majeure partie de cette iconographie est cantonnée aux ouvrages de vulgarisation scientifique, quelques artistes tentent de faire entrer ces sujets au Salon à partir des années 1870. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Fernand Cormon (1845 - 1924), dont l’immense Caïn (toile de 7 mètres sur 4) fait sensation à l’exposition de 1880.
Cette esquisse en terre cuite de Fremiet peut être rapprochée d'une autre œuvre de l'artiste, Gorille enlevant une femme (1887), exposée au musée des Beaux-Arts de Nantes. Si aucun enlèvement de ce type n'a jamais été enregistré, cette représentation fantasmée du danger que représente le plus grand des primates, dont les premières observations scientifiques datent de 1847 seulement, n'en a pas moins nourri l'imaginaire populaire jusqu'au film de Merian C. Cooper (1893 - 1973) et Ernest B. Schoedsack (1893 - 1979), King Kong sorti en 1933.
Le roman de Victor Hugo (1802 - 1885) s'impose ici. On s'attend à voir surgir Quasimodo de l'ouverture derrière l'homme au chapeau. Dès l'invention du cinéma, Notre-Dame de Paris (1831) a suscité des envies d'adaptation à l'écran chez les réalisateurs. De fait, elles sont nombreuses. Citons en quelques-unes : celles sorties sous le titre de The Hunchback of Notre-Dame par Wallace Worsley (1878 - 1944) en 1923 (film muet en noir blanc), par William Dieterle (1893 - 1972) en 1939 (film parlant en noir et blanc), par Gary Trousdale (1960 -) et Kirk Wise (1963 -) en 1996 (film d’animation pour les studios Disney) ; celle sortie sous le titre Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy (1908 - 2008) en 1956 (film en couleur) avec Gina Lollobrigida (1927 - 2023) et Anthony Quinn (1915 - 2001).
John Howe (1957 -), illustrateur canadien spécialiste de l'œuvre de J. R. R. Tolkien (1892 - 1973) invité par Peter Jackson (1961 -) à travailler sur l'adaptation de la trilogie du Seigneur des anneaux (2001, 2002 et 2003), connaissait-il Le Grenouillard de Jean Carriès ? La comparaison de la sculpture de Carriès avec le personnage de Gollum justifie de se poser la question. Surtout quand on sait que John Howe a été formé en France où il est venu à l'âge de vingt ans pour suivre les enseignements de l'école supérieure des arts décoratifs à Strasbourg.
Rien ne permet d'affirmer que Carlo Rambaldi (1925 - 2012), chargé par Steven Spielberg (1946 -) de créer la figure de E.T., connaissait les monstres de Léopold Chauveau (1870 - 1940). Il n'en demeure pas moins que la ressemblance, cette monstruosité sympathique, est troublante. En 2020, le musée d'Orsay a mis en lumière le travail de Léopold Chauveau, créateur autodidacte, médecin de formation, dans une exposition : « Au pays des monstres ».