Questions à Laurent Grasso, artiste contemporain

Laurent Grasso
CLAIRE DORN / Claire Dorn

Laurent Grasso a été invité en 2017 par le musée d'Orsay pour réaliser une œuvre de grande ampleur dialoguant avec l'exposition évènement « Les origines du monde. L'invention de la nature au XIXe siècle. » Un film en résulte, Artificialis, présenté en fond de nef et dont nous parle ici Laurent Grasso.

Le projet que vous présentez a été pensé pour Orsay et il est lié à l’exposition « Les origines du monde » : comment avez-vous pensé votre travail vis-à-vis du lieu et de l’exposition ? Comment votre présentation s’articule-t-elle avec l’exposition ?

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Laurent Grasso
ARTIFICIALIS, 2020
ADAGP, Paris 2021 / Studio Laurent Grasso, Courtesy Perrotin

En effet, Laurence des Cars m'a assez rapidement proposé d’associer son invitation avec la grande exposition sur la théorie de l’évolution et ses représentations au XIXe siècle. Je suis alors entré dans un processus de recherche sur un film autour de l’irrémédiable transformation de la nature par l’homme et de l’indissociable entrelacement du naturel avec le culturel auquel nous assistons aujourd’hui. Charles Darwin a passé près de cinq années à bord du HMS Beagle à parcourir les mers, allant de l’Angleterre jusqu’aux célèbres îles Galápagos et en Australie. Cet extraordinaire travail d’exploration, de collecte, de relevés, dont il a tiré toute sa théorie, m’a beaucoup inspiré. Dans la continuité des recherches de Darwin, j’ai essayé de scruter les évolutions, les mutations et les transformations du vivant, dans notre contexte 2.0. Aujourd’hui, l’idée de nature telle qu’on la concevait au XIXe siècle, pure, vierge, intemporelle ne peut plus avoir cours. Nous assistons davantage à un épuisement de la distinction nature/culture et nous entrons dans une ère que certains qualifient déjà de post-anthropocène. 

Le film projeté s’intitule ARTIFICIALIS : pouvez-vous nous expliquer ce titre ?

L'idée d’artificialité est dans mon travail depuis très longtemps. J’ai toujours cherché à virtualiser le monde, par des points de vue aériens, par des changements de couleur. Aujourd’hui le monde se déréalise tout seul. J’ai cherché à capter des moments où l’on ne sait plus où l’on se situe, entre l’artificiel et le naturel. ARTIFICIALIS est le nom de ce territoire hybride, post-anthropocène, dans lequel les repères sont totalement dissouts.

Le confinement du printemps 2020 est survenu en pleine préparation de votre exposition. Comment avez-vous intégré cette contrainte ? A-t-elle influencé votre travail ?

© Musée d'Orsay / Sophie Crépy

Pour mon projet ARTIFICIALIS au musée d’Orsay j’avais entamé beaucoup de recherches autour des questions du géo-engineering, des métamorphoses du monde, de certaines recherches dans le Grand Nord ou en Sibérie, des phénomènes comme les bulles de méthane qui refont surface aujourd’hui et qui libèrent du gaz emprisonné dans la glace. Avec mon atelier nous avons fait des recherches sur différents endroits dans le monde qui m’inspirent et que j’aurais voulu aller filmer. Ceux-ci étaient extrêmement nombreux, en passant par le lac Baïkal, Yellowstone, le Groenland, Svalbard, des déserts spécifiques et certaines îles en Asie. Le confinement est venu stopper brutalement toute possibilité de déplacements et de tournage. C’est donc vers l’idée de virtualisation du monde que s’est axée ma recherche et la volonté de faire un film qui soit un collage d’images collectées, sur lesquelles j’ai décidé parfois de produire certains effets pour amplifier des phénomènes qui m’intéressaient particulièrement. Mais c’est une dimension qui était déjà présente dans le projet puisque nous avions collecté des banques d’images vidéo pour faire des repérages virtuels.