Parcours « Les peintres, le Salon, la critique, 1848-1870 »

Léon Benouville
Oedipe et Antigone s'exilant de Thèbes, en 1837
Musée d'Orsay
Achat par préemption en vente publique, 2015
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Thème

Une séance du jury de peinture au Salon des Artistes français (1883 ?)
Henri Gervex
Une scéance du jury de peinture, avant 1885
Musée d'Orsay
Don de Pierre Waldeck-Rousseau, 1892
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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Les années 1848-1870 constituent une période charnière dans l'histoire de l'art en France. Elle hérite des courants dominants de la première moitié du XIXe siècle – le romantisme et le néoclassicisme – et se prolonge jusqu'à l'avènement de l'impressionnisme. Ce moment de transition reste très marqué par la tradition académique et se caractérise par la persistance de structures qui forment ce que l'on appelle le « système des Beaux-Arts ». De nombreux artistes en acceptent les règles et obtiennent – généralement – la faveur du public et de la critique, mais d'autres, sans remettre totalement ce système en cause, évoluent à sa marge et peinent à faire admettre leurs œuvres.

Le système des Beaux-Arts et ses principes

Pour satisfaire aux exigences de l'Académie, prégnantes dans l'enseignement de l'École des beaux-arts et affirmées dans le choix des lauréats aux différents concours, et dans celui du jury des Salons, les peintres doivent respecter certains principes. Ceux-ci se figent jusqu'à devenir un carcan contre lequel, peu à peu, les artistes et les critiques s'insurgent.

La reconnaissance par l'opinion des courants « novateurs » du dernier quart du XIXe siècle (impressionnisme, néo-impressionnisme, Nabis, fauves…) se fait de manière décalée, au XXe siècle, et entraîne un rejet global des principes de l'Académie. Le terme « académisme » prend alors une connotation péjorative (on parle aussi de « art pompier »). À l'ouverture du musée d'Orsay en 1986, même avec un siècle de recul, celui-ci fut suspecté de vouloir « réhabiliter » la peinture académique… Mais revenons au XIXe siècle pour évoquer les exigences auxquelles doivent se soumettre les peintres.

Respecter la « hiérarchie des genres »

Oedipe et Antigone s'exilant de Thèbes
Léon Benouville
Oedipe et Antigone s'exilant de Thèbes, en 1837
Musée d'Orsay
Achat par préemption en vente publique, 2015
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Énoncée par Félibien (historiographe, architecte et théoricien du classicisme français) en 1667, la hiérarchie des genres considère la peinture d'histoire comme le « grand genre ». Cette catégorie englobe les œuvres à sujets religieux, mythologiques ou historiques, toujours porteurs d'un message moral. Viennent ensuite, en valeur décroissante : les scènes de genre (scènes de la vie quotidienne), le portrait, le paysage et enfin la nature morte. À cette hiérarchie des genres correspond une hiérarchie des formats : grand format pour la peinture d'histoire, petit format pour la nature morte.
Cette classification, maintenue par l'Académie, perdure pendant tout le XIXe siècle, avec une progressive remise en cause. Dans son compte rendu du Salon de 1846, Théophile Gautier constate déjà que :  « Les sujets religieux sont en petit nombre ; les batailles ont sensiblement diminué ; ce qu'on appelle tableau d'histoire va disparaître […]. La glorification de l'homme et des beautés de la nature, tel paraît être le but de l'art dans l'avenir. »

Affirmer la primauté du dessin sur la couleur

Automédon, Nymphe enlevée par un faune
Alexandre Cabanel
Nymphe enlevée par un faune, en 1860
Musée des Beaux-Arts, Lille
Achat de Napoléon III au Salon, 1861, affecté au Musée d'Orsay, 1986
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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La reconnaissance de la primauté du dessin sur la couleur remonte à l'origine des Académies. L'accent est mis sur l'aspect spirituel et abstrait de l'art : le trait ne se rencontre pas dans la nature. L'artiste l'utilise, ainsi que les contours et l'ombre, pour créer l'illusion des trois dimensions sur une surface plane. Quant à la couleur, présente, elle, dans la nature, elle est confinée dans un rôle secondaire et son apprentissage n'est pas jugé nécessaire. « Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture », affirme Ingres. Dans sa Grammaire des arts du dessin, publiée en 1867, Charles Blanc reconnaît que la couleur est essentielle en peinture, mais qu'elle occupe le second rang : « L'union du dessin et de la couleur est nécessaire pour engendrer la peinture, comme l'union de l’homme et de la femme pour engendrer l'humanité ; mais il faut que le dessin conserve sa prépondérance sur la couleur. S'il en est autrement, la peinture court à sa ruine ; elle sera perdue par la couleur comme l'humanité fut perdue par Ève. »

Approfondir l'étude du nu

Dessin représentant une académie d'homme (école italienne)
Anonyme
Dessin représentant une académie d'homme (école italienne), vers 1865
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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En art, le terme « académie » ne désigne-t-il pas un nu ? Ce type de travail s'effectue à partir de la sculpture antique et du modèle vivant. Le but n'est pas de copier la nature, mais de l'idéaliser, conformément à l'art antique et de la Renaissance. Le dessin du corps humain est considéré comme l'expression supérieure et l'incarnation de l'idéal le plus élevé.

Privilégier le travail en atelier

Le travail en plein air, sur le motif, ne doit être pratiqué qu'à seule fin d'ébauches et de croquis préparatoires.

Produire des œuvres « achevées »

Les œuvres doivent avoir un aspect fini, une facture lisse où la touche disparaît. Ingres note : « La touche, si habile qu'elle soit, ne doit pas être apparente, sinon elle empêche l'illusion et immobilise tout. Au lieu de l'objet représenté elle fait voir le procédé, au lieu de la pensée elle dénonce la main. »

Imiter les anciens pour imiter la nature

C'est par l'imitation des anciens que passe l'imitation de la nature. Selon Ingres toujours : « Il faut copier la nature toujours et apprendre à bien la voir. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'étudier les antiques et les maîtres, non pour les imiter, mais, encore une fois, pour apprendre à voir. […] Vous apprendrez des antiques à voir la nature parce qu'ils sont eux-mêmes la nature : aussi il faut vivre d'eux, il faut en manger. »

Le système des Beaux-Arts et ses institutions

L'École des beaux-arts

École des Beaux-Arts, cour du mûrier, vue générale
Louis Boitte
Ecole des Beaux-Arts, cour du mûrier, vue générale
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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L'Académie royale de peinture et de sculpture, créée en 1648, ouvre, au début du XIXe siècle, sous sa dépendance directe, l'École des beaux-arts. L'enseignement dispensé aux étudiants est fondé sur le seul dessin, à partir du modèle vivant et de la sculpture antique. Les enseignants sont tous membres de l'Académie. Les candidats à l'entrée à l'École des beaux-arts – tous masculins, les femmes ne seront admises qu'à partir de 1897 – doivent passer un concours d'admission consistant en l'exécution d'un nu dessiné d'après le modèle vivant.

Les élèves admis participent ensuite à de nombreux concours, comme autant d'étapes avant la récompense suprême : le Prix de Rome. Paradoxalement, alors que seul le dessin est enseigné, plusieurs de ces concours portent sur la peinture. Les sujets proposés sont essentiellement tirés de la mythologie et de l'histoire grecque et romaine d'une part, de la Bible d'autre part. Les élèves suivent donc des cours sur ces sujets. À titre d'exemple, pour l'année 1857 (date à laquelle Millet peint Des glaneuses – voir parcours), le sujet du concours du paysage historique était « Jésus et la Samaritaine », et celui de la composition historique, « La résurrection de Lazare ».
L'ambition suprême des élèves est l'obtention du célèbre Prix de Rome (un par an en peinture, sculpture, gravure, architecture et composition musicale). Il permet aux lauréats de séjourner – aux frais de l'État – cinq années à la Villa Médicis à Rome, et les assure pour la suite de leur carrière de commandes officielles.
Dès le milieu du siècle, l'École est accusée d'encourager davantage la persévérance que le talent. Elle est donc réformée en 1863 et, même si l'enseignement du dessin garde sa suprématie, des ateliers pour l'enseignement de la peinture et de la sculpture y sont ouverts.
Parallèlement à cet enseignement officiel, il existe des ateliers privés, qui sont, avant 1863, les seuls lieux d'apprentissage des techniques de la peinture. Ils permettent aux jeunes artistes qui veulent s'émanciper de l'enseignement académique d'y parvenir. Les plus célèbres sont l'Académie suisse, ouverte en 1815, l'atelier du peintre Charles Gleyre à partir de 1844 et l'Académie Julian depuis 1868.

Le Salon, son jury et la crise de 1863

Salon de 1857, vue d'une salle
Pierre-Ambroise Richebourg
Salon de 1857, vue d'une salle, en 1857
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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Le premier Salon fut organisé en 1667 par Colbert. Défini comme une « exposition périodique d’artistes vivants », il tire son nom du Salon carré du Louvre où il se tient jusqu’en 1848. Sa place est essentielle dans la vie artistique du XIXe siècle, car c'est presque le seul lieu où les artistes ont l'opportunité de montrer leur travail (les expositions personnelles ou privées sont très rares).

C'est aussi là que le ministère des Beaux-Arts achète les œuvres pour le musée du Luxembourg, lieu d'exposition des artistes vivants et véritable antichambre du Louvre qui les consacrera à leur mort. Des achats sont aussi réalisés pour les musées de province qui se multiplient au XIXe siècle, ou pour le décor des édifices publics.

Les œuvres proposées au Salon sont soumises à un jury composé le plus souvent de membres de l'Académie qui doit opérer une sélection parmi un nombre toujours croissant d'œuvres, et selon des critères de respect des règles académiques.
En 1863, le jury est si sévère (3 000 œuvres refusées sur les 5 000) que Napoléon III finit par accepter l'organisation dans une partie du Palais de l'Industrie, distincte du Salon officiel, d'un « Salon des Refusés » (Le déjeuner sur l'herbe, présenté par Manet, y fera un scandale retentissant).

Si la participation au Salon reste l'objectif à atteindre pour une majorité d'artistes, d'autres possibilités se font jour et entament leur prééminence : les expositions impressionnistes (entre 1874 et 1886), l'émergence de nouveaux Salons tels le Salon des Indépendants (depuis 1884) et le Salon des Femmes peintres et sculpteurs (1882-1990). La scission au sein de la Société des Artistes français entraîne la création de la Société nationale des Beaux-Arts et la tenue d'un nouveau Salon au Champ-de-Mars (1890). Le développement du marché de l'art passe aussi désormais par des galeries privées.

La critique d'art

Émile Zola
Edouard Manet
Emile Zola (détail), 1868
Musée d'Orsay
Donation sous réserve d'usufruit de Mme Emile Zola, 1918
© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
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Dès que le Salon est organisé selon un rythme régulier (vers 1750), la critique d'art apparaît, sous forme de comptes rendus. La production artistique présentée au Salon s'accroît considérablement au milieu du XIXe siècle, ainsi que l'affluence de visiteurs qui peinent à se forger un jugement – d'où le succès de ces comptes rendus dans la presse. Le critique devient un médiateur, et les périodiques spécialisés dans l’art se multiplient (12 titres en 1850, 20 en 1860). Les rédacteurs, souvent journalistes, se font occasionnellement critiques d'art. Certains toutefois en font une spécialité. À la suite de Diderot, des écrivains s'adonnent également au compte rendu de Salon de façon régulière (Th. Gautier, Ch. Baudelaire, E. Zola, J.-K. Huysmans…).

Si les commentaires se limitent généralement à une description de l'œuvre – celle-ci est rarement reproduite en regard de l'article –, le souci de forger le goût du public va croissant. Ainsi, la couleur politique du journal, les convictions personnelles du critique, ses affinités ou inimitiés avec les artistes donnent à de nombreux commentaires un ton polémique.

Ressources

Œuvres à découvrir en classe

Pour compléter votre visite, quelques œuvres rarement exposées en raison de la fragilité de leur support vous sont proposées en vue d'une consultation en classe.

Photographies

Dessins

  • Gustave Courbet (1819-1877), Jeune homme assis, étude. Autoportrait dit au chevalet, vers 1847, fusain sur papier
  • Edgar Degas (1834-1917), Portrait d'Édouard Manet, vers 1866-1868, mine de plomb

Publications

Les collections du musée d'Orsay

  • Cogeval, Guy (dir.), Le Musée d'Orsay à 360 degrés, Paris, Musée d'Orsay / Skira Flammarion, 2013
  • Madeline, Laurence, Cent chefs-d'œuvre impressionnistes au musée d'Orsay, Paris, Scala, 1999

L'École des beaux-arts et le Salon

  • Comar, Philippe (dir.), Figures du corps : Une leçon d’anatomie à l'École des beaux-arts, Beaux-Arts de Paris éditions, 2012
  • Lemaire, Gérard-Georges, Esquisse en vue d'une histoire du Salon. Le Salon de Diderot à Apollinaire, Paris, Henri Veyrier, coll. « Les Plumes du temps », 1988
  • Lobstein, Dominique, Les Salons au XIXe siècle : Paris, capitale des arts, Paris, La Martinière, 2006
  • White, Harrison et Cynthia, La carrière des peintres au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2009
  • Zola Emile, Le Bon Combat. De Courbet aux impressionnistes, Paris, Hermann, 1974

La critique d'art

  • Bouillon, Jean-Paul, La promenade du critique influent. Anthologie de la critique d'art en France, 1850-1900, Paris, Hazan, 1990
  • Barbillon, Claire, Regards d'écrivains au musée d'Orsay, Paris, RMN, 1992