Thème
Définir l'impressionnisme
L'impressionnisme est aujourd'hui le mouvement pictural le plus populaire de l'histoire de la peinture, probablement du fait de la simplicité des sujets abordés par les peintres, exempts des références érudites de l'académisme, et du traitement si particulier de la couleur. Pourtant, sous cette appellation qui donne un sentiment d'unité stylistique, le mouvement se révèle extrêmement divers dans ses ambitions formelles. Il regroupe en effet des artistes aux personnalités fortes, parfois antagonistes et développant des approches picturales très variées. Ce qui rassemble véritablement des peintres aussi différents que Monet, Degas, Renoir ou Cézanne, c'est une aventure humaine et collective d'une douzaine d'années durant lesquelles se tiennent les huit expositions du groupe, une période très riche d'échanges. Avant 1874, ces artistes exposent peu et ne sont guère reconnus par la critique. Après 1886, ils sont soutenus par des marchands, notamment Durand-Ruel et Petit. Ils s'éloignent progressivement les uns des autres, et l'impressionnisme évolue alors vers de nouvelles recherches, menées par une nouvelle génération.
On peut tenter de définir l'impressionnisme selon un ensemble de critères qui s'additionnent sans pour autant créer de lois ou de dogmes.
L'impression
Le mot « impressionnisme » qui qualifie ce mouvement pictural est revendiqué par les artistes qui le composent à partir de 1877. Il constitue une réponse à l'article publié par Louis Leroy dans le journal satirique Le Charivari, lors de la première exposition du groupe organisée dans l'atelier du photographe Nadar, en 1874. Il y brocarde ainsi une peinture de Claude Monet : Impression, soleil levant (1872, Paris, musée Marmottan). L'artiste cherche à transposer le plus directement possible sa vision sur la toile : « Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans. » La primauté du regard que Monet affirme par ce geste est ce que Zola, en quête d'un moyen de définir l'art, appelle « le tempérament de l'artiste » : « Une œuvre d'art est un coin de la création vu à travers un tempérament. » Il indique aussi pour définir ce groupe de peintres : « Je crois qu’il faut entendre par des peintres impressionnistes des peintres qui peignent la réalité et qui se piquent de donner l'impression même de la nature, qu'ils n'étudient pas dans ses détails mais dans son ensemble. Il est certain qu'à vingt pas on ne distingue nettement ni le nez ni les yeux d'un personnage. Pour le rendre tel qu'on le voit, il ne faut pas le peindre avec les rides de la peau, mais dans la vie de son attitude, avec l'air vibrant qui l'entoure. » (Le Sémaphore de Marseille, 1877)
La matérialité de la peinture
L'impressionnisme, qui choque tant les partisans d'une peinture lisse prônée par les maîtres académiques, se définit aussi par une touche qui reste visible, la juxtaposition de tons purs, une variété des effets de pâte dans un même tableau, laissant même la toile nue apparaître en certains endroits. Cette importance nouvelle accordée à la matérialité de la peinture, au médium lui-même, est mise en exergue par Mallarmé qui se réjouit de voir Manet et ses amis renoncer à « voiler l'origine de cet art fait d'onguents et de couleurs » (1874).
Le réalisme
Ainsi que l'écrit Zola, les peintres impressionnistes sont des « peintres qui peignent la réalité » , qui partagent un même engouement pour la représentation du monde qui les entoure, de leur temps, même si Degas et Cézanne traitent encore sporadiquement de sujets littéraires, bibliques ou classiques. Ils suivent, dans leur exploration du quotidien, le chemin tracé par Courbet puis par Manet et dont le critique Baudelaire fait l'enjeu de la peinture moderne. En 1846, il invite déjà les artistes à peindre leur époque qui « n'est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes. On peut affirmer que puisque tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre » . Le regard des impressionnistes entre 1874 et 1886 accompagnera en effet une époque traversée par de profondes mutations dues à l'industrialisation, l'urbanisation, les mutations sociales, et l'avènement de nouveaux loisirs…
L'indépendance
Les impressionnistes exposent ensemble pour dénoncer et contourner le système des Beaux-Arts qui les rejette. C'est par la force des choses qu'ils organisent la présentation de leurs œuvres en marge des expositions officielles et affirment leur indépendance. En effet, depuis le milieu des années 1860, Monet, Pissarro, Renoir, Sisley, Degas, Cézanne ainsi que Bazille, se heurtent à l'hostilité du jury du Salon. Ils envisagent donc, dès 1867, une exposition commune et indépendante, comme l'avaient fait Courbet et Manet à la suite de Greuze et David. Celle-ci n'aura lieu que le 15 avril 1874 – après la guerre franco-prussienne et la Commune (1870-1871) – sous l'égide de la Société anonyme des artistes-peintres, sculpteurs, graveurs, créée en 1873. Ses statuts prévoient l'organisation d'expositions sans jury ni récompense, et l'édition d'un journal.
Les peintres tentent ainsi de prendre en main la promotion et la mise en vente de leurs œuvres. Ces expositions déchaîneront longtemps encore des réactions violentes de la part du public et des critiques, mais elles leur permettent enfin de montrer leurs œuvres. Ce modèle d'association indépendante de l'administration des Beaux-Arts, expérimenté avec le concours de marchands d'art et galeristes – notamment Paul Durand-Ruel –, s'impose. Il contribuera, à partir de 1881, à l'éclosion de nouveaux mouvements. Il faut cependant relever que Manet, pourtant considéré comme l'inspirateur du mouvement impressionniste, ne s'est jamais associé à ces expositions, et Cézanne deux fois seulement (1874 et 1877), tandis que Renoir (en 1879) et Monet (en 1880) cèdent à la tentation d'exposer au Salon. On note aussi parfois des divergences et des tensions au sein du groupe dont la production picturale n'est pas aussi homogène que l'on pourrait le penser. Ainsi, la brochure La Nouvelle Peinture, publiée à l'occasion de la deuxième exposition du groupe dans la galerie de Durand-Ruel, par le critique Edmond Duranty en 1876, distingue déjà deux courants principaux : l'un centré sur le plein air, l'autre sur la vie moderne.
Les sujets de l'impressionnisme
Le plein air – Le paysage
La peinture en plein air n'est pas une invention de l'impressionnisme. Depuis le XVIe siècle, les peintres s'attellent au paysage sur le motif. Les croquis et esquisses qu'ils rapportent de leurs excursions servent à la réalisation de paysages composés d'après leurs souvenirs. Au début du XIXe siècle, les Anglais, dont Turner, comme les peintres de l'École de Barbizon se passionnent déjà pour l'étude des phénomènes climatiques et atmosphériques observés dans la nature. Alors que les peintres préparaient eux-mêmes leurs couleurs à partir des pigments, la commercialisation de peintures en tube – brevet déposé en 1841 par le peintre John Goffe Rand – vient faciliter le travail hors de l'atelier. Il reste que leurs œuvres font ensuite l'objet de longues séances de travail en atelier. Ce qui change avec l'impressionnisme, ce n'est donc pas l'abolition du travail en atelier, c'est plutôt une façon systématique d'envisager le plein air. Pour le critique Théodore Duret en 1878 : « C'est à eux [aux impressionnistes] que nous devons l'étude du plein air, la sensation non plus seulement des couleurs, mais des moindres nuances des couleurs, les tons, et encore la recherche des rapports entre l'état de l'atmosphère qui éclaire le tableau et la tonalité générale des objets qui s'y trouvent peints. » Ce ne sont donc plus seulement les paysages ni les variations atmosphériques qui les intéressent, mais toute la vie et le temps qui s'écoule en extérieur. Ils étudient leurs contemporains dans tous les espaces possibles, dans la rue, en forêt, sur la plage, au bord de l'eau, au bal…, en restituant les subtiles variations de la lumière. Ainsi, on assiste à un renversement du temps consacré au travail en plein air qui prend nettement le pas sur le travail en atelier pour terminer la toile. Zola décrit dès 1868 ces paysagistes qui « partent dès l'aube, la boîte sur le dos, heureux comme des chasseurs qui aiment le plein air. Ils vont s'asseoir n'importe où, là-bas à la lisière de la forêt, ici au bord de l'eau, choisissant à peine leurs motifs, trouvant partout un horizon vivant, d'un intérêt humain pour ainsi dire ».
- Monet, Renoir, Sisley
Parmi les paysagistes impressionnistes coexistent deux façons d'appréhender le paysage. Autour de Monet se constitue un premier groupe formé de Renoir et de Sisley, tous trois élèves du peintre Charles Gleyre au début des années 1860, et partageant avec Frédéric Bazille, jusqu'à sa mort prématurée (durant la guerre de 1870), les mêmes escapades autour de Paris. Ce sont Monet et Renoir qui, peignant ensemble aux bains de la Grenouillère à Bougival, donnent naissance à ce travail par touches juxtaposées qui, vues à distance, restituent le motif. Dans ces tableaux de la Grenouillère (dont le musée d'Orsay n'a pas d'exemple), le motif est essentiellement constitué par le reflet sur l'eau d'une scène d'été dont les éléments semblent perméables à l'intensité des rayons du soleil. À l'image de cette première expérience, Monet, Renoir et Sisley choisissent souvent des sites proches de la Seine où ils étudient à la fois les reflets et le caractère mobile de la vie qui anime ces sites prisés par les citadins.
- Pissarro et Cézanne
En 1872, Cézanne s'installe à Auvers-sur-Oise et se rapproche de Pissarro. Ce dernier vit alors à Pontoise et se considère comme l'élève de Camille Corot, dont il garde le goût pour les paysages solidement construits. Cézanne et Pissarro travaillent souvent ensemble, choisissant de préférence des villages rustiques, préservés des poussées de la modernisation. Un sentiment de nostalgie de la vie à la campagne anime les motifs de Pissarro, avec des détails bucoliques : fumée sortant des cheminées, paysans au travail, routes qui mènent dans les champs… Les paysages de Cézanne, en revanche, traduisent un souci de permanence et de construction solide et ses villages sont vidés de leurs occupants.
La vie moderne
Si l'on retrouve chez Monet ou Renoir autant de paysages empreints d'une forme particulière de la vie moderne, celle des banlieues et, le plus souvent, des loisirs, le critique Duranty insiste dans son essai, La Nouvelle Peinture, publié en 1876, sur la nécessité de représenter la vie urbaine et ses mœurs. Il écrit : « L'idée, la première idée, a été d'enlever la cloison qui sépare l'atelier de la vie commune […] Il fallait sortir le peintre de sa tabatière […] et le ramener parmi les hommes dans le monde. » Il fait là essentiellement référence à Degas, mais aussi probablement à Caillebotte qui expose pour la première fois en 1876 avec les impressionnistes. Ils s'attachent en effet tous deux à peindre la figure humaine confrontée aux maux supposés de la grande ville qui accompagnent la modernité, tels que la solitude, l'incommunicabilité, l'alcoolisme ou encore la prostitution.
Ils ont aussi en commun un style sous-tendu par une pratique assidue du dessin, contrairement à Monet ou Pissarro, qui privilégient un travail plus direct de la couleur, à même la toile, sans passer par le dessin. Renoir qui aspire à devenir, à l'instar de Degas, un peintre de la figure humaine s'en désole et déclare en 1879 que la touche impressionniste lui a fait entièrement perdre son sens du dessin à force de dissoudre la figure dans la lumière. Paysage ou figure humaine, couleur ou dessin semblent donc inconciliables, et c'est à partir de ces problématiques plastiques que se construit le parcours des impressionnistes et de leurs suiveurs. Dans son Dimanche à l'île de la Grande Jatte (1884, Chicago, Art Institute of Chicago), présenté à la dernière exposition impressionniste de 1886, Georges Seurat tente de dépasser ces contradictions en conciliant dessin et synthèse optique de la couleur. Il ouvre la voie au néo-impressionnisme.
Ressources
Œuvres à découvrir en classe
Pour compléter votre visite, quelques œuvres rarement exposées en raison de la fragilité de leur support vous sont proposées en vue d'une consultation en classe.
Photographies
- Walter Barnes (1844-1911), Apothéose de Degas, 1885, épreuve sur papier argentique collé sur carton à partir d'un négatif verre gélatino-argentique
- Anonyme, Claude Monet devant sa maison à Giverny, 1921, autochrome
- Édouard Baldus (1813-1889), Personnages dans le parc du château de la Faloise 1857, épreuve sur papier salé à partir d'un négatif verre
Dessins
- Paul Cézanne (1839-1906), Les pots de fleurs, vers 1883-1887, crayon, gouache et aquarelle sur papier
- Edgar Degas (1834-1917), Danseuses, vers 1884-1885, pastel
Publications
Le mouvement impressionniste
- Bonafoux, Pascal, Les 100 tableaux qui ont fait l'impressionnisme : et qui en racontent l'histoire, Paris, Le Chêne, 2014
- Lobstein, Dominique, et Madeline, Laurence, ABCdaire de l'impressionnisme, Paris, Flammarion, 1995
- Lobstein, Dominique, Au temps de l'impressionnisme, 1863-1886, Paris, Gallimard / RMN, « Découvertes Gallimard. Arts » , 1994
- Semmer, Laure-Caroline, Les œuvres-clés de l'impressionnisme, Paris, Larousse, 2013
Les peintres impressionnistes
- Cachin, Françoise, Manet, « J'ai fait ce que j'ai vu », Paris, Gallimard / RMN-Grand Palais, « Découvertes Gallimard. Arts » , 1994
- Cogniat, Raymond, Sisley, Paris, Flammarion, « Les Maîtres de la peinture » , 1992
- Darragon, Eric, Caillebotte, Paris, Flammarion, 1994
- Distel, Anne, Renoir, « Il faut embellir », Paris, Gallimard / RMN, « Découvertes Gallimard. Arts » , 2009
- Durand-Ruel Snollaerts, Claire, Pissarro : patriarche des impressionnistes, Paris, Gallimard / RMN-Grand Palais, « Découvertes Gallimard. Arts » , 2012
- Hoog, Michel, Cézanne, « Puissant et solitaire » Paris, Gallimard / RMN-Grand Palais, « Découverte Gallimard. Arts » , 1989
- Mathieu, Marianne (dir.), Berthe Morisot. 1841-1895, cat. exp. (Paris, musée Marmottan Monet, 8 mars – 29 juillet 2012), Paris, Musée Marmottan Monet / Hazan, 2012
- Loyrette, Henri, Degas, « Je voudrais être illustre et inconnu », Paris, Gallimard / RMN-Grand Palais, « Découvertes Gallimard » , 2012
- Patin, Sylvie, Monet, « Un œil… mais, bon Dieu, quel œil ! », Paris, Gallimard / RMN, « Découvertes Gallimard » , 2010
- Vaudepied, Guy, Mary Cassatt, les impressionnistes et l'Amérique, Amiens, Encrage, 2014
Les collections du musée d'Orsay
- Cogeval, Guy (dir.), Le musée d'Orsay à 360 degrés, Paris, Musée d'Orsay / Skira Flammarion, 2013
- Madeline, Laurence, Cent chefs-d'œuvre impressionnistes au musée d'Orsay, Paris, Scala, 1999
Les courants artistiques et la couleur
- Bertolino, Giorgina, Comment identifier les courants artistiques, de l'impressionnisme à l'art vidéo, Paris, Hazan, 2009
- Itten, Johannes, Art de la couleur, approche subjective et description objective de l'art, éd. abrégée, Paris, Derain et Tolra, 2004
- Roque, Georges, Art et science de la couleur, Chevreul et les peintres de Delacroix à l'abstraction, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1997
- Tarabra, Daniela, Comment identifier les grandes périodes stylistiques de l'art roman à l'art nouveau, Paris, Hazan, 2009