Les créateurs et l'affaire Dreyfus

La Vérité c'est très joli (dessin lié à l'affaire Dreyfus), entre 1897 et 1898
Musée d'Orsay
Achat, 2017
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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L’accrochage montre deux facettes de la production graphique d’Hermann-Paul, artiste engagé dans les rangs dreyfusards : des dessins satiriques pour la presse et des dessins judiciaires couvrant les audiences du procès Zola puis du procès en révision de Dreyfus à Rennes (salle 41).
La programmation cinématographique permet de découvrir le rôle capital joué par Lucie Dreyfus, la « compagne héroïque et dévouée » du capitaine, pour soutenir celui-ci dans les épreuves traversées et faire éclater la vérité, à travers trois extraits de films réalisés en France entre 1899 et 1908 (salle 47).
Enfin, un parcours à travers les collections interroge le positionnement et le rôle joué par certains créateurs et figures de la scène artistique de cette époque.
Présentation en écho à l'exposition « Alfred Dreyfus. Vérité et justice » au Musée d'art et d'Histoire du Judaïsme du 13 mars au 31 août 2025.
De 1894 à 1906, la Troisième République fut confrontée à ce qui serait l’une de ses plus graves crises. Un officier de l’armée française, de confession juive, le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), fut accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne. Jugé à huis-clos par sa hiérarchie, sur la foi d’une preuve qui s’avéra être un faux, il fut accusé de trahison et condamné à la déportation à vie sur l’île du Diable.
À bas bruit, deux contre-enquêtes furent menées, l’une par la famille du condamné et l’autre par le lieutenant-colonel Picquart du service de renseignement de l’État-Major, qui établirent la responsabilité du véritable coupable : le commandant Esterhazy.
La forte médiatisation donnée aux faits par Mathieu Dreyfus, qui réussit à mobiliser publiquement des journalistes, des intellectuels, des artistes et des citoyens convaincus de l’innocence de son frère, déclencha l’affaire Dreyfus dont les années 1898-1899 furent les plus vives, galvanisées par le réquisitoire implacable de Zola qui mit au grand jour le scandale. L’opinion publique française fut partagée entre, d’un côté, les dreyfusards convaincus de l’innocence du capitaine qui s’érigeaient en défenseurs de la vérité et de la justice, et de l’autre, les antidreyfusards, antirépublicains, nationalistes et antisémites, militants inconditionnels de la culpabilité de Dreyfus.
C’est durant les années les plus intenses de l’affaire Dreyfus (1898-1899), qui furent perçues comme un « âge du papier » et un déchaînement des opinions, que René Georges Hermann Paul dit Hermann-Paul (1864-1940) participa à la guerre des crayons par laquelle les dessinateurs antidreyfusards et leurs confrères dreyfusards se combattirent sans relâche et parfois férocement, conscients de leur rôle et de la force spécifique de leur moyen d’expression. Aux côtés des intellectuels, écrivains et scientifiques, ces derniers s’attachèrent à transformer l’affaire Dreyfus et ses polémiques en une tribune qui devait dépasser la simple chronique quotidienne des méandres d’un dossier judiciaire riche en rebondissements. Hermann-Paul appartient au nombre des dessinateurs, peintres ou sculpteurs qui, par attachement à la République et au respect de ses fondements - la vérité, la justice, l’égalité, la liberté -, mirent leurs moyens d’expression au service de la cause de Dreyfus.
La production d’Hermann-Paul relative à l’Affaire prit deux formes : le dessin de presse satirique et le croquis judiciaire. Son activisme graphique valut au dessinateur d’être rapidement consacré comme le « Forain de la gauche », dans un contexte politique, social et éthique particulièrement mouvementé, où les fondements de la République furent menacés. Il publia dans Le Cri de Paris de grands dessins en double page dans lesquels il brocarda les agissements de l’armée et de la justice, les citoyens refusant de douter de la chose jugée, les responsables politiques empêtrés dans des déclarations ou des positions intenables, les passions d’une société en proie au venin de l’antisémitisme. Parallèlement à sa production de dessinateur de presse et de caricaturiste, Hermann-Paul fut envoyé par Le Figaro comme dessinateur judiciaire, pour couvrir les audiences du procès Zola de février 1898 et du procès en révision de Dreyfus, qui se tint à Rennes, en août-septembre 1899. Le musée d’Orsay conserve un ensemble de près de 300 croquis d’audience d’Hermann-Paul qui montrent son talent de dessinateur judiciaire non professionnel et éclairent du même coup la sincérité de ses convictions dreyfusardes, avant qu’il ne devienne, après la Première Guerre mondiale, un dessinateur ouvertement antisémite collaborant aux journaux d’extrême-droite Candide, Gringoire et Je suis partout.
Commissariat
- Bertrand Tillier, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ;
- Isolde Pludermacher, conservatrice générale Peinture au musée d’Orsay, avec Géraldine Masson, chargée de valorisation de la collection arts graphiques au musée d’Orsay.
Entre mars et décembre 1895, les frères Lumière organisent à Paris et à la Ciotat les premières projections de films enregistrés par le cinématographe. La même année le capitaine Alfred Dreyfus est accusé de haute trahison au profit de l’Allemagne, dégradé dans la cour de l’École militaire de Paris devant des centaines de soldats et de badauds puis envoyé au bagne à vie sur l’Île du Diable en Guyane.
Sensibles à l’intérêt dramatique de l’Affaire et de ses rebondissements aux allures de guerre civile culturelle et politique entre dreyfusards et antidreyfusards, des réalisateurs, conscients de rencontrer l’histoire, s’emparent très vite du sujet. Parmi la dizaine de films contemporains (films à trucs, actualités reconstituées, vues comiques), certains mettent en scène, au détour d’une séquence ou d’une image volée, le combat de Lucie Dreyfus pour soutenir et innocenter son mari : un engagement acharné, bien qu’à l’ombre du frère et des avocats de l’officier.
« Pourquoi avez-vous fait un tel éloge de moi, je suis bien loin de le mériter. Si j’ai supporté ces années de souffrances, c’est que je le devais à mon mari, à mes enfants. J’ai fait tout simplement mon devoir ; si j’avais fait autrement, j’aurais été criminelle » (Lucie Dreyfus dans une lettre à son amie Hélène Naville, Juillet 1898)
En multipliant les démarches auprès des cercles politiques, judiciaires, religieux et intellectuels, afin de faire éclater la vérité et laver l’honneur d’Alfred Dreyfus, qui sera réhabilité en 1906, Lucie Dreyfus marque l’avènement de l’intervention des femmes sur la place publique. Le cinéma naissant participe à faire d’elle une figure incarnant les valeurs universelles que sont la loyauté, la justice et l’amour.
Commissariat
- Marie Robert, conservatrice en chef au musée d’Orsay, Photographie et Cinéma.
Un parcours au sein des collections du musée évoque le positionnement d’artistes et d’intellectuels dans cette crise républicaine majeure. Il explore les œuvres de peintres et de sculpteurs comme Edgar Degas, Paul Cézanne, Édouard Manet et Auguste Rodin, dont la création ou la réception a été marquée par l’Affaire, ou qui sont liées à des personnalités publiques impliquées (Zola, Clemenceau, Anatole France…).
Exposé en 1898, le Balzac d’Auguste Rodin est notamment refusé par son commanditaire, la Société des gens de lettres, au motif que l’on n’y reconnaît pas le romancier. Une polémique se développe alors, qui s’entremêle avec l’affaire Dreyfus : la plupart des artistes et hommes de lettres qui admirent l’œuvre sont dreyfusards, tandis que ses détracteurs sont majoritairement antidreyfusards. Rodin décide de retirer son Balzac, car il ne souhaite pas prendre parti.
La presse joue également un rôle majeur dans l’affaire Dreyfus, et de nombreux journalistes et hommes de lettres s’engagent dans un camp ou dans l’autre. Les caricaturistes aiment détourner les œuvres célèbres pour frapper l’opinion. En octobre 1898, Henri-Gabriel Ibels (1867-1936) publie ainsi un dessin intitulé « Le Colonel Henry gardant le secret de l’État-major », reprenant la pose de l’œuvre du sculpteur antidreyfusard Saint-Marceaux. Le colonel Henry avait créé, à la demande de sa hiérarchie, de faux documents accusant Dreyfus.
Le journaliste et polémiste Henri Rochefort fut aussi l’un des plus farouches opposants au Second Empire, avant d’évoluer vers des positions de plus en plus nationalistes et conservatrices. Rodin fait son portrait en 1884, et en donne cette version agrandie, plus sombre, en 1898, l’année même où il expose son Balzac, que Rochefort critique très violemment. Ouvertement antisémite, il est un antidreyfusard particulièrement virulent.
Commissariat
- François Blanchetière, conservateur en chef au musée d'Orsay, Sculpture et Architecture.
- Lundi Fermé
- Mardi 9h30 - 18h00
- Mercredi 9h30 - 18h00
- Jeudi 9h30 - 21h45
- Vendredi 9h30 - 18h00
- Samedi 9h30 - 18h00
- Dimanche 9h30 - 18h00
- Plein tarif horodaté
- 16 €
- Tarif réduit horodaté
- 13 €
-
Enfant & Cie
-
13 €
-
Nocturne
-
12 €
-
- de 18 ans, - de 26 ans résidents EEU
-
Gratuit
Œuvres de l’exposition

Pas d'erreur ! (dessin lié à l'affaire Dreyfus), entre 1897 et 1898
Musée d'Orsay
Achat, 2017
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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Portrait d'homme de profil, 1899
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Achat, 2000
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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Balzac, 1898
Collection Musée Rodin, Paris - Musée d'Orsay
Donation A. Rodin, 1916 ; Dépôt du musée Rodin, 1986
© Musée d’Orsay, dist. GrandPalaisRmn / Allison Bellido
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La Vérité c'est très joli (dessin lié à l'affaire Dreyfus), entre 1897 et 1898
Musée d'Orsay
Achat, 2017
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
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