Akseli Gallen-Kallela (1865-1931). Une passion finlandaise
Chronologie
1865 : Axel Waldemar Gallén naît à Pori, sur la côte ouest du grand-duché de Finlande qui fait alors partie de l'Empire russe.
1876 : Gallén entre au lycée suédois à Helsinki, la capitale du grand-duché. Il suit, le soir, des cours de dessin.
1881 : Agé de 16 ans, il quitte le lycée et se consacre à l'art.
1884 : En automne, il quitte la Finlande pour Paris.
1890 : Mariage avec Mary Helena Slöör. Voyage de noces en Carélie. 1893 : Gallén adhère à la cause des Jeunes Finnois, mouvement qui s'est donné pour mission de renforcer l'identité culturelle de la Finlande. 1895 : Séjour à Berlin, où il s'intègre dans les milieux d'avant-garde. La mort brutale de sa fille le ramène en Finlande. Durant l'été, il s'installe à Ruovesi, où il se fait construire une maison-atelier.
1898 : Voyage en Italie.
1900 : Présentation des oeuvres de Gallén dans le pavillon finlandais à l'Exposition universelle de Paris.
1905 : Gallén s'associe à la résistance passive des Finlandais contre l'oppression russe.
1907 : L'artiste adopte officiellement le nom de Akseli Gallen-Kallela, à la consonance finnoise.
1909-1910 : Séjour en Afrique équatoriale.
1917 : Indépendance de la Finlande. Gallen-Kallela participe à la guerre civile qui s'ensuit dans les rangs des "Blancs", conduits par le général Carl Gustav Mannerheim.
1923-1926 : Voyage aux Etats-Unis.
1928 : Décoration de la voûte du Musée national à Helsinki.
1931 : Gallen-Kallela meurt à Stockholm d'une pneumonie.
Paysans et vie rurale
Au début de sa carrière, Axel Gallén se spécialise dans des sujets tirés de la vie des campagnes. Il connaît bien cet univers puisqu'il a passé son enfance dans une contrée rurale, à Tyrvää, en Finlande de l'ouest. Peint en 1884 à Tyrvää, Garçon et corbeau porte l'influence du peintre naturaliste français Jules Bastien-Lepage. Dans La vieille femme et le chat, en 1885, Gallén donne à la paysanne des traits rongés et une silhouette déformée par le labeur.
Dans les années 1886-1889, à l'occasion de séjours à Keuruu, en Finlande centrale, Gallén infléchit son style et ses sujets : il peint des intérieurs dont les clairs-obscurs évoquent Rembrandt. Il représente des scènes typiquement finlandaises : le rituel du sauna, la réunion de la famille dans la pièce à vivre où les pains de seigle sèchent en hauteur. Les personnages sont simples et dignes. A partir de 1890, les paysages sauvages de la Carélie forment de grands décors donnant un sentiment de fusion de l'homme avec la nature.
Paris
De l'automne 1884 à la fin du printemps 1889, Axel Gallén fait trois séjours à Paris entrecoupés par des retours en Finlande. A son arrivée, il s'installe aux Batignolles et étudie l'art à l'Académie Julian, avec William Bouguereau et Tony Robert Fleury. En 1887, il s'inscrit à l'atelier de Fernand Cormon dont il apprécie la peinture d'histoire. Pendant tous ces séjours, il souffre du mal du pays, bien qu'il soit entouré d'un cercle étendu d'amis. Parmi eux, les plus proches, comme August Strindberg, sont des nordiques.
A Paris, Gallén s'exerce au nu d'atelier. Il peint des scènes de rue et de café, comme Boulevard parisien. Il réalise des scènes d'intérieur. Dans Démasquée, il représente une prostituée nue, assise sur un canapé revêtu d'un ryijy, un textile typique de l'art populaire finlandais. Il peint aussi son autoportrait, et des portraits, comme celui de son ami l'artiste norvégien Carl Adam Dørnberger. Il participe au Salon de la Société des artistes français en 1886, 1888 et 1889.
Portraits
Les portraits d'Axel Gallén sont des témoignages picturaux de la haute société du grand-duché. Antti Ahlström, représenté en famille dans son salon et Gustav Serlachius, qui se tient fièrement au milieu de son usine, sont les capitaines d'industrie de la Finlande moderne. Ahlström est un armateur qui investit dans les scieries et un mécène pour la culture finlandaise. Serlachius s'est lancé dans l'industrie de la pâte à papier.
Professeur de mathématiques, Edvard Neovius est aussi sénateur. Dans le portrait de famille que Gallén peint en 1886, le savant est assis dans la pénombre, et sa fille Saima, qui joue au piano, est irradiée de lumière.
Avec son regard inquiet et ses longues mains jointes, Ida Aalberg, actrice très célèbre du Théâtre finlandais, a bien l'air d'une diva à la personnalité tourmentée.
Enfin, le portrait naturaliste que donne l'artiste de sa jeune épouse Mary Gallén la représente avec tous les atours d'une grande bourgeoise en pleine communion avec la nature primitive.
Paysages
En juin 1889, Gallén se rend à Keuruu, en Finlande centrale, avec son ami Louis Sparre. Il y réalise plusieurs paysages. Il utilise un bleu éclatant pour mettre en valeur le lac Jamajärvi, et s'applique à restituer les reflets mordorés des bouleaux.
Pendant l'été 1892, c'est le territoire mythique de la Carélie qu'il représente, avec Le Grand Pic noir, tableau dans lequel l'oiseau semble insuffler une âme à la nature environnante. Dans Rapides à Mäntykoski, Gallén associe la représentation réaliste de la cascade avec un élément abstrait : cinq cordes d'or partagent le tableau verticalement et suggèrent un écho musical à la chute d'eau. Le site d'Imatra, avec ses rapides spectaculaires, est déjà une attraction touristique ; Gallén en fait une icône du paysage finlandais.
L'artiste réalise aussi de nombreux tableaux dans la région de Ruovesi, en Finlande de l'ouest. Dès 1902, sous l'influence des mouvements allemands Phalanx, puis Die Brücke, les paysages de Gallén acquièrent des couleurs scintillantes et deviennent très stylisés.
Symbolisme
Dans les années 1893-1894, Gallén réalise une série d'oeuvres qui s'inscrivent dans le mouvement symboliste européen. Elles tirent leurs sources d'inspiration de scènes bibliques ou de grands récits sur la création du monde. La théosophie et l'occultisme influencent Gallén : il a visité en 1892, à Paris, le premier Salon de la Rose-Croix.
Les symboles qu'il introduit ont une dimension mystique et initiatique. Dans Ad Astra, Gallén donne sa propre vision du thème de la Résurrection qu'il interprète comme un processus de libération qui succède aux souffrances humaines.
Dans Symposium, deux hommes assis à une table fixent une apparition étrange au-dessus de la table, située à l'extérieur de la peinture. Le personnage qui se tient debout, en noir, est l'artiste lui-même. Ses deux compagnons sont Robert Kajanus et Jean Sibelius, compositeurs de musique finlandais. L'apparition fugace qu'ils sont en train d'observer symbolise le mystère de l'art, auquel le personnage assoupi n'a pas accès.
Le Kalevala
Le Kalevala est une épopée composée par Elias Lönnrot dans les années 1830 à partir d'anciens poèmes chantés de la tradition orale finnoise, recueillis auprès de bardes qui savent encore les réciter. La première publication du Kalevala, en 1835, suscite un énorme enthousiasme. L'oeuvre de Lönnrot devient le symbole de l'identité nationale.
Axel Gallén donne toute sa majesté visuelle aux thèmes magiques et héroïques du Kalevala. Il emploie d'abord un style naturaliste dans la Légende d'Aino et dans Le Forgeage du Sampo. Mais pour représenter les héros Väinämöinen et Lemminkäinen, dotés de pouvoirs surnaturels, il trouve un style neuf où dominent l'exagération des couleurs et les décors stylisés. Dans La Défense du Sampo, on assiste à une lutte pour la conquête d'un objet magique, qui donne à son possesseur pouvoir et abondance : le Sampo. Dans La Mère de Lemminkäinen, celle-ci s'apprête à ressusciter son fils qu'elle a retrouvé déchiré en morceaux dans le fleuve des morts, le Tuonela.
Le mausolée Juselius
En 1898, Arthur Juselius, qui vient de perdre sa fille unique âgée de 11 ans, Sigrid, confie à Gallèn le décor du mausolée qu'il fait construire. Le bâtiment est réalisé par Josef Stenbäck dans un style néo-gothique.
Juselius veut que l'intérieur soit magnifiquement décoré. L'essentiel du programme iconographique est confié à Gallén. En 1902, celui-ci fait de nombreuses études préparatoires pour des oeuvres qui seront peintes à la fresque. Détruites par un incendie, celles-ci sont restituées en 1930 par Jorma Gallen-Kallela.
Gallén consacre ces fresques au cycle de la vie et de la mort. Il traite ce thème en relation étroite avec le rythme des saisons, et dans une perspective métaphysique. Dans Printemps, une femme en robe noire, symbole de la mort, menace la joie simple des enfants. La mort plane aussi dans Construction : c'est le lait destiné à un nouveau-né disparu que la femme donne à son aîné. La rivière du Tuonela, rivière des morts dans le Kalevala, emporte sans merci les vivants désespérés.
Arts décoratifs
L'intérêt de Gallén pour les arts décoratifs s'éveille en 1894-1895, lorsqu'il fait construire sa maison-atelier Kalela. Il décide en effet d'en dessiner lui-même les aménagements. Il fabrique des meubles en bois, aux formes robustes et rectilignes, dont on chercherait en vain des inspirations dans le folklore finlandais. Ces créations dégagent une impression rustique qui les place dans la mouvance d'une partie des réalisations de l'Art Nouveau européen. Le buffet créé en 1897 est orné d'un décor sculpté qui symbolise l'arbre de la connaissance.
Louis Sparre, un ami de Gallen rencontré en 1887 à l'Académie Julian, a créé en 1897 l'entreprise d'arts décoratifs Iris, sur le modèle de celle de William Morris à Londres. C'est lui qui demande à Gallén de concevoir la chambre Iris au sein du pavillon finlandais à l'Exposition universelle de Paris en 1900. Les céramiques d'Alfred William Finch, qui est influencé par les réalisations belges de l'Art Nouveau y sont également présentées.
Art total
A la fin du XIXe siècle, de nombreux artistes européens, comme Carl Larsson en Suède, s'installent dans des contrées reculées, loin des villes. Ils se font construire une maison à leur image dont ils veulent maîtriser complètement l'espace intérieur et le mobilier. C'est la démarche que suit Gallén en 1894-1895 avec sa maison-atelier Kalela, construite en rondins de pin, d'après ses propres plans et en employant des méthodes constructives traditionnelles. Gallén fabrique lui-même le mobilier de Kalela.
En 1900, il conçoit la chambre Iris dans le pavillon finlandais à l'Exposition universelle de Paris. Par son élégance sobre, le mobilier se démarque du primitivisme. Gallén crée aussi une oeuvre textile, appelée ryijy en finnois: le ryijy Flamme, qui évoque à la fois le monde végétal - des fougères - et un feu. La chambre Iris marque l'acte de naissance de l'art finlandais pour le public international. Le ryijy Flamme est devenu un incunable du design finlandais.
L'Afrique
A partir de 1902, Gallén est en contact étroit avec l'avant-garde allemande, qui va bientôt aboutir à l'expressionnisme. Il souffre de la situation politique en Finlande : en 1908, les autorités russes dissolvent le Parlement finlandais qui avait été élu pour la première fois au suffrage universel en 1907, l'année même où Gallén a pris le nom finnois de Gallen-Kallela. La peinture qui le représente à ski avec son fils, en hiver 1909, rend bien cette tension. L'artiste s'installe à Paris, mais une force irrésistible le pousse plus loin, en Afrique où il veut découvrir des territoires et des populations authentiques.
En mai 1909, il s'embarque de Marseille pour l'Afrique orientale britannique (le Kenya actuel) avec sa femme et ses deux enfants. Ils vont y rester 16 mois. Pendant ce séjour, l'artiste vit dans des campements, fait des safaris, participe à des chasses et rassemble des matériaux ethnographiques. Il part en expédition au Mont Kenya, et entre en contact avec les peuples de la région. Il rapporte de ce voyage une formidable oeuvre expressionniste.