Exposition au musée

Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l'harmonie

Du 12 avril au 21 août 2022
Aristide Maillol (1861-1944)
La Montagne
Photo RMN René-Gabriel Ojéda / Rene-Gabriel Ojeda

Maillol Peintre

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Maillol arrive à Paris en 1882 pour répondre à une vocation de peintre. Il étudie dans l’atelier d’Alexandre Cabanel, puis dans celui de Jean-Paul Laurens. En 1885, il est admis à l’École des Beaux-Arts. Sa première œuvre connue, un Autoportrait daté de 1884, se revendique de Courbet. Il peint par la suite essentiellement des paysages baignés par la lumière de son Roussillon natal, où il retourne régulièrement. La découverte de Puvis de Chavannes en 1887 puis de Gauguin vers 1889 l’entraîne dans une direction radicalement différente, déjà manifeste dans la Couronne de fleurs de 1889 : une peinture synthétiste caractérisée par des aplats de couleur, un refus de la perspective linéaire et la recherche d’effets décoratifs. Vers 1890, la carrière de peintre de Maillol prend un nouvel essor grâce aux commandes du sculpteur roussillonnais Gabriel Faraill. Il peint ses filles de profil, souvent coiffées de chapeaux extravagants, cadrées aux épaules, et parfois en pied par goût des grands formats. Ces portraits offrent l’écho de ses visites dans les musées, où il a autant regardé les portraits des débuts de la Renaissance (Pisanello) que ceux de ses contemporains, comme La Mère de Whistler (1871).

Questions de décor

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Comme beaucoup de ses contemporains, Maillol s’intéresse à la matière, « sans autre raison que le plaisir », selon sa biographe Judith Cladel. Cette curiosité le conduit à explorer plusieurs disciplines dans les années 1890, à commencer par la broderie. La première est présentée en 1893 au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Concert de femmes est remarqué par les Nabis en 1895. Grâce à Édouard Vuillard, Maillol fait alors la connaissance de la princesse Hélène Bibesco, son premier mécène, qui l’encourage à continuer : il produit des broderies, tentures murales, garnitures de sièges, écrans de cheminée. Tout en surveillant les ouvrières chargées de l’exécution des broderies, Maillol taille ses premiers bois et s’essaie bientôt à la céramique, à Banyuls et à Paris. Mal outillé, il exécute avec simplicité des objets d’usage courant : des vases et des veilleuses exposées en 1897, puis un relief, et enfin des fontaines d’appartement dont l’une obtient une médaille d’argent à l’Exposition universelle de 1900. En 1899, il est nommé sociétaire de la Société nationale des beaux-arts dans la section Objets d’art, alors que le plaisir qu’il a pris à tailler le bois puis à modeler des statuettes l’encourage à se tourner vers la sculpture.

Baigneuses et Lavandières

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Vers 1895, Maillol s’intéresse aux thèmes des lavandières et baigneuses. Il est sans doute marqué par l’art de Paul Gauguin découvert vers 1889 grâce à un ami commun, le peintre George-Daniel de Monfreid. Le goût pour l’expérimentation et la facilité déconcertante avec laquelle Gauguin passe d’une discipline à l’autre, fait circuler et adapte ses motifs selon les matériaux et les supports, ont montré une voie possible à Maillol.

La pratique simultanée de la peinture, de la broderie, de l’estampe et de la sculpture caractérise son art entre 1895 et 1904, avant sa maladie des yeux et la prééminence donnée à la sculpture.

Premier nu abouti, La Vague est probablement peinte « de chic », c’est-à-dire sans modèle. Dans des teintes sourdes, une baigneuse décorative dont le corps occupe tout le cadre se détache sur fond de mer. Transposée en estampe, la baigneuse devient le bois gravé le plus gauguinien de Maillol, sur fond d’eau parsemé de grandes taches mouvantes. Maillol transcrit également ce motif dans un médaillon en relief : l’accent est mis sur la solidité du corps galbé par contraste avec l’onde ridée (sur la table centrale de cette section).

Il poursuit durablement les réflexions sur les baigneuses de dos et de face, en particulier dans des illustrations pour les Églogues de Virgile.

Vers la sculpture

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

En 1896, Maillol expose une peinture intitulée Sur le fond de la mer à la galerie Le Barc de Boutteville (Paris). Il pourrait s’agir de Femme à la vague qu’il considère comme l’une de ses meilleures peintures. Sa compagne, et bientôt épouse, Clotilde lui sert de modèle.

Dans un cadrage moins serré, il exécute un dessin au fusain à grandeur d’exécution qui sert de carton de référence pour l’exécution par Clotilde d’un écran de cheminée en broderie. Maillol adopte une composition volontairement décorative, anatomiquement impossible, encadrée par une frise végétale.

Il fait évoluer ce motif dans des directions et supports variés : gravure sur bois, et enfin relief de grandes dimensions en plâtre présenté grâce à Auguste Rodin à un emplacement favorable au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1903. Dans ce relief baptisé Femme au bain, le contexte marin disparaît presque. Seule une légère draperie volante recouvre le bras droit et anime discrètement le fond d’où jaillit le corps simplifié, puissant et monumental.

Ce plâtre constitue la première sculpture de grande dimension de Maillol conservée, préalable à Méditerranée.

 

Le temps des baigneuses

« Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
« Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Grâce à son ami le peintre hongrois József Rippl-Rónai, Maillol rencontre vers 1893 le groupe des Nabis. En mai 1902, un exemplaire de sa Léda est présenté à la Galerie Bernheim-Jeune (Paris) au milieu de peintures de Bonnard, Denis, Roussel, Vuillard et Vallotton. L’année suivante, Maillol quitte Villeneuve pour Marly-le-Roi pour se rapprocher de ses amis, notamment Maurice Denis, qui habite Saint-Germain-en-Laye.

Sans doute grâce à Édouard Vuillard, Maillol rencontre le marchand Ambroise Vollard, qui l’encourage dans la voie de la sculpture : il organise en 1902 sa première exposition personnelle et signe avec lui un contrat pour l’édition de ses statuettes.

S’il continue à tailler le bois, Maillol modèle désormais des baigneuses intemporelles traitées avec une grande économie de moyens, un modelé simplifié et des attitudes minimalistes. Dans un texte fondateur, Maurice Denis vante la sobriété, l’équilibre des proportions et la gaucherie instinctive de Maillol. Pour Octave Mirbeau, « Ce qu’il y a d’admirable en Maillol, […] c’est la pureté, la clarté, la limpidité de son métier et de sa pensée ; c’est que, en aucune de ses œuvres, du moins en aucune de celles que j’ai vues, jamais rien n’accroche la curiosité du passant ! »

Maillol et l'Allemagne

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Harry Kessler et Ambroise Vollard, Maurice Denis et Henry Van de Velde assurent le rayonnement de Maillol à l’étranger. Admirateur des sculptures de Maillol avant même de le rencontrer en 1904, Kessler s’emploie à le faire connaître dans son pays : « Depuis que j’ai fait votre connaissance, il me vient beaucoup de sympathie de l’Allemagne », reconnait Maillol en 1905. En 1906, le salon de musique de Kurt von Mutzenbecher, directeur de théâtre à Wiesbaden, est décoré, ainsi que l’appartement de Kessler à Weimar, par Maurice Denis et Maillol, sous la direction d’Henry Van de Velde.

En 1914, Kessler adresse à Maillol un télégramme lui conseillant d’enterrer ses statues devant l’avancée des troupes allemandes. Maillol est accusé de complicité avec l’ennemi mais innocenté grâce à l’appui de Georges Clemenceau. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses sympathies allemandes conduisent Maillol à accueillir des soldats allemands à Banyuls. S’il refuse le voyage en Allemagne organisé pour les artistes français par l’occupant, il se rend cependant en 1942 à l’inauguration de l’exposition consacrée au sculpteur hitlérien Arno Breker à Paris, saisissant cette occasion pour franchir la ligne de démarcation et revoir son atelier de Marly. Cet épisode regrettable entache durablement sa réputation.

Maillol le Catalan

« Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
« Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Né et élevé à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), Maillol y revient chaque hiver. Les peintres George-Daniel de Monfreid et Étienne Terrus, plus tard le sculpteur Manolo Hugué, font partie de son entourage proche. Il entretient des liens étroits avec un milieu perpignanais d’écrivains et musiciens défenseurs de la culture catalane. Pour ses amis parisiens, il est indissociable du Roussillon dont la généreuse Pomone semble l’incarnation. Rippl-Rónai représente son ami devant les toits en tuiles de Banyuls. Bonnard, Vuillard et les frères Bibesco, Maurice Denis, Kessler et bien d’autres lui rendent visite.

À Banyuls, Maillol habite la Maison rose de son grand-père, au cœur du vieux village côtier. En 1894, il y installe son atelier de brodeuses et y réalise ses premières sculptures. Il dessine les femmes et les jeunes filles de son entourage, dans leur quotidien. En 1912, il acquiert une métairie dans la vallée de la Roume, dans l’arrière-pays. Il y trouve un accord profond avec la nature qui s’exprime en particulier dans ses illustrations de Virgile ou d’Horace. Tout naturellement, c’est à Banyuls que la caméra de Jean Lods suit en 1943 celui que Maurice Denis désigne comme le « chevrier de Virgile, amoureux de toute la nature de sa petite patrie. ».

Clotilde épouse et modèle

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

La liaison bientôt suivie d’un mariage avec Clotilde Narcis offre à Maillol la possibilité de disposer en permanence d’un modèle : « Je relève les jupes de ma femme et je trouve un bloc de marbre ». Clotilde correspond à un idéal, celui du type physique méditerranéen. Maillol aime les corps denses, les jambes solides, les formes développées : « La sculpture est un art masculin, il faut qu’elle soit forte, sans ça, ça n’est rien. »

Maillol n’a de cesse de dessiner Clotilde pendant une douzaine d’années, entre 1895 et au moins 1907. Elle pose pour les premières sculptures monumentales : Méditerranée, La Nuit, L’Action enchaînée. Elle est saisie dans son intimité par des dessins rapides qui saisissent une ligne, une attitude.

Maillol dessine non pour capter la véracité d’un instant, mais pour « comprendre [le] corps » de ses modèles. Il est dirigé par une aspiration au général et à la simplification, à des principes anatomiques et structurels communs. Même si les modèles sont reconnaissables sur un certain nombre de dessins, Maillol opère une mise à distance dès les séances de pose : « Je regarde le modèle, et quand je l’ai bien dans l’œil, je travaille sur le papier pour faire ce que j’ai compris. Je ne regarde pas si le modèle et le dessin c’est bien pareil, comprenez-vous, je ne copie pas le modèle. »

D'un modèle à l'autre

Vue de l
Vue de l"exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie »
© Sophie Crepy

 

Le temps passant, Clotilde pose de moins en moins. Dès 1900, Maillol fait appel à d’autres modèles : un premier torse de La Jeunesse est ainsi modelé entre 1905 et 1910 d’après « une jeune fille magnifique, qui venait me poser. Elle avait un corps très curieux ».

Maillol prend aussi l’habitude de faire poser ses domestiques, solution discrète et facile : Laure pour Pomone, Thérèse dans l’après-guerre.

Au fil de la création, Maillol synthétise, souvent à partir de plusieurs modèles. Pour Île-de-France, il part en 1910 d’un premier modèle souple et longiligne, suivi sans doute de la « môme Papa » au début des années 1920, puis d’un troisième, une domestique noire de la famille Hahnloser.

En 1907, Maillol confie à Harry Kessler : « Une fois que j’aurai commencé, je ne ferai plus que des hommes, c’est bien plus facile. Chez un homme, il y a toujours quelque chose, un muscle, où se rattraper. Chez les femmes, il n’y a rien, pas de formes, il faut tout inventer, excepté quand elles sont très bien faites, mais c’est rare. » Sous l’impulsion de Kessler, il fait poser quelques modèles masculins, en particulier le jeune Gaston Colin, pour Le Désir et Le Cycliste. En 1911, Kessler lui suggère pour un projet de Monument à Nietzsche à Weimar, une figure d’Apollon à partir du danseur russe Vaslav Nijinsky, dont il simplifie les attitudes. Cet essai avorté signe la fin des projets de sculptures masculines de Maillol, même s’il continue à dessiner régulièrement des hommes dans ses carnets de dessin et illustrations.

Dina, la dernière muse

Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie » : La Montagne, Aristide Maillol
Aristide Maillol
Vue de l'exposition « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie » : La Montagne
© Sophie Crepy

La rencontre avec la jeune Dina Aïbinder semble réaliser une prophétie de 1907 : « Quand j’aurai trouvé le modèle qui me va tout à fait, je resterai dessus quatre ou cinq ans, à faire une statue. C’est comme ça qu’on fait de belles choses, c’est comme ça qu’ont fait les Grecs. » C’est l’architecte Jean-Claude Dondel qui parle à Maillol de la jeune fille de quinze ans. Maillol lui écrit alors cette lettre : « Je voudrais bien que vous fussiez un petit Maillol car c’est bien difficile à trouver. Mais je me contenterai bien d’un petit Renoir ! » Dina inspire Maillol pour des peintures et pose pour La Montagne, La Rivière, puis à Banyuls épisodiquement entre 1940 et 1944 pour son testament artistique, Harmonie. Après l’arrestation de la jeune femme pour passage de la frontière franco-espagnole, le sculpteur l’envoie au début de l’année 1941 poser pour ses amis Henri Matisse et Pierre Bonnard. Dina se fait de nouveau arrêter en mai 1943. Maillol parvient à la faire libérer, et elle reprend les séances de pose.

Comme un père, Maillol a craint pour la vie de son modèle qui a pris une place incontournable dans sa vie : « Dina, c’est comme ma fille. Je suis heureux d’avoir pu la sauver. » Lorsque la jeune femme part pour participer à la Libération de Paris, Maillol est plus que jamais isolé. Il meurt le 27 septembre 1944 des suites d’un accident de voiture, loin de celle qui avait promis de lui fermer les yeux. Elle fera de la glorification de Maillol le combat de sa vie.