Exposition au musée

Daumier

Du 08 octobre 1999 au 03 janvier 2000
Etienne Carjat-Honoré Daumier (détail)
Etienne Carjat
Honoré Daumier (détail), vers 1861-1865
Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada
© Musée des Beaux-Arts du Canada / DR

Un grand peintre, un grand dessinateur, un grand sculpteur : Daumier ne s'est pas cantonné aux remarquables caricatures lithographiées qui ont fait à juste titre sa célébrité.
L'exposition, première rétrospective parisienne qui lui soit consacrée depuis 1934, explore avec plus de 300 oeuvres toutes les facettes de son génie : elle rassemble peintures et dessins dispersés dans le monde entier, la quasi-totalité de ses sculptures et une sélection importante des plus beaux tirages de l'oeuvre gravé. Daumier, admiré par Baudelaire et Degas, retrouve ainsi la place qui lui revient parmi les artistes majeurs du XIXe siècle.

Honoré Daumier-La parade
Honoré Daumier
La parade, vers 1865
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / DR / DR

Honoré Daumier voit le jour dans une famille modeste ; son père, qui exerce la profession de vitrier, est aussi poète à ses heures. En 1815, celui-ci vient à Paris – rejoint par sa famille quelques temps plus tard – pour se lancer dans une carrière littéraire, où il échouera. Honoré doit travailler, dès l'âge de douze ans, chez un huissier, comme commis, puis chez un libraire du Palais Royal, près du Louvre qu'il commence vraisemblablement à fréquenter. Il pratique très tôt le dessin, puis la peinture auprès d'Alexandre Lenoir, le fondateur de l'ancien musée des Monuments français ; il fréquente aussi les académies Suisse et Boudin.

Honoré Daumier-Jean Charles Guillaume Etienne
Honoré Daumier
Jean Charles Guillaume Etienne, en 1833
Musée d'Orsay
Acquis avec l'aide de M. Michel David-Weill et de la Fondation Lutèce, 1980
photo musée d'Orsay / rmn © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / DR / DR
Voir la notice de l'œuvre

Le talent de Daumier se révèle dans l'effervescence politique et sociale de la Monarchie de Juillet (1830-1848). Républicain, il prend part aux "Trois glorieuses" – journées révolutionnaires qui enflamment Paris les 27, 28 et 29 juillet 1830 – et reçoit, dit-on, un coup de sabre au front. Engagées contre le régime de Louis-Philippe, ses lithographies paraissent dans La Caricature, hebdomadaire satirique fondé en 1831, et Le Charivari, quotidien publié à partir de 1832, sous la direction de Charles Philipon. Celui-ci commande à Daumier les bustes-charges des "célébrités du juste milieu" (hommes politiques ou magistrats). L'ensemble de ces petits bustes en terre crue polychrome, matériau particulièrement fragile, constitue l'un des points forts de l'exposition.

Honoré Daumier-Masques de 1831, planche 143, La Caricature, n 71, 8 mars 1832
Honoré Daumier
Masques de 1831, planche 143, La Caricature, n 71, 8 mars 1832, 8 mars 1832
Saint-Denis, musée d'Art et d'Histoire
© Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis / DR

Les lithographies du début du règne de Louis-Philippe sont les plus virulentes. Deux d'entre elles, Gargantua et La cour du roi Pétaud, valent à l'artiste une condamnation à six mois de prison, en 1832, mais rapidement il obtient son transfert de Sainte-Pélagie à la clinique du docteur Pinel. Ses lithographies postérieures poursuivent le combat de "Philipon contre Philippe" ; le visage du roi y apparaît sous la forme d'une poire.

Honoré Daumier-Rue Transnonain, le 15 avril 1834, L'Association mensuelle, juillet 1834 (publiée début octobre)
Honoré Daumier
Rue Transnonain, le 15 avril 1834, L'Association mensuelle, juillet 1834 (publiée début octobre), 15 avril 1834
© Association des Amis de Honoré Daumier / DR

En 1834, Daumier rend hommage aux victimes de la rue Transnonain dans une planche célèbre. Après l'attentat de Fieschi (28 juillet 1835), et les lois contre la liberté de la presse qui s'ensuivent, il s'oriente vers la satire de moeurs. Par la suite, profitant des relâchements de la censure, il reviendra à la caricature politique.

Honoré Daumier-Les deux avocats
Honoré Daumier
Les deux avocats, vers 1858-1862
Lyon, musée des Beaux-Arts
© Musée des Beaux-Arts de Lyon / DR

La caricature de moeurs constitue, dans Le Charivari, une véritable comédie humaine avec, en particulier, la série des Robert Macaire – personnage de comédie, archétype du bourgeois malhonnête – les Types parisiens, les Bas-bleus et les Gens de justice, auxquels il consacrera à plusieurs reprises des peintures et des aquarelles. Parallèlement, Daumier illustre différents ouvrages romantiques (Balzac, Eugène Sue...). Il travaille alors au 9, quai d'Anjou, où il réside avec son épouse Marie-Alexandrine, au dernier étage d'un immeuble, non loin de chez Baudelaire et Théophile Gautier.

Honoré Daumier-La République
Honoré Daumier
La République, en 1848
Musée d'Orsay
Donation Etienne Moreau-Nélaton, 1906
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

Symboliquement, l'esquisse pour la figure de La République (musée d'Orsay) marque le tournant de la Révolution de 1848. C'est alors à "son rêve" (Edmond Duranty) qu'il peut désormais se consacrer : la peinture, mais aussi la sculpture. En effet, Daumier répond à l'actualité politique au travers de deux nouvelles sculptures : les reliefs des Fugitifs, qui rappellent probablement les "transportations" massives consécutives à la répression du soulèvement des journées de juin 1848, et, tant admirée par Michelet, la statuette de Ratapoil, auxiliaire musclé de la propagande bonapartiste préparant le coup d'Etat du futur Napoléon III. Au-delà du contexte politique, Fugitifs répond à l'ambition de Daumier de conjuguer sur un même thème, peinture, sculpture et dessin.

Honoré Daumier-Crispin et Scapin
Honoré Daumier
Crispin et Scapin, vers 1864
Musée d'Orsay
Don de la Société des Amis du Louvre avec le concours des enfants de Henri Rouart, 1912
photo musée d'Orsay / rmn © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / DR / DR
Voir la notice de l'œuvre

Après les commandes de l'Etat sous la IIe République, Daumier expose occasionnellement des peintures au Salon. Renvoyé du Charivari en 1861, il se tourne vers un public d'amateurs qui désormais s'intéresse à ses aquarelles. La fin du Second Empire permet le retour de Daumier à la caricature politique. C'est alors qu'il réalise pendant "l'année terrible" de grandes allégories funèbres et patriotiques. On reconnaît dans ses toiles l'influence des maîtres flamands du XVIIe siècle, de Rubens (le cycle de Marie de Médicis au Louvre, notamment), comme du XVIIIe siècle français, de Boucher à Fragonard. En 1878, Daumier, presque aveugle, ne peut assister à l'exposition organisée à l'initiative de ses amis. Elle se tient à Paris, chez Durand-Ruel, sous la présidence de Victor Hugo ; c'est un échec. Daumier meurt quelques mois plus tard, le 10 février 1879, dans sa maison de Valmondois, près de Pontoise.

Honoré Daumier-La blanchisseuse
Honoré Daumier
La blanchisseuse, vers 1863
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

L'"inachèvement", ou l'apparence d'inachèvement, si caractéristique de la peinture de Daumier – et que la critique ne manqua pas de lui reprocher –, traduit la crainte de sacrifier l'essentiel à l'accessoire. Les blanchisseuses harassées qu'il peint dans la série du quai d'Anjou ont les mêmes gestes lents, la même inclinaison vers le sol que les glaneuses de Millet ; comme lui, Daumier élève le quotidien au niveau de la peinture d'histoire. Pour Baudelaire, il est "le peintre de la circonstance et de tout ce qu'elle suggère d'éternel" (Curiosités esthétiques).

Honoré Daumier-La France-Prométhée et l'aigle-vautour, Le Charivari, 13 février 1871
Honoré Daumier
La France-Prométhée et l'aigle-vautour, Le Charivari, 13 février 1871, 13 février 1871
Saint-Denis, musée d'Art et d'Histoire
© Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis / DR

Daumier fut certainement l'un des plus grands artistes du XIXe siècle. Des premiers essais lithographiques de 1822 aux toiles inspirées des années 1870, l'exposition présente les oeuvres selon un ordre chronologique, qui laisse place à quelques regroupements thématiques, tel l'exceptionnel ensemble consacré à Don Quichotte. La scénographie s'attache à présenter l'aspect intimiste et humaniste de l'oeuvre de Daumier. La dernière salle réunit des documents, certains inédits, sur Daumier et ses contemporains.