Degas à l'Opéra
Degas à l'Opéra
Degas à l'Opéra
Dès les années 1860, et jusqu'à ses oeuvres ultimes, après 1900, Degas fait de l'Opéra le point central de ses travaux. Il en explore les divers espaces et s'attache à ceux qui les peuplent, danseuses, chanteurs, musiciens, spectateurs, abonnés hantant les coulisses.
S'il traite parfois d'autres sujets, l'Opéra est continûment présent.
Cet univers clos, qui n'offre à travers les fenêtres voilées ou aveuglantes des salles de danse que de rares échappées vers l'extérieur, est un microcosme aux infinies possibilités.
Il permet toutes les expérimentations et irradie vers l'ensemble de son oeuvre : multiplicité des points de vue suscitant des cadrages inusités, diversité des éclairages, opposition entre la fosse obscure et le théâtre illuminé, étude du mouvement et de la vérité du geste, rapprochement aberrant des corps en "belles grappes", que Degas apprécie tant.
L'Opéra devient un laboratoire où la diversité des sujets entraîne la recherche du médium le plus approprié à les traduire, peinture, pastel, dessin, sculpture, gravure, monotype...
L'Opéra est pour l'artiste une source inépuisable de motifs constamment disponibles. Mais ce temple du factice et de l'illusion est aussi un exact équivalent de son art comme le rapporte Paul Valéry : "Il disait toujours que l'art est une convention, que le mot Art implique la notion d'artifice" ; et Degas, plus abrupt : "On voit comme on veut voir ; c'est faux ; cette fausseté constitue l'art".
Degas récuse le "sur le vif", et c'est à l'atelier, filtrée par le souvenir, enrichie par l'imagination, que s'opère cette transmutation. Aussi son Opéra, sous l'apparence du réel, n'est-il jamais exact : ses orchestres, ses vues de la salle, de la scène, des coulisses, ses classes et examens de danse sont des fantasmagories. A l'atelier Degas fait son Opéra. Là s'élabore cet oeuvre ouvert que, toujours insatisfait, il abandonne, revoit, reprend, "hanté par la haute idée non pas de ce que l'on fait mais de ce que l'on pourra faire un jour".
Génétique des mouvements
Génétique des mouvements
"Ah! Giotto! Laisse-moi voir Paris, et toi, Paris, laisse-moi voir Giotto!" s'exclame Degas dans un carnet qu'il tient entre 1867 et 1874, signifiant son ambition de devenir le classique de la modernité. Ses copies d'après les maîtres préparent son travail sur l'Opéra, sa connaissance des classiques imprègne sa vision du monde moderne.
Il constitue dès sa jeunesse une immense documentation graphique dans laquelle il puisera toute sa vie.
Son oeuvre se caractérise par la continuité de la ligne mélodique : les figures étudiées chez les anciens et les danseuses partagent les mêmes gestes dynamiques et enchaînements rythmiques.
Sous leur apparence de spontanéité, les
danseuses au travail et au repos, bâillant, se massant la cheville, rajustant leur chausson ou leur épaulette, retrouvent les poses dynamiques des modèles de sculptures antiques et de maîtres anciens.
Gestes de souffrance expressive et mouvements chorégraphiques des peintures d'histoire et bas-reliefs sont transformés en attitudes prosaïques, qui donnent vie aux danseuses et deviennent parfois des motifs plastiques répétés sous divers angles. Degas réactualise des éléments scéniques étudiés chez les classiques (surgissement des figures coupées au premier plan, lignes architecturales au service de la dynamique de l'ensemble...) dans une réalité contemporaine.
L'artiste disait : "Le secret, c'est de suivre les avis que les maîtres nous donnent par leurs oeuvres en faisant autre chose que ce qu'ils ont fait."
Le cercle musical
Le cercle musical
Degas est élevé dans un milieu où la musique occupe une place importante. Son père, héritier de la banque familiale, tient dans les années 1860 un salon propageant le goût nouveau pour la musique ancienne, Bach, Rameau, et Gluck, la grande passion du peintre.
Degas fixe le souvenir de ces "lundis" dans l'unique portrait de son père, en auditeur attentif du ténor espagnol Lorenzo Pagans.
A la fin des années 1860, Degas consacre une magnifique suite de portraits aux habitués de ces soirées qui réunissent des musiciens amateurs (sa soeur Marguerite, excellente chanteuse ; la pianiste Blanche Camus) et professionnels (les instrumentistes de l'orchestre de l'Opéra).
Il déploie tout un instrumentarium : guitare, piano droit, piano à queue, violon, violoncelle, basson, contrebasse, flûte, harpe ; saisit divers moments : répétition, pause, concert intime ou public ; fait entendre tous types de musiques : chanson populaire, morceau au piano seul, duo d'opéra, musique symphonique de ballet.
Le portrait commandé en 1870 par Désiré Dihau, bassoniste à l'Opéra, est une oeuvre clé parce qu'elle procure au peintre son premier succès mais surtout parce que la composition de cette toile préfigure de nombreuses scènes à venir.
Deux ans après avoir peint la célèbre danseuse Eugénie Fiocre dans le ballet La Source, Degas s'établit définitivement à l'Opéra.
Après la guerre de 1870 et la Commune, il réalise deux versions de Robert le Diable qui reprennent cette formule à succès. Mais, cas unique dans son oeuvre, le spectacle, un opéra de Meyerbeer, est parfaitement identifié.
L'Opéra, de la salle Le Peletier au Palais Garnier
L'Opéra, de la salle Le Peletier au Palais Garnier
Degas connaîtra deux Opéras à Paris ; celui de la rue Le Peletier, détruit par le feu en 1873, puis le Palais Garnier à partir de 1875.
Mais s'il est un habitué de ce nouveau théâtre, son oeuvre ne quittera jamais celui des origines et le hantera longtemps.
L'Opéra Le Peletier, construit en 1820-1821, remplaçait provisoirement la salle de la rue de Richelieu, démolie en raison de l'assassinat du duc de Berry, en 1820, au sortir d'une représentation. La salle Le Peletier, adossée à l'hôtel de Choiseul (1716) servant aux coulisses et à l'administration, reprenait les caractéristiques de l'ancienne salle détruite dont elle réemployait de nombreux éléments de décor.
Si la façade de cet ensemble composite fut toujours jugée disgracieuse et les dégagements insuffisants, la salle et la scène séduisirent le public pour son acoustique et l'émergence, à la fin des années 1820, d'un répertoire nouveau, celui du Grand opéra français.
Lorsque Degas commence à y travailler, le théâtre est voué à disparaître. Au moment même où il entreprend le portrait d'Eugénie Fiocre, la façade du nouvel Opéra de Charles Garnier, inachevé, est dévoilée pour l'Exposition universelle de 1867.
Quand la salle Le Peletier brûle en 1873, l'artiste voit son motif anéanti alors qu'il entreprend ses premières "scènes de ballet" et "classes de danse".
Il n'adaptera pas ses travaux en cours à l'architecture du Palais Garnier ; peut-être par nostalgie, pour le théâtre de ses débuts et son charme suranné.
Ce nouvel Opéra avec la profusion de son décor, le luxe de ses foyers et la praticité de ses coulisses déplaisait à Degas. Le Palais Garnier avait aussi contre lui d'être le monument phare du Second Empire, un régime qu'il détestait, exhibant les commandes passées aux artistes qu'il combattait ou méprisait. Si l'abonné Degas le fréquente régulièrement, l'artiste le rejette.
Salle, scène, coulisses
Salle, scène, coulisses
Après le succès de ses premières scènes d'Opéra, au début des années 1870, Degas investit le théâtre et, passant de la salle dans les coulisses, peint ses premières classes de danse. Des "exercices de précision" – dira-t-il plus tard quand ses yeux ne lui permettront plus une telle acuité –, peints dans une matière lisse, égale, grasse sans être épaisse, à la manière hollandaise.
Après s'être cassées à la barre, les danseuses, sous l'autorité des maîtres de ballet Jules Perrot ou Louis Mérante, entament l'une après l'autre les exercices du milieu, "les jetés, les balancés, les pirouettes, les gargouillades, les entrechats, les fouettés, les ronds de jambe, les assemblées, les pointes, les parcours, les petits temps, etc.".
Degas ne représente jamais un lieu précis. La salle Le Peletier n'est suggérée que par des détails : grandes fenêtres cintrées de l'ancien hôtel de Choiseul et pilastres de marbre simulant un décor XVIIIe siècle. Avec l'aisance d'un machiniste d'opéra, il modifie les configurations, ouvre une trappe, ajoute un escalier, crée des recoins...
L'improbable du décor égale l'improbable de la scène et ses "examens de danse" ne correspondent en rien à la réalité comme il l'avouera à Albert Hecht, un habitué : "Avez-vous le pouvoir de me faire donner par l'Opéra une entrée pour le jour de l'examen de danse ? J'en ai tant fait de ces examens de danse sans les avoir vus, que j'en suis un peu honteux."
Le succès immédiat de ces oeuvres assure à Degas une clientèle – le baryton Jean-Baptiste Faure en premier lieu – et lui permet aussi d'assurer sa subsistance en déclinant ces "produits" ou "articles" qui feront de lui, à son corps défendant, le "peintre des danseuses".
"Sérieux dans un endroit frivole", les abonnés
"Sérieux dans un endroit frivole", les abonnés
Ludovic Halévy, dramaturge, romancier et librettiste avec Henri Meilhac d'Offenbach et de son cousin Bizet, introduit Degas à l'Opéra au début des années 1870. En retour, il le représentera "sur la scène", dans un pastel montré à la quatrième exposition impressionniste (1879).
Face à Albert Boulanger-Cavé, longtemps censeur des spectacles publics, Halévy figure dans son milieu naturel, compact et sombre sur un fond clair, "sérieux dans un endroit frivole".
Habitué type de l'Opéra, Halévy y puise une série de nouvelles à succès contant les aventures galantes de deux petits "rats", Pauline et Virginie Cardinal.
Degas en apprécie le ton très parisien, la crudité et le mordant et, en 1876, après avoir exécuté son premier monotype en collaboration avec Ludovic Lepic, autre habitué de l'Opéra, il en illustre quelques épisodes. Il choisit un nombre limité de motifs se prêtant à cette technique et oppose le noir pour l'abonné-chasseur au blanc de la jeune proie consentante.
Mais l'Opéra jouxte le bordel. Les "monotypes Cardinal" trouvent ainsi leur prolongement en noir et blanc dans des scènes de maisons closes : danseuses et prostituées, mères et maquerelles, abonnés et clients, attente et lassitude, conversation frivole, séduction pressante, sofas, fauteuils et banquettes...
D'abord limités aux "monotypes Cardinal", les abonnés et mères de danseuses, après 1876, hantent les couloirs et se dissimulent derrière les décors.
Les mères des danseuses, sagement assises sur les gradins collent désormais à leur progéniture formant des groupes monstrueux ; les abonnés s'extraient des coulisses où ils étaient cantonnés, comme dans L'Etoile, où l'homme dissimulé derrière un portant, suit le solo de sa protégée. Plus tard, il sera sur scène dominant un spectacle où les danseuses, tronquées, sont réduites aux seconds rôles.
L'Opéra, laboratoire technique
L'Opéra, laboratoire technique
L'Opéra est un véritable catalyseur et laboratoire de l'art de Degas qui renouvelle son approche des médiums, des formats (éventails, tableaux en long), des points de vue (en plongée, contre-plongée ou sotto in sù, décentrés, désaxés), et des éclairages.
C'est le seul univers exploré avec toutes les techniques pratiquées au cours de sa vie : l'estampe (gravure et lithographie), la photographie, le pastel, la peinture, sur papier ou sur toile, la sculpture, les éventails.
C'est avec l'Opéra qu'il commence à travailler le monotype, aux contrastes de noir et de blanc propres à exprimer la violence de la lumière électrique, et qu'il réalise la seule sculpture exposée de son vivant, en cire et matériaux composites.
Ses éventails transforment un accessoire de mode visible dans les loges en un type de tableau qui emprunte sa forme à la scène. Ses pastels sont souvent associés à cet univers d'une beauté éphémère faite de "distance et de fard". Ses peintures, à l'essence, métallique et à la détrempe, rappellent les procédés des décorateurs de théâtre.
Degas prépare ses tableaux liés à l'Opéra par de nombreux dessins, des petits croquis des carnets aux grands dessins sur calque inlassablement retravaillés, en passant par des mises au carreau annotées du nom et de l'adresse du modèle.
Les dessins ne sont pas toujours utilisés pour un tableau précis mais constituent un large réservoir formel et expérimental où puiser.
Certains réalisés au pinceau, à l'huile diluée dans l'essence sur des papiers colorés, seront exposés et publiés du vivant de l'artiste qui les considérait comme des oeuvres en soi. Avec l'Opéra, Degas ne cesse d'expérimenter, de décloisonner et de renouveler les techniques de création plastique.
"Tableaux en long"
"Tableaux en long"
A partir de 1879, Degas explore un format singulier, celui du double carré, dans des oeuvres qu'il nomme "tableaux en long".
Le premier, La Leçon de danse (Washington, National Gallery of Art), est présenté à l'exposition impressionniste de 1880.
Bien d'autres suivront, jusqu'au début du XXe siècle, que l'artiste construit toujours le long d'un fort axe diagonal, d'un angle inférieur à un angle supérieur opposé, et dont les sujets sont invariablement des danseuses dans une salle de répétition ou des jockeys sur un champ de courses.
Reprenant le principe de la frise qu'il a étudié, jeune homme, à travers les grands modèles – frises des Panathénées du Parthénon et processions des peintures du Quattrocento italien –, Degas impose à ce modèle séculaire un fort désaxement.
L'élan diagonal qu'il donne à ses compositions dynamise le principe de la frise, et suggère à l'oeil du spectateur que la course des ballerines et des pur-sang se poursuit au-delà du cadre de la toile.
Degas joue avec les notions de temps (comme s'il montrait une seule ballerine à divers moments d'une séance de travail) et d'espace (en installant ces temps successifs à travers la salle de répétition).
Il s'intéresse au déroulé du mouvement d'une manière qui évoque la chronophotographie inventée et popularisée par Eadweard Muybridge et Etienne-Jules Marey. Laboratoires formels d'un travail sur le mouvement et la grâce, les "tableaux en long" sont de modernes frises où l'analyse du geste et de l'élan renvoie tant à la science de voir qu'à l'art de décomposer et de représenter.
Eclairages et points de vue
Eclairages et points de vue
Degas n'a de cesse de s'intéresser à la question de l'éclairage dans les salles de spectacles, sur les scènes et sur les figures qu'il représente.
Fin observateur, il lui arrive de croquer tel lustre ou tel bec de gaz dans un carnet.
Mais c'est, surtout, à l'incidence de la lumière sur les corps, et à sa place dans l'économie formelle de l'espace clos – et noir – de l'opéra qu'il s'intéresse. Visages déformés par les faisceaux venus du sol, accentuant les traits et donnant presque un masque aux chanteurs ou aux danseuses ; rôle de la rampe dans la distinction entre l'espace de la scène et celui du public, que des abonnés transgressent pour aller rejoindre leurs protégées ; puissance visuelle des contrastes d'ombre et de clarté parmi les portants des décors : la lumière, que l'artiste module à sa guise, sculpte le réel et bouscule les termes de la représentation.
Les points de vue audacieux qu'adopte Degas renforcent la théâtralité de telles visions : vues de biais, du dessous, du dessus, loges, scènes, balcons, mais aussi spectateurs et acteurs se révèlent sous un jour particulier, et révèlent les jeux de regards dont le public de l'opéra est friand autant que coutumier.
Cependant, quoique les méthodes d'éclairage des salles de spectacle n'aient cessé d'être perfectionnées au XIXe siècle, puisque le gaz y remplace la bougie dans les années 1820, puis que l'arc électrique est y est introduit au mitan du siècle, Degas ne cherche guère à intégrer une description explicite de ces progrès techniques dans ses oeuvres.
Tout au contraire, qu'il représente la scène, observe la coulisse ou décrive l'agitation des salles de répétition, son oeil est aux contrastes violents, aux contre-jours aveuglants et aux fenêtres dans l'encadrement desquelles se dessinent les silhouettes de danseuses.
La lumière sculpte le réel, dans des compositions complexes où les jeux de regards insistent sur la puissance de la perception dans les représentations que l'on s'en fait.
Grands dessins synthétiques
Grands dessins synthétiques
Après la dernière exposition des impressionnistes, en 1886, Degas se concentre sur un nombre limité de motifs et de compositions, qu'il dessine au fusain sur des grands formats. Avec le papier-calque, il peut retravailler indéfiniment la même forme selon différentes variations.
Dans ces grands dessins, il réalise une synthèse du corps féminin : loin de la vision analytique qui s'attache aux détails, il cherche à exprimer le mouvement et le rythme des corps dansant au moyen de "lignes prodigieuses d'équilibre" (Gauguin).
Ces dessins ont toujours dérangé la critique, depuis leur révélation au public en 1918 lors des ventes d'atelier jusqu'à aujourd'hui, en raison de leur âpreté voire de leur rudesse.
Ils ont été vus comme allant à l'encontre du Degas "ingresque" des débuts et comme le violent témoignage de la lutte de l'artiste contre la perte progressive de sa vue, tandis que notre regard du XXIe siècle y voit plutôt des oeuvres d'une grande hardiesse, totalement libérées des conventions et d'une extraordinaire modernité.
C'est toujours le même souci de perfection qui guide l'artiste : à l'instar du peintre Frenhofer mis en scène par Balzac dans Le Chef-d'oeuvre inconnu, il parvient à exprimer la vie des formes, le "vif de la ligne", au prix du sacrifice de l'oeuvre achevée, préférant multiplier les dessins comme une grande oeuvre ouverte – ou les séquences d'un film au ralenti – que figer son travail en une succession de chefs-d'oeuvre.
Alors que le symbolisme devient la nouvelle avant-garde et remet à l'honneur Pierre Puvis de Chavannes et Gustave Moreau, Degas dessine de plus en plus de mémoire, laissant libre cours à ses souvenirs et à sa fantaisie "libérés de la tyrannie qu'exerce la nature" selon ses propres dires.
"Orgies de couleurs"
"Orgies de couleurs"
En 1899, Degas invite Julie Manet à voir dans son atelier "des orgies de couleurs qu'[il] fai[t] en ce moment", ce qui touche d'autant plus la fille de Berthe Morisot qu'"il ne montre jamais ce qu'il fait", raconte-elle dans son Journal.
Au tournant du siècle, Degas se concentre sur le fusain et le pastel, ses deux techniques de prédilection. Avec le pastel, il peut dessiner directement avec la couleur et manier la matière sensuelle sans l'intermédiaire d'un outil.
S'il dessine au pastel des modistes, des jockeys, des paysages, des nus, son sujet de prédilection reste les danseuses.
Il les dessine dans les coulisses, répétant inlassablement les mêmes gestes, figures qui semblent se démultiplier comme les facettes d'une même femme vue sous divers angles, empruntant ses points de vue à l'art de la sculpture et de la chronophotographie.
Il les dessine aussi sur scène, dansant dans des paysages imaginaires qui rejoignent les paysages réels, ces "états d'yeux" qui sont parmi les seules oeuvres que l'artiste montre à cette époque au public.
Degas reprend les mêmes compositions dans des couleurs différentes, totalement irréelles, où seule comptent la vivacité, l'harmonie ou la stridence visuelles.
Délaissant les convenances, il laisse jouer les accords les plus insolites et audacieux.
Toujours avide d'expérimentation, il renouvelle l'art du pastel en travaillant par strates. Il utilise le fixatif qui sert à stabiliser chaque couche comme un médium à part entière, et joue sur les effets de matité et de brillance. Degas trouve avec le pastel, "pollen de couleurs" (Lucie Cousturier), le matériau et la technique parfaite pour exprimer l'aspect merveilleux du ballet, "cet art où le corps humain devient l'instrument d'une fête magique".