Félicie de Fauveau. L'amazone de la sculpture.

La Lampe dite de Saint Michel, 1832
© DR/Cliché musée d'Orsay, Patrice Schmidt / DR
Les débuts de mademoiselle de Fauveau
Autoportrait à la levrette, 1846
Postdam, Stiftung Preussische Schlösser und Gärten
© Daniel Lindner, 2013
Issue d'une famille anoblie en 1740, Félicie de Fauveau apprend la peinture avant d'avoir la révélation de la sculpture à Besançon : un simple entretien avec un fabricant de statues religieuses lui aurait suffit pour affirmer "Et moi aussi je suis sculpteur". On ne lui connaît aucune autre formation à ce métier.
Après la mort de son père en 1826, la famille s'installe à Paris : sa mère tient un salon influent rue de La Rochefoucauld au coeur du foyer artistique de la Nouvelle Athènes, l'atelier de Fauveau étant alors voisin de celui du peintre Ary Scheffer. Comme ses contemporains, elle lit Walter Scott, Shakespeare ou encore Dante. Elle se consacre en autodidacte à des études approfondies de l'histoire, de l'héraldique et de l'art médiéval, faisant part de ses découvertes à son ami Paul Delaroche.
La carrière de Fauveau prend alors son essor grâce à des parents proches du roi Charles X (1824-1830) et à la protection de l'influent duc de Duras. Sa fille, Félicie de La Rochejaquelein, devient l'amie de l'artiste : les "deux Félicie" entretiennent dès lors une relation fusionnelle qui, malgré leur éloignement, perdure jusqu'au décès de la comtesse en 1883.
Pour subvenir aux besoins de sa famille, et sans doute poussée par une aspiration profonde, Fauveau se "professionnalise" : elle est la première femme sculpteur à vivre de son art. A 26 ans, elle débute au Salon par un coup de maître : sa Christine de Suède remporte les suffrages et lui vaut une renommée incontestable. Elle est sollicitée pour des portes destinées au Louvre de Charles X, un tabernacle pour la cathédrale de Metz (non réalisés) et entreprend pour le comte de Pourtalès la Lampe de saint Michel et le Monument à Dante.
A la veille de la révolution de Juillet, Félicie de Fauveau est une jeune artiste parisienne prometteuse et déjà célèbre.
L'épopée vendéenne
Portrait de la duchesse de Berry, 1840
Collection particulière
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Lorsque Charles X est contraint d'abdiquer en 1830, signant ainsi la fin de la Restauration, le cours de la vie de Félicie de Fauveau change et se mêle inextricablement avec l'Histoire de France. Le duc de Bordeaux est désigné par Charles X comme son successeur mais c'est le duc d'Orléans, disposé à composer avec les parlementaires libéraux, qui est appelé par les Chambres au pouvoir, devenant ainsi Louis-Philippe Ier.
La branche aînée légitime des Bourbons issue de Louis XIV est destituée au profit de la branche cadette. De duc de Bordeaux, le prétendant légitimiste Henri d'Artois devient sous la monarchie de Juillet (1830-1848) comte de Chambord. Il est à jamais le roi Henri V pour ses partisans comme Félicie de Fauveau.
En 1831, elle rejoint à Landebaudière son amie la comtesse de La Rochejaquelein, belle-soeur du célèbre général monarchiste : le château vendéen devient le fief des conspirateurs. Malgré les objets d'art décoratif militants qu'elle produit pour ses compagnons d'armes, cette période marque un tournant dans sa carrière : l'artiste atypique laisse alors place à la fascinante héroïne de la Vendée. Découverte, Fauveau est emprisonnée durant trois mois.
Après son acquittement, elle reprend brièvement les armes pour soutenir la duchesse de Berry. Recherchée, elle est contrainte à l'exil à partir de 1833. Elle reste marquée à jamais par l'épopée vendéenne, se qualifiant d'"écuyer" au service de son "maître", la comtesse de La Rochejaquelein.
Florence, refuge et foyer
Clémence Isaure instituant les jeux floraux, 1845
Toulouse, musée des Augustins
© Photo Daniel Martin
En 1833, Félicie de Fauveau s'exile dans le pays qui l'a vue naître, la très catholique Italie : elle y reste jusqu'à la fin de sa vie malgré l'amnistie de 1837. Sa prédilection la porte vers Florence, foyer artistique et culturel, mais surtout creuset de l'âge d'or de l'art italien. Désormais ses oeuvres s'imprègnent profondément de l'art du Moyen Age et de la Renaissance italienne qu'elle étudie avec ferveur.
Bien qu'en marge des milieux artistiques de la capitale toscane, Fauveau est hébergée à son arrivée par le sculpteur Lorenzo Bartolini, se lie avec le peintre Antonio Marini dont elle partage la passion pour Dante, et rencontre les artistes de passage. Avec son frère Hippolyte, elle mène parallèlement à la sculpture une activité de marchand d'art.
Son atelier, tendu de tissus et tentures pour la visite de personnalités prestigieuses comme le comte de Chambord ou le tsar, est fréquenté par les amateurs d'art comme les curieux. Pourtant, même au sommet de son activité en 1840, la maison Fauveau n'emploie que quatre praticiens pour tailler des marbres en majorité de petites dimensions.
Un légitimisme intransigeant
Portrait en buste de la marquise Boccella, 1851
Collection particulière
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Oeuvres de commande souvent alimentaires et toujours rémunératrices, les portraits flattent leur modèle ou gardent le souvenir d'un attachement. Fauveau se plie à l'exercice, soutenue par sa pragmatique mère : "C'est la belle partie de l'art que les portraits et ce qui se paie le mieux". Elle reste toutefois fidèle à ses convictions, n'acceptant que les commandes de ses proches, des étrangers royalistes et des aristocrates français légitimistes qui se pressent dans son atelier. Elle livre d'eux des portraits mettant en exergue un statut davantage qu'une psychologie, préférant le haut-relief "parlant" à la ronde bosse.
La noble naissance de ses modèles est affichée par des armoiries et leurs convictions par des inscriptions et des symboles royaux, rehaussés de polychromie. Le portrait du marquis Forbin des Issarts en forme de bénitier affirme la fidélité de l'ancien pair de France aux Bourbons, tandis que les filles de duc de Rohan sont traitées décorativement dans un cuir enroulé renaissant à fond d'or.
Exceptions à la règle, le flamboyant baron François Dudon aux accents baroques et le vicomte Brétignières de Courteilles présentent une mise en page plus conventionnelle.
La renaissance des arts décoratifs
Hausse-col de la duchesse de Berry, 1831
Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée
© Patrick Durandet ?R Conseil général de Vendée ?R" Conservation des musées / expositions"
Admiratrice du sculpteur et orfèvre de la Renaissance Benvenuto Cellini, Fauveau se consacre comme lui à la sculpture et aux arts décoratifs, "à la fois statuaire, architecte et coloriste, embrassant l'art comme monument, comme décoration et comme industrie". Au-delà des frontières entre les disciplines, et sans mépris pour les menus objets du quotidien, Fauveau conçoit aussi bien des dagues d'apparat, des cadres de tableaux pour le prince Anatole Demidoff, que des bijoux ou des pommeaux de canne.
Elle ne sacrifie pas pour autant à la production sérielle rémunératrice : ses oeuvres sont le plus souvent uniques. Très exigeante sur le choix de ses collaborateurs, elle confie au prestigieux Honoré Gonon la fonte à la cire perdue de la Lampe de saint Michel. Le talent archaïsant de Fauveau est manifeste dans la délicate polychromie, la finesse, la préciosité et le foisonnement des détails : "quel labyrinthe que ces pygmées", écrit-elle de la clochette pour la grande-duchesse de Russie, dans laquelle elle a glissé un autoportrait sculptant une fenêtre et son frère Hippolyte travaillant à la clochette.
Princes et mécènes
Pied droit de la danseuse Fanny Elssler, 1847
Vienne, ísterrichisches Theatermuseum
© Kunsthistorisches Museum Vienna
Attirés par l'hospitalité du grand-duc de Toscane et la douceur du climat, les aristocrates européens se pressent à Florence et rendent une visite incontournable au Studio Fauveau. Fidèle à son idéal monarchiste de droit divin, Fauveau travaille essentiellement pour des mécènes désireux de posséder des figures de saints malgré leurs confessions religieuses variées.
Parmi sa clientèle prestigieuse, les Russes occupent une place de choix. Après avoir reçu des commandes de la grande-duchesse de Russie Maria Nikolaevna (1819-1876), Fauveau est sollicitée par son père le tsar Nicolas Ier (1796-1855) dont elle approuve la gouvernance autocratique. Il lui rend visite dans son atelier en 1846 et commande pour la terrasse du palais Cottage de Peterhof une gracieuse Fontaine à la nymphe et au dauphin, rare exemple de nu dans l'oeuvre de Fauveau.
Pour la villa San Donato du prince Anatole Demidoff (1827-1891), Félicie et Hippolyte conçoivent décors et ornements mettant en valeur sa fastueuse collection, comme la base pour le Portrait d'Henri IV enfant de François-Joseph Bosio.
Saint Michel terrassant le dragon, 1835
Collection particulière de S. K. H. Carl Herzog von Wuerttemberg
© Photostudio Schneider
La religion de l'âmeFauveau est fascinée par le gothique et plus généralement par l'art religieux du Moyen Age, dont la pureté archaïque qu'elle désigne comme "primitivisme" convient à l'expression de ses sentiments religieux. Sa profonde religiosité commande tout son art qui compte de nombreux objets liés à la dévotion privée.
Elle élève le bénitier domestique, présent à foison dans les intérieurs, au rang d'objet précieux destiné à sa riche clientèle. "J'espère que le Diable m'en voudra de cette série singulière" écrit-elle à la comtesse de La Rochejaquelein.
Le type du Bénitier à l'ange est élaboré avant même son arrivée à Florence. Devant un bâtiment roman à deux tourelles, un ange étend une aile pour protéger la vasque d'eau bénite, sous laquelle se nichent des oiseaux et plantes aquatiques, accompagnés du vers du psaume 16 "Sub umbra alarum tuarum protege me", "Protège-moi sous l'ombre de tes ailes".
Pour la princesse Sophie d'Arenberg, Fauveau conçoit le modèle du bénitier destiné à l'adoration de la croix, présentée par un ange aux ailes déployées. Enfin, le bénitier de saint Louis s'adresse à la piété des catholiques légitimistes. Etonnamment, Fauveau ne réalise que peu d'objets pour des églises : le Christ en croix de Saint-Aubin-de-Baubigné, "sur une belle croix à la Giotto", en est un rare exemple.