Exposition au musée

Harriet Backer (1845-1932) La musique des couleurs

Du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025
Harriet Backer (1845 - 1932)
Intérieur bleu, 1883
© Oslo, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, NG.M.02216/ Photo: National Museum / Børre Høstland

Introduction

Méconnue en dehors des frontières de son pays, Harriet Backer a été la peintre femme la plus renommée en Norvège à la fin du XIXe siècle. Elle a réalisé une synthèse très personnelle des scènes d’intérieur et de la pratique du plein-air, puisant aussi bien son inspiration dans le courant réaliste que dans les innovations de l’impressionnisme à travers une touche libre, une palette qui s’éclaircit et un très grand intérêt porté aux variations de la lumière. Alors que la peinture de Backer a beaucoup évolué d’un point de vue stylistique au cours de sa longue carrière, elle est restée fidèle à un nombre resserré de sujets et à l’étude directe sur le motif. Sœur d’une compositrice renommée dont elle était très proche, elle a placé la musique au cœur de son travail, tant comme sujet que comme modèle, en cherchant à suggérer une atmosphère, une émotion, un instant, au moyen de la touche, du rythme et de couleurs subtiles.  

De retour en Norvège au début des années 1890 après une formation dans les grandes capitales artistiques européennes Munich et Paris, elle a ouvert une école mixte de peinture qui devint l’une des plus importantes du pays avant la création de l’académie des beaux-arts. Participant à de nombreux jurys d’expositions, Backer fut aussi, pendant vingt ans, membre du conseil d’administration et du comité d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège.

Une formation européenne : Munich et Paris

Harriet Backer manifeste dès l’enfance un goût prononcé pour le dessin et la peinture. Comme de nombreux artistes norvégiens, elle poursuit sa formation dans les grandes capitales artistiques de l'Europe de l'Ouest et du centre. En compagnie de sa sœur Agathe qui étudie le piano, elle se rend à Berlin puis à Florence. Elles s'installent en 1874 à Munich qui abrite une dynamique communauté d'artistes scandinaves. Backer y fait la connaissance de certains de ses amis les plus proches notamment Eilif Peterssen et Kitty Kielland. Dès ses premiers voyages, Backer se forme aussi en copiant les maîtres anciens dans les musées et s'intéresse tout particulièrement à la peinture hollandaise du XVIIe siècle. C’est à Paris qu’elle effectue son plus long séjour. Elle y réside dix ans à partir de 1878 et s’inscrit à l’académie de Mme Trélat de Lavigne, une école réservée aux femmes, très appréciée par les artistes nordiques où enseignent Léon Bonnat, Jean-Léon Gérôme et Jules Bastien-Lepage. Backer, jusqu’alors férue de peinture d’Histoire, s’intéresse au naturalisme et observe également les impressionnistes.

 

Cercle d’artistes femmes scandinaves

À Munich puis à Paris, Harriet Backer rencontre des artistes venues de Norvège, Suède, Danemark et Finlande qui partagent son ambition de devenir des peintres professionnelles. De nombreuses femmes scandinaves viennent se former dans des ateliers privés en Allemagne et en France car les Écoles et Académies des Beaux-Arts leur sont encore fermées.

En 1875, à Munich, Harriet Backer se lie à Kitty Kielland, paysagiste et militante pour les droits des femmes avec qui elle partage toute sa vie son logement-atelier. Leur relation, qu’elle ait impliqué ou non une intimité de couple, bouscule les normes de genre de l’époque. Une union aussi étroite entre deux femmes peintres n’était cependant pas rare au tournant du XXe siècle, la majorité d’entre elles restant célibataires pour garder leur indépendance personnelle et professionnelle.

Dans les années 1880, à Paris, Backer retrouve nombre d’artistes des pays du Nord qui complètent leur formation dans cette capitale artistique. Elles s’y professionnalisent, construisent leurs propres réseaux, exposent au Salon et gagnent une reconnaissance publique et critique. Ces artistes femmes vivent en compagnonnage et se représentent dans des portraits croisés où l’atelier a un rôle symbolique de pièce à soi, où se conquiert l’indépendance par la création.

 

Chez moi, l’atelier musical

Harriet Backer grandit dans un milieu musical. Sa sœur Agathe Backer Grøndahl est l’une des plus importantes compositrices norvégiennes de son temps. Son neveu Johan Backer Lunde, fils de son autre sœur Inga, est également compositeur. Comme beaucoup de femmes de la bourgeoisie, Backer maîtrise le piano. L’instrument de musique trône au cœur de son appartement, à Paris et à Kristiana (Oslo) et ses amis mélomanes se retrouvent pour des concerts intimistes. La peinture Chez moi (1887) montre l’autrice Asta Lie au piano dans l’appartement-atelier que Backer partage à Paris avec Kitty Kielland. Ce thème de la femme au piano infuse l’œuvre de Backer tout au long de sa carrière. Il est associé dans l’exposition aux portraits de ses proches, souvent réunis autour de la musique.  

Davantage qu’un thème, la musique est un modèle pour Backer : elle souhaite que le tableau soit « une musique pour l’œil ». Comme beaucoup d’artistes de son temps, elle voit dans la musique l’aspiration et le modèle de tout art. Au moyen de la touche, de la composition et de la couleur, elle crée des rythmes et des harmonies colorées qui traduisent les impressions produites par la musique.

 

Intérieurs rustiques

Peu importe que j'aie promis d'arrêter de peindre des intérieurs, de me tourmenter avec des lignes de perspective et de me battre avec des pieds de chaise. Dès que j'entre dans une pièce aux couleurs bleues et rouges sur des meubles rustiques ou des murs mats et brillants, où la lumière réfléchie par les arbres et le ciel entre par une fenêtre ou une porte, je ne tarde pas à me retrouver devant une toile". C'est ainsi que Harriet Backer décrit sa fascination pour les intérieurs ruraux lors d'une conversation avec le peintre Christian Krohg. Elle aborde ce motif en 1881 lors d’un voyage d’étude en Bretagne avec les peintres Kitty Kielland et Germain Pelouse. Harriet Backer peint alors deux fermes, respectivement le matin et le soir, en explorant la manière dont la lumière transforme les couleurs et les atmosphères selon les heures du jour ; une approche qui rappelle celle des impressionnistes. Elle continue d’explorer ces motifs lors de ses différents séjours en Norvège en offrant indirectement une vision de la vie quotidienne, simple et authentique, des paysannes et paysans contemporains, sans en faire toutefois son sujet principal.

 

Rites et reflets intérieurs d’églises

Après son retour en Norvège en 1888, les intérieurs d'églises et les rituels religieux deviennent des sujets importants pour Harriet Backer. Ils participent grandement à sa renommée dans son pays natal. Dans un contexte politique de revendication d’une identité norvégienne propre, sa préférence va aux édifices anciens, médiévaux, construits avant la colonisation danoise puis suédoise. Les églises qu'elle représente sont pour la plupart d'obédience luthérienne, alors majoritaire en Norvège. Elle les peint inlassablement en dépit des conditions matérielles parfois compliquées, dues à la vétusté ou au grand isolement des bâtiments, insistant sur les éléments architecturaux qui donnent à ces édifices une atmosphère toute singulière. Elle s'attache ainsi aux jeux de lumière et de couleurs sur les boiseries vernissées, sur la pierre ou sur les bancs patinés par le temps et décrit les cérémonies religieuses du quotidien, traduisant ainsi tout à la fois son altruisme pour ses contemporains et sa vision de la foi, humble, personnelle et centrée sur l'introspection.

 

Extérieur

Harriet Backer s’intéresse tardivement au paysage. Ses premiers essais connus datent de l’été 1884. Ils sont influencés par le naturalisme de Jules Bastien-Lepage dont elle a suivi l’enseignement à Paris et coïncident avec le goût pour la peinture de plein air très en vogue chez les artistes nordiques. Ses paysages associent un intense travail sur la couleur et une touche très libre rappelant l’impressionnisme. Backer réside de juin à octobre 1886 à la ferme de Fleskum, près d’Oslo, avec certains de ses amis très proches rencontrés à Munich. Cette colonie artistique improvisée initie un mouvement profond dans la peinture de toute l'Europe du Nord. Le travail conjoint de Kitty Kielland et Eilif Petersen aboutit en effet à l'éclosion d'un néoromantisme national qui exalte la puissance intrinsèque des paysages et des identités nordiques. Il accompagne l'intensification des revendications d’autonomie politique des pays scandinaves. Backer ne s'engage dans cette voie qu'à la décennie suivante, avec des paysages centrés sur des formes plus denses, aux teintes assombries et mystérieuses qui théâtralisent la nature norvégienne.

 

La vie silencieuse

En 1903, Harriet Backer s'installe dans un atelier situé Hansteens gate 2 à Kristiania (Oslo), où elle vit et travaille jusqu’à la fin de sa vie, à côté de ses amies peintres Kitty Kielland et Asta Nørregaard. Vers 1910, elle renoue avec les natures mortes pour la première fois depuis ses années munichoises.  Elle peint la vie secrète et silencieuse des choses, comme elle peignait les figures dans leurs intérieurs. Elle explore les rapports entre couleur et forme avec quelques objets et plantes qui reviennent d’un tableau à l’autre. Certaines de ses représentations de vases et de pommes rappellent les tableaux de Cézanne, dont elle fut qualifiée de « sœur » par son élève Henrik Sørensen. L’autre motif développé au début du XXe siècle est celui de la fenêtre. Elle en simplifie les détails et se concentre sur ce foyer de lumière, lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur, un motif récurrent dans son œuvre.

Backer disposait d’un second atelier, près de son atelier personnel, où, fait exceptionnel pour l’époque, elle formait des élèves femmes et hommes. Cet enseignement complétait ses revenus car, elle peignait si lentement qu’elle ne pouvait vivre de la seule vente de ses tableaux. Comme professeur elle incitait chacun à développer son style propre. Backer eut une influence considérable sur toute une jeune génération d’artistes norvégiens.