Exposition au musée

James Ensor

Du 20 octobre 2009 au 04 février 2010
James Ensor
La Mort et les masques, 1897
Liège, musée d'Art moderne et d'Art contemporain de la Ville
© photo MAMAC Liège / DR

Une jeunesse à Ostende

James Ensor-Les bains à Ostende
James Ensor
Les bains à Ostende, 1890
Pays-Bas, Fondation Challenges
© Fondation Challenges / DR

Une jeunesse à Ostende

James Sidney Edward Ensor est né en 1860 dans la ville d'Ostende, en Belgique. Ce petit village de pêcheurs acquiert une certaine notoriété en 1834, lorsque le roi Léopold Ier en fait sa résidence estivale, avant de devenir au cours des décennies suivantes une station balnéaire animée et très à la mode.
C'est à Ostende que le père de James, James Frederic, un anglais cultivé, rencontre sa mère, Marie Catherine Haegheman, une petite bourgeoise locale dont la famille posséde une boutique de souvenirs et de curiosités. Le magasin fait vivre la famille d'Ensor, et le futur peintre grandit dans ce décor de "coquillages, dentelles, poissons rares empaillés, vieux livres, gravures, armes, porcelaines de Chine, un fouillis inextricable d'objets hétéroclites" (lettre d'Ensor à Louis Delattre, 4 août 1898). Le parcours de l'exposition est d'ailleurs ponctué par quelques masques, coquillages, sirène... provenant du magasin et de la maison d'Ensor.

James Ensor-Coquillages et crustacés
James Ensor
Coquillages et crustacés, 1889
Wupperthal, Von der Heydt Museum
© Von der Heydt Museum Wuppertal. Photo Gerd Neumann / DR

Ce milieu original exerce une influence déterminante et durable sur le peintre, comme il le reconnaît plus tard : " Mon enfance a été peuplée de rêves merveilleux et la fréquentation de la boutique de la grand'mère toute irisée de reflets de coquilles et des somptuosités des dentelles, d'étranges bêtes empaillées et des armes terribles de sauvages m'épouvantaient [...] certes le milieu exceptionnel a développé mes facultés artistiques". Dès les premières manifestations de sa vocation, le jeune homme peut sans doute compter sur le soutien de son père, un homme intellectuel et sensible.

En quête de modernité

James Ensor-Chinoiseries avec éventails
James Ensor
Chinoiseries avec éventails, 1880
Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
© MRBAB, Bruxelles / DR

En quête de modernité

Formé à l'Académie de Bruxelles, à laquelle il s'inscrit en 1877, Ensor en rejette rapidement l'enseignement et préfère revenir travailler dans sa ville d'Ostende dès 1880. A l'exception de quelques voyages à Londres, au Pays-Bas ou à Paris, et de nombreux passages à Bruxelles, il y demeure jusqu'à la fin de ses jours. Après son séjour dans la capitale belge, il se met à élaborer son univers personnel, explorant son environnement dans de nombreuses peintures et dessins.

James Ensor-La mangeuse d'huîtres
James Ensor
La mangeuse d'huîtres, 1882
Musée Royal des Beaux Arts, Anvers, Belgique
© DR

Ensor réalise des paysages, des natures mortes, des portraits ainsi que des scènes de genre mettant en scène sa soeur, sa mère, sa tante. La mangeuse d'huîtres, oeuvre majeure de la période, conjugue magistralement ces divers genres picturaux. On y voit sa soeur Mitche absorbée par un repas d'huîtres. Une profusion de fleurs, d'assiettes et de linge de table se déploie devant elle. Mais La mangeuse d'huîtres est sans doute un tableau trop audacieux pour les très conservateurs milieux officiels et il est refusé au Salon d'Anvers de 1882.
Même si Ensor n'échoue pas complètement auprès des cercles traditionnels, il expose un tableau au Salon de Bruxelles en 1881 et deux autres à celui de Paris en 1882, il s'engage alors dans la libéralisation des expositions artistiques et bataille pour devenir un chef d'école. Il participe notamment à la création du groupe des XX qui joue rapidement un rôle de premier plan au sein de l'avant-garde.

"Je suis noble par la lumière"

James Ensor-La vive et Rayonnante : L'entrée du Christ à Jérusalem
James Ensor
La vive et Rayonnante : L'entrée du Christ à Jérusalem, 1885
Gand, Museum voor Schone Kunsten
© DR / DR

"Je suis noble par la lumière"

Elevé sur les rivages de la mer du Nord, Ensor se passionne pour les effets de la lumière. Dans un tableau tel que La mangeuse d'huîtres, les liquides miroitant dans les verres jusqu'aux reflets sur le miroir trahissent déjà l'intérêt du peintre pour le pouvoir et la qualité de la lumière. Pour lui, elle est à l'opposé de la ligne, qui est elle-même "ennemie du génie" et "ne peut exprimer la passion, l'inquiétude, la lutte, la douleur, l'enthousiasme, la poésie, sentiments si beaux et si grands [...]".
Cet intérêt pour la lumière incite certains critiques à tenter un parallèle avec l'impressionnisme français. Mais Ensor repousse la comparaison avec fougue : "On m'a rangé à tort parmi les impressionnistes, faiseurs de plein air, attachés aux tons clairs. La forme de la lumière, les déformations qu'elle fait subir à la ligne n'ont pas été comprises avant moi. Aucune importance n'y était attachée et le peintre écoutait sa vision. Le mouvement impressionniste m'a laissé assez froid. Edouard Manet n'a pas surpassé les anciens" affirme-t-il en 1899.

James Ensor-L'Intense. Le Christ montant au ciel
James Ensor
L'Intense. Le Christ montant au ciel, 1885
Douvres, collection particulière
© DR

Porté par ces certitudes, il amplifie ses recherches, et confère à la lumière une puissance unificatrice autant que spirituelle. A l'inspiration moderne de ses premiers sujets, s'ajoute un esprit mystique. Ses paysages prennent ainsi leurs distances avec la réalité pour devenir des chaos primitifs, dominés par un souffle divin.
Cette quête culmine dans la série de dessins Visions. Les Auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière (1885-1886). Seule la figure du Christ peut exprimer la puissance qu'Ensor a découvert dans la lumière. Celle-ci est omnipotente et traduit tous les états d'âme. Elle est ainsi "gaie", ou "crue", ou "triste et brisée", ou "intense", ou encore "rayonnante". Elle décroît, croît, lutte avec l'ombre ou triomphe jusqu'à l'aveuglement.
Présentés au Salon des XX de 1887, ces immenses dessins ne suscitent pas l'enthousiasme qu'Ensor espérait. Son envoi ne reçoit qu'un accueil mitigé, alors que l'on fait l'éloge du Dimanche à la Grande Jatte de Seurat, également exposé au XX.

"Le peintre des masques"

James Ensor-L'entrée du Christ à Bruxelles
James Ensor
L'entrée du Christ à Bruxelles, 1898
Ostende, Kunstmuseum aan Zee
Collection de Thomas et Lore Firman
© Photo Daniël Kievith / DR

"Le peintre des masques"

Très sensible à la critique, Ensor apparaît blessé, déçu, désespéré après les XX de 1887 et sa confrontation avec la grande toile de Seurat. Au cours de la même année, il doit affronter les disparitions de son père et de sa grand-mère, auxquels il était très attaché. Ces évènements marquent profondément Ensor et provoquent un tournant dans sa carrière et sa démarche.
Déjà présentes dans son oeuvre depuis 1883, les représentations de masques et de squelettes prennent à partir de 1887 une place prééminente. Il revisite même une partie de sa production du début des années 1880 afin de la peupler de ces motifs. Masques et squelettes rappellent bien sûr l'étrange ambiance du magasin familial ainsi que la tradition du carnaval d'Ostende, mais ils ont également une portée symbolique. Les premiers camouflent et exacerbent une réalité que le peintre trouve trop laide et trop cruelle, tandis que les seconds pointent la vanité et l'absurdité du monde.

James Ensor-Squelettes se disputant un hareng saur
James Ensor
Squelettes se disputant un hareng saur, 1891
Bruxelles, Musées royaux des Beaux Arts de Belgique
© MRBAB, Bruxelles / DR

En 1888, Ensor s'attaque à la monumentale Entrée du Christ à Bruxelles en 1889 (2,52 x 4,3 m., Los Angeles, The Paul Getty Museum), sa réponse au tableau de Seurat et à ses détracteurs. Cette oeuvre mêle tous les principes de l'art d'Ensor : la lumière qui exalte les couleurs poussées au plus vif, le souci de modernité qui transplante le Christ dans la Bruxelles du XIXe siècle tiraillée par des mouvements politiques contradictoires, les masques qui brouillent la réalité, l'apothéose du peintre enfin. Ensor donne ses traits au Christ entrant dans Bruxelles, comme s'il sacrifiait sa vie et sa paix à la peinture.
Parallèlement à la réalisation de son tableau programmatique, Ensor se venge des attaques dont il est l'objet dans une série de panneaux virulents, de gravures, de dessins qui dénoncent les grandes injustices de son temps aussi bien que ses petites mesquineries. Ces oeuvres sont d'une véhémence et d'une liberté inégalées en cette fin de siècle.

Les autoportraits

James Ensor-Ensor aux masques
James Ensor
Ensor aux masques, 1899
Komaki, Japon, Menard Art Museum
© Menard Art Museum, Aichi, Japon / DR

Les autoportraits

"Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est-à-dire lui-même, n'eût multiplié à l'infini sa propre effigie" écrit le poète et critique Emile Verhaeren en 1908 dans sa monographie consacrée à l'artiste. De fait, jamais Ensor n'a cessé de se représenter. Jeune, fringant, plein d'espoir et de fougue, triste mais somptueux parfois, ainsi apparaît-il dans ses premiers tableaux. Bientôt cependant il laisse exploser sa rancoeur en soumettant son image à de multiples métamorphoses. Il est un hanneton, il se déclare fou, il se "squelettise"... Il s'identifie au Christ puis à un pauvre hareng saur. Il se caricature, se ridiculise... Il est l'auteur et la marionnette de comédies ou de tragédies dans lesquelles il invite de temps en temps ses détracteurs pour de cruels règlements de compte.

James Ensor-Ensor à l'harmonium
James Ensor
Ensor à l'harmonium, 1933
Komaki, Japon, Menard Art Museum
© Menard Art Museum, Aichi, Japon / DR

Les autoportraits d'Ensor, si variés, si différents, sont le reflet de son oeuvre entier, difficilement cernable et a priori incohérent. Par leurs techniques – dessin, gravure, panneau, huile sur toile – et par leurs formats – du minuscule au très grand –, ils témoignent de la fougueuse impatience d'Ensor qui expérimente divers médiums pour suivre au plus près son besoin d'expression. Par leurs styles – réaliste, onirique, sardonique, caricatural, macabre –, ils traduisent les mouvements de son humeur changeante. Pourtant, c'est bien par l'autoportrait qu'Ensor s'applique à démontrer "l'unité" de son oeuvre. Se représentant chez lui, au milieu de ses masques, de ses fantômes et de ses tableaux, il classe, organise, hiérarchise sa production, aussi foisonnante, brillante qu'hétéroclite. Il peint, longuement, sa mythologie, prépare sa place dans l'histoire de la peinture.