Exposition au musée

Johan Barthold Jongkind (1819-1891)

Du 02 juin au 05 septembre 2004
Johan Barthold Jongkind
Notre-Dame de Paris, 1854
Paris, musée du Louvre
Donation Hélène et Victor Lyon
© RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski / DR
Johan Barthold Jongkind-Portrait de l'artiste par lui-même
Johan Barthold Jongkind
Portrait de l'artiste par lui-même, 1850, annoté en 1860
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre, fonds du musée d'Orsay
Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage

Johan Barthold Jongkind est né le 3 juin 1819 à Lattrop, dans l'est des Pays-Bas. A 16 ans il quitte l'école pour être employé chez un notaire mais en 1837, sa mère, veuve depuis un an, l'autorise à partir pour La Haye afin de suivre des cours à l'Académie de dessin. Jongkind devient alors l'élève d'un célèbre paysagiste de plein air, Andreas Schelfhout (1787-1870). Dans la biographie qu'il a consacrée à Jongkind en 1918, Etienne Moreau-Nélaton dira : "L'un des plus précieux dons qu'il tient de Schelfhout, c'est l'initiation à l'aquarelle rapide d'après nature, donnant l'aspect complet d'un paysage par lavis de couleurs sommaire, superposé à un dessin nerveux et fortement charpenté".

Johan Barthold Jongkind-Scène d'hiver en Hollande
Johan Barthold Jongkind
Scène d'hiver en Hollande, 1846
La Haye, Gemeentemuseum
© Gemeentemuseum Den Haag

Ses oeuvres de jeunesse traduisent son attachement à la tradition des peintres paysagistes hollandais du XVIIe siècle. Par la composition de ses tableaux tout d'abord : horizon bas - un tiers pour la terre et deux tiers pour le ciel -, diagonale montante de gauche à droite, petits personnages qui peuplent le paysage, mais également par le choix des motifs : les canaux, les patineurs, les moulins, même si Jongkind s'intéresse plus au rendu de la lumière et de l'atmosphère qu'au pittoresque du sujet.
En 1845, Jongkind fait une rencontre décisive. Venu à La Haye pour assister à l'inauguration d'une statue de Guillaume d'Orange-Nassau dit le Taciturne (1533-1584), prince allemand, Stadhouder de Hollande, le peintre Eugène Isabey (1803-1886) l'invite à rejoindre son atelier à Paris.

Johan Barthold Jongkind-Notre-Dame de Paris
Johan Barthold Jongkind
Notre-Dame de Paris, 1854
Paris, musée du Louvre
Donation Hélène et Victor Lyon
© RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski / DR

En 1846, Jongkind intègre l'atelier d'Isabey et devient son élève. Il fait de nombreuses rencontres à Paris, notamment Daubigny, Baudelaire, Nadar, Rousseau, Corot... Son caractère jovial lui permet de nouer de solides amitiés.
Le peintre apprécie particulièrement les quais de la Seine et le quartier de Notre-Dame devient l'un des ses sujets favoris.

Johan Barthold Jongkind-Le pont de l'Estacade
© photo : droits réservés

Avec Jongkind, la peinture de paysage française du XIXe siècle forge des liens avec le paysage hollandais du XVIIe siècle.
Dans la lumière de ses tableaux, par l'ambiance qui s'en dégage, on retrouve l'influence de Corot qu'il admire.
Mais la composition demeure classique, comme dans Le pont de l'estacade : une grande diagonale et un ciel qui, avec les éléments d'architecture, occupe les deux-tiers supérieurs du tableau. En représentant cette passerelle en métal et en ciment armé, en témoignant de l'activité humaine (travail des pêcheurs, les passants sur le pont...), Jongkind incarne aussi la "modernité" chère aux impressionnistes.

Johan Barthold Jongkind-Le port de Harfleur
Johan Barthold Jongkind
Le port de Harfleur, 1850, Salon 1850-1851
Amiens, musée de Picardie
© Amiens, musée de Picardie

Jongkind accède à une certaine reconnaissance au cours de ses dix premières années à Paris. Il est exposé au Salon dès 1848, reçoit une médaille de troisième classe en 1852 et l'Etat achète le Port de Harfleur en 1851 et le Pont de l'estacade en 1853. Il est connu des amateurs pour ses clairs de lune et ses vues de Paris.
Mais sa situation financière demeure précaire, d'autant plus qu'en 1853 la bourse que lui avait accordée roi Guillaume I pendant ses études à La Haye est supprimée. Esprit tourmenté, Jongkind est fréquemment en proie à des délires paranoïaques, fragilité accentuée par l'excès d'alcool. L'absence de récompense au Salon de 1855, achève de le déprimer. Il avoue son tourment dans une lettre à Eugène Smits : "Ce que j'ai éprouvé est incroyable... on ne m'a même pas donné une mention honorable, rien".

Johan Barthold Jongkind-Chemin de halage près de La Haye
Johan Barthold Jongkind
Chemin de halage près de La Haye, 1859
Enshede, Stichting Rijksmuseum Twenthe
© Stichting Rijksmuseum Twenthe, Enshede

Accablé de dettes, ne retenant que les déceptions, Jongkind retourne vivre en Hollande. Cependant les liens avec la France ne sont pas coupés. Il fait un séjour à Paris en 1857, reçoit une médaille d'argent lors d'une exposition à Dijon en 1858, participe au Salon de 1859 et vend ses toiles presque exclusivement à Paris par l'intermédiaire du marchand Pierre-Firmin Martin. Mais en Hollande Jongkind continue de boire, les dettes s'accumulent à nouveau.
Informés de son état, ses amis, sur l'initiative du comte Doria, organisent une vente aux enchères pour lui venir en aide. Quatre-vingt treize artistes, parmi lesquels Corot, Daubigny et Diaz, y participent en donnant chacun une oeuvre. Le fruit de la vente permet d'envoyer, en avril 1860, le peintre Cals en Hollande afin de payer les dettes de Jongkind et de le ramener à Paris. S'ouvre alors une période féconde pour l'artiste

Johan Barthold Jongkind-Honfleur, lever de soleil à l'entrée du port
Johan Barthold Jongkind
Honfleur, lever de soleil à l'entrée du port, 1863
Honfleur, musée Eugène Boudin
© Musée Eugène Boudin, Honfleur

De retour en France, Jongkind retrouve un certain équilibre psychologique, grâce à la présence à ses côtés de Mme Fesser, une hollandaise mariée à un français qui le prend en charge. C'est également au cours de ces années que Jongkind affirme de plus en plus clairement son propre style et s'affranchit de l'influence de ses anciens maîtres.
A partir de 1862, Jongkind retourne en Normandie une région qu'il avait découverte aux côtés d'Isabey quinze ans auparavant. Jongkind se lie d'amitié avec Boudin (1824-1898), fait la connaissance de Monet (1840-1926) et Bazille (1841-1870). Ils se retrouvent régulièrement à la ferme Saint-Siméon, lieu de rencontre des peintres de l'époque.

Johan Barthold Jongkind-Entrée de port, Honfleur
Johan Barthold Jongkind
Entrée de port, Honfleur, 1866
Paris, musée du Louvre
Donation Hélène et Victor Lyon
© RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Jongkind sert de guide pour ces artistes plus jeune que lui. Pour Boudin : "Jongkind commençait à faire avaler une peinture dont l'écorce un peu dure cachait un fruit excellent et des plus savoureux ". Et à propose de ses aquarelles : "C'est fait avec rien, et pourtant la fluidité du ciel et des nuages y sont traduites avec une précision inimaginables", tandis que Monet reconnaîtra plus tard : "Jongkind se fit montrer mes esquisses, m'invita à venir travailler avec lui, m'expliqua le comment et le pourquoi de sa manière et, complétant par là l'enseignement que j'avais reçu de Boudin, il fut à partir de ce moment mon vrai maître. C'est à lui que je dois l'éducation définitive de mon oeil...".

Johan Barthold Jongkind-Ruines du château de Rosemont
Johan Barthold Jongkind
Ruines du château de Rosemont, en 1861
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot
Voir la notice de l'œuvre

Honfleur et sa région fournissent à Jongkind "... tout ce qu'il faut pour faire de beaux tableaux".
A la suite des paysagistes anglais comme Constable, Turner et Bonington, de Corot et des peintres de Barbizon, il donne avec Boudin la primauté à l'observation directe de la nature.

Johan Barthold Jongkind-Vue du château ruiné de Rosemont
Johan Barthold Jongkind
Vue du château ruiné de Rosemont, 1861
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre, fonds du musée d'Orsay
Donation Etienne Moreau-Nélaton, 1907
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage

Mais Jongkind n'est pas un peintre de plein air. Face à son motif, il exécute des aquarelles dans lesquelles s'affirme toute sa maîtrise. Il se sert ensuite de ces vues pour peindre ses toiles en atelier : "Il les peignait "d'après nature", mais il faut s'entendre sur ce que signifie cette expression dans sa bouche ou sous sa plume. Un tableau de Jongkind "d'après nature" n'est pas une copie directe du motif qu'il s'est proposé. C'est la reproduction du même sujet traité sur place à l'aquarelle. Son oeuvre de premier jet, c'est une aquarelle. C'est avec son pinceau d'aquarelliste qu'il saisit directement l'impression de la nature" (Etienne Moreau-Nélaton).
Doué d'une grande mémoire visuelle, Jongkind peut reconstituer à l'atelier un paysage saisi des années auparavant. Il peint ainsi jusqu'à la fin de sa vie des paysages hollandais alors que son dernier voyage dans son pays natal date de 1869.
Pour la fraîcheur de sa vision, sa touche fragmentée, Jongkind est considéré avec raison comme un précurseur de l'impressionnisme. En 1863, alors que Jongkind expose trois tableaux au Salon des Refusé dont Ruines du château de Rosemont (musée d'Orsay, donation Moreau-Nélaton), le critique Castagnary écrit ces mots prémonitoires : "Chez lui tout gît dans l'impression". Mais Jongkind ne peut être vu comme un chef de file. Il ne se préoccupe pas de l'aspect intellectuel de la peinture et ne songe qu'à reproduire intuitivement ses sensations visuelles. Il est d'ailleurs absent de la première exposition impressionniste en 1874.

Johan Barthold Jongkind-La Ciotat
Johan Barthold Jongkind
La Ciotat, 1880
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre, fonds du musée d'Orsay
Legs du comte Isaac de Camondo, 1911
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage

Jongkind passe les vingt dernières années de sa vie dans le Nivernais, puis dans le Dauphiné. Il voyage en Suisse, en Belgique, dans le sud de la France, où il réalise de nombreuses études.
Son équilibre mental demeure cependant précaire et il reste miné par l'alcoolisme. Progressivement il se réfugie dans le cercle intime de la famille Fesser, ses séjours parisiens s'espacent.
Sa cote ne cesse pourtant de monter dans la capitale auprès des marchands de tableaux. Libéré des soucis financiers, il trouve dans l'aquarelle son moyen d'expression essentiel. C'est sans doute à travers cette technique spontanée que s'exprime le mieux sa virtuosité. L'influence qu'il exerce auprès de la génération des impressionnistes s'explique notamment par la légèreté avec laquelle il suggère la lumière, le scintillement de l'eau et de l'air.
Vers la fin de sa vie, sa technique devient plus audacieuse. Il simplifie ses motifs, rehausse ses aquarelles par des touches colorées de gouache et n'hésite pas à se servir du blanc du papier comme d'une teinte supplémentaire.

Johan-Barthold Jongkind-Vue d'une place d'Avignon, avec une droguerie
Johan Barthold Jongkind
Vue d'une place d'Avignon, avec une droguerie, date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs comte Isaac de Camondo, 1911
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage / © RMN / Réunion des Musées Nationaux
Voir la notice de l'œuvre

Jongkind s'éteint le 9 février 1891 à La Côte-Saint-André, en Isère, où il s'était retiré à partir de 1878 avec Mme Fesser. Une vente de ses tableaux organisée en décembre 1891 obtient un grand succès, consacrant un artiste déjà reconnu par ses pairs. Manet le qualifiait de "père du paysage moderne", tandis que dans ouvrage qu'il lui consacre en 1927, Signac place Jongkind "ce rénovateur du paysage moderne entre Corot et Monet".