Exposition au musée

La dame aux éventails - Nina de Callias, modèle de Manet

Du 18 avril au 16 juillet 2000
Edouard Manet
La Dame aux éventails, en 1873
Musée d'Orsay
Don M. et Mme Ernest Rouart, 1930
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre
Edouard Manet-Odalisque
Edouard Manet
Odalisque, vers 1862 - 1863
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre
© DR

Nonchalamment étendue sur un sofa, La dame aux éventails d'Edouard Manet fixe avec curiosité et un rien d'ironie le visiteur qui passe. Costumée à l'orientale (blouse à l'algérienne, babouches), posant sur un fond d'écrans japonais, elle a bien l'apparence composite de la "figure de fantaisie" que Manet entendait peindre, déniant avoir fait là un portrait. On retrouve l'image de la dame, d'après Manet encore, dans une petite revue littéraire de l'époque, la Revue du Monde Nouveau. Cette fois elle pose en "Parisienne", titre de la gravure : en robe de velours noir relevée d'une fraise, en chapeau, elle devient le type même de l'élégante. La silhouette s'est affinée, comme le visage qui revêt une expression songeuse. Un sonnet dédié à Manet par Charles Cros, directeur de la revue, relate la séance de pose, sans nommer le modèle.
Le tableau ne fut pas exposé du vivant de Manet, qui le conserva dans son atelier, à l'abri des regards. Lors de la rétrospective consacrée à l'artiste un an après sa mort, en 1884, l'oeuvre est présentée sous le titre La dame aux éventails. A la vente de son atelier la même année, elle est acquise par un de ses modèles d'élection, sa belle-soeur la peintre Berthe Morisot. Sa fille en fera don aux musées nationaux en 1930. Depuis lors, La dame aux éventails s'offre aux regards du public.

Henri Cros -Prix du Tournoi
Henry Cros
Prix du tournoi, en 1873
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot / Christian Jean
Voir la notice de l'œuvre

Mais qui est cette femme, tour à tour odalisque et parisienne, que le premier biographe de Manet désigne en 1884 comme "une musicienne très distinguée, qui ajouta à ses succès de pianiste et de compositeur des succès de poète"?
L'exposition que le musée d'Orsay lui consacre tente de répondre à cette question en retraçant l'histoire de sa vie, - celle d'une femme de talent, excellente pianiste et poète occasionnelle, qui sut faire de son salon l'un des foyers les plus animés de l'avant-garde artistique et littéraire de son temps, - celle aussi d'une femme indépendante qui voulut vivre suivant sa fantaisie, en dehors des règles sociales en vigueur, et qui paya ce choix au prix fort.
Après une première salle centrée autour du tableau de Manet, La dame aux éventails, où l'on présente des portraits contemporains de femmes peintes dans la même posture, le parcours de l'exposition suit la vie de Nina de Callias (1843-1884), de la jeunesse insouciante et mondaine à la folie et à la mort.
A travers les différents salons qu'elle a animés, c'est tout un pan de la vie littéraire et artistique de la fin du second Empire et des débuts de la troisième République qui se déroule devant nos yeux : vite séparée d'un journaliste instable qu'elle a épousée par amour (1864-1868), elle accueille dans son appartement de la rue Chaptal de jeunes poètes en quête de formules nouvelles groupés sous la bannière du Parnasse contemporain, recueil auquel elle participe elle-même (1869).
Des journalistes républicains y viennent aussi. Son salon devient ainsi le foyer d'un mouvement progressiste, tant dans le domaine poétique que politique.
On y lit des vers, on y donne des fêtes. Ce sont des années fastes : Nina est courtisée, fêtée. Ses admirateurs – Coppée, Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine, Anatole France, Charles Cros surtout avec qui elle entretient dix ans durant une liaison orageuse – la célèbrent, tout comme les artistes. La salle consacrée aux frères Cros présente les cires polychromes d'Henry et les essais de photographie en couleurs de Charles. C'est dans la fréquentation de Nina et de ses amis qu'ils ont puisé nombre d'idées novatrices.

Edouard Manet-Portrait de Jean de Cabanès dit Cabaner
Edouard Manet
Portrait de Jean de Cabanès dit Cabaner, en 1880
Musée d'Orsay
Legs de Mme veuve Eugène Michon, 1923
photo musée d'Orsay / rmn © RMN-Grand Palais / DR / DR
Voir la notice de l'œuvre

La guerre, puis la Commune vont provoquer une rupture dans la vie de la jeune femme. Ayant accueilli dans son salon des républicains impliqués dans la Commune, Nina, pour fuir la répression, s'exile à Genève. Rentrée à Paris au printemps 1873, elle reprend ses soirées un an plus tard, mais les conditions ont changé : elle est maintenant installée dans un modeste pavillon d'un quartier périphérique, aux abords de la barrière de Clichy.
Les anciens Parnassiens qui commencent à faire carrière (Coppée, Anatole France, Heredia...) boudent son salon. Restent quelques fidèles, méconnus encore : Villiers de l'Isle-Adam, Chabrier, Léon Dierx, Charles Cros, compagnon loyal.
De nouvelles recrues font leur apparition, poètes et peintres débutants d'une génération intermédiaire, qui cherchent leur voie : on y croise Forain, Franc Lamy, Georges Lorin, Richepin, Rollinat, Goudeau, Germain Nouveau. Le salon de Nina de Villard, nom de jeune fille de sa mère qu'elle a désormais adopté, est maintenant suspect, elle fait figure de déclassée, évoluant délibérément en marge de la bonne société.

Pierre Franc-Lamy-Le Salon de Nina de Villard, projet d'éventail
Pierre Franc-Lamy
Le Salon de Nina de Villard, projet d'éventail
Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre
© DR

Cette deuxième période se révèle féconde cependant : c'est dans ce creuset que se façonne l'esprit de parodie à l'oeuvre dans le recueil collectif Dixains réalistes auquel elle contribue, et d'où naîtra le cercle des Hydropathes, précurseur du Chat noir, maillon essentiel dans la genèse du symbolisme.
La tension nerveuse liée aux nuits de veille, l'abus d'alcool aussi, vont avoir raison de la santé mentale de Nina de Villard. La rupture avec Charles Cros, en 1877, contribue à cette ultime fracture. Elle se considère comme morte depuis longtemps déjà quand elle s'éteint à quarante et un ans, l'année même où son portrait par Manet est dévoilé au public.