La maison de Wendel. Trois siècles d'industrie en Lorraine (1704-2004)
Une véritable épopée industrielle commence lorsque Jean-Martin Wendel achète en 1704 à Hayange, petit village de la vallée de la Fensch, une forge à demie-ruinée. Originaire de Bruges, la famille s'installe en Lorraine, avec Christian de Wendel (1636-1708). Son fils cadet, Jean-Martin, devient directeur des forges d'Ottange, avant de débuter à Hayange cette lignée de maîtres de forges qui dirigea jusqu'en 1978. A la mort de ce pionnier, ses fils héritent de cinq forges en pleine activité, dont l'histoire va bientôt croiser celle de la fameuse fonderie royale du Creusot, dont Ignace de Wendel, son petit-fils, est l'un des fondateurs. Ce dernier est une figure passionnante, non seulement un grand ingénieur féru d'innovations techniques, mais aussi un écrivain et un philosophe, un "homme des lumières", en exil en Allemagne pendant la révolution, ami de Goethe, alors ministre en charge des mines et des forges.
Les femmes ont un grand rôle dans cette aventure : Madame d'Hayange (1718-1802), veuve en 1784 de Charles de Wendel, reste seule face à la tourmente révolutionnaire ; les forges sont confisquées, la veuve conduite en prison à Sarreguemines. Il faut, en 1803, racheter les forges, sorte de seconde fondation. Plus tard, Madame François de Wendel qui perd son mari en 1825, puis son fils, Charles, en 1870 se retrouve confrontée à l'annexion. C'est elle qui crée la Société des Petits-Fils de François de Wendel, conservant la propriété et la gérance des usines.
Au XIXe siècle, l'entreprise prend tout son essor. François de Wendel (1774-1825) et Charles de Wendel (1809-1870) vont asseoir la prospérité des usines. François est à Hayange et achète les forges de Moyeuvre et de Jamailles qu'il va s'employer à développer. Avec lui, commence l'entrée en politique des Wendel ; il est député, Président du Conseil général de la Moselle. Charles, avec son beau-frère, le baron Théodore de Gargan, fonde la ville et les forges de Stiring Wendel. Ils acquièrent les houillères de Petite Rosselle, ce qui leur permet d'avoir, enfin, la matière première nécessaire à l'alimentation des hauts-fourneaux, cumulant ainsi mines de charbon, mines de fer et forges.
Charles est aussi l'initiateur de la politique sociale des Wendel ; il crée une ville ouvrière, hiérarchisée et dominée par la présence de la direction et des usines, qui reste un modèle jusque dans les années 1930. Ce patron éclairé saisit très vite l'importance du chemin de fer et fonde un réseau destiné à relier les usines entre elles et à se raccorder à la compagnie des chemins de fer de l'Est.
La Lorraine annexée par l'Allemagne de 1870 à 1978, connaît la période la plus sombre et la plus douloureuse de son histoire. Durant cette période, Henri de Wendel (1844-1906) acquiert le procédé mis au point par les ingénieurs britanniques Thomas et Gilchrist, permettant de fabriquer de l'acier ; désireux de posséder une usine en France, les Wendel, associés aux Schneider et à la banque Seillière, mettent à feu l'usine de Joeuf, en 1882. Pour permettre à ses enfants, qui étudient en France et obtiennent rarement l'autorisation de venir le voir en Lorraine, il fait élever le château de Joeuf. En 1905, son fils cadet Maurice construit, dans le parc du château, pour sa famille, le château de Brouchetière. Ce dernier achète, en 1913, un hôtel particulier avenue de New York.
Il y reconstitue le décor de l'hôtel de Besenval, conçu en 1782 par Clodion et conservé au Louvre, et commande au célèbre peintre catalan José-Maria Sert (1876-1945), un décor consacré à la Reine de Saba, conservé au musée Carnavalet.
En 1918, les trois fils d'Henri, François II, régent de la Banque de France, président du très puissant Comité des Forges, homme politique, Humbert, négociateur doué, Maurice plus intéressé par ce qui touche aux oeuvres sociales, se partagent la direction. L'entreprise est à son apogée lorsque se déclenche le second conflit mondial. Les Wendel sont interdits en Lorraine et les usines confisquées. Les Lorrains doivent choisir entre l'Allemagne et la France ; ils sont expulsés s'ils décident de rester français. A l'issue de la guerre, le paysage industriel change. En 1946, les mines de charbon sont nationalisées ; le dernier grand maître de forges historique, François II de Wendel meurt en 1949. La maison toujours dirigée par la famille vit, en 1978, les grandes tourmentes qui ébranlent la sidérurgie européenne, et l'ensemble de l'empire Wendel est nationalisé sans indemnisation. Mais la bannière des Wendel flotte encore et toujours sur le monde de l'entreprise.
Cette exposition retrace une aventure industrielle et humaine, menée collectivement par les Wendel, leurs directeurs et associés, leurs employés et ouvriers des forges et des mines, dans une province à l'histoire tourmentée.
Elle se situe dans la lignée des dossiers consacrés par le musée d'Orsay aux grandes dynasties, d'architectes comme les Vaudoyer (1991), d'industriels comme les Schneider (1995), d'artistes comme les Halévy (1999).
A l'aide de peintures, sculptures, objets, maquettes de lieux et de machines, dessins d'architecture ou dessins techniques, photographies anciennes, cette manifestation s'articule autour de trois thèmes principaux :
- L'histoire de la dynastie Wendel, de leur arrivée à Hayange en 1704 jusqu'à la mort du dernier maître de forges "historique", François II de Wendel, né en 1874 et mort en 1949. Portraits peints ou sculptés (Carolus Duran, Ernest Hébert, Denis Puech), aquarelles, dessins et photographies des châteaux d'Hayange, de Joeuf et de Brouchetière, des hôtels de la rue de Clichy et de l'avenue de New York, objets et souvenirs divers témoignent du mode de vie des Wendel et de leurs sentiments face à l'annexion allemande.
- Les grandes avancées industrielles, techniques et sociales: prise de possession des forges d'Hayange, fondation du Creusot, forges et les mines de fer, exploitation des mines de charbon de Petite Rosselle (maquette du carreau du puits Saint-Charles) ; présentation des oeuvres sociales et de la cité ouvrière de Stiring-Wendel, modèle qui reste en vigueur jusque dans les années 1930.
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La vie des Lorrains dans les mines et les usines. La plupart des objets de cette section provient de collectionneurs lorrains, anciens de chez Wendel, ou du remarquable musée des mines de fer de Neufchef, près d'Hayange, entièrement constitué et réalisé par d‘anciens mineurs ou employés des forges de Lorraine.
L'oeuvre sans doute la plus étonnante de cette section est le grand tableau d'André Rixens : Laminage de l'acier : enfournement et défournement des lingots, oeuvre monumentale présentée à l'Exposition universelle de 1889 où elle obtient la médaille d'or. La Moselle annexée est présentée à l'aide du grand tableau d'Alphonse de Neuville, de photographies et d'objets témoignant de la fidélité tenace de ce territoire à la France.