Accrochage

La photographie au tournant du siècle, du Pictorialisme à Eugène Atget

Du 15 juillet au 19 octobre 2003
Adolphe de (baron) Meyer
La danseuse Ruth Saint Denis, entre 1906 et 1909
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Pierre Bonnard -Modèle retirant sa blouse dans l'atelier parisien de Bonnard
Pierre Bonnard
Modèle retirant sa blouse dans l'atelier parisien de Bonnard, vers 1916
Musée d'Orsay
1985, acquis par les Musées nationaux (comité du 13/12/1985)
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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La photographie du tournant du siècle
La simplification de la technique est l'élément déterminant du changement radical qui s'opère dans la pratique de la photographie au tournant du siècle.
La mise au point, à partir de 1871, des plaques au collodion sec, puis l'apparition de celles au gélatino-bromure d'argent pour les négatifs, et du papier aristotype pour les tirages, que l'on achète prêts à l'emploi, marquent les premières étapes de ce bouleversement.

Paul Haviland-Femme nue ouvrant une porte (Florence Peterson)
Paul Burty Haviland
Femme nue ouvrant une porte (Florence Peterson), entre 1909 et 1910
Musée d'Orsay
© photo musée d'Orsay / RMN / DR
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Autour de 1888, survient la mise sur le marché de petits appareils (le Kodak étant le plus célèbre) tenant dans la main, avec une bobine de films, puis de la plaque autochrome, elle aussi vendue prête à l'emploi. La photographie est désormais accessible à un million d'amateurs qui n'ont plus besoin, comme c'était le cas auparavant, de consacrer beaucoup de temps et d'énergie à ce "hobby" dont il n'est plus nécessaire de connaître la technique.
Les films souples sur gélatine des appareils portables sont encore plus photosensibles que les négatifs verre et permettent de réaliser, dehors, un véritable instantané, au 40ème de seconde. Ces nouvelles possibilités offertes par la technique - sans oublier l'extrême mobilité de l'appareil qui permet désormais d'adopter les points de vue les plus divers - vont donner naissance à une nouvelle esthétique de l'instantané, qui est une des caractéristiques de la photographie du tournant du siècle.

Edgar Degas-Hortense Howland
Edgar Degas, Delphine Tasset, Guillaume Charles Tasset
Hortense Howland, en 1895
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Différents types d'amateurs
Henri Lemoine fut le type même de ces photographes du dimanche. Les centaines de clichés acquis de ses descendants montrent le spectateur curieux de la vie de son temps. Beaucoup d'amateurs au tournant du siècle furent des artistes, peintres, sculpteurs, graveurs. Auparavant, les artistes intéressés par la photographie faisaient appel, par manque de temps, à un intermédiaire praticien pour fixer leurs mises en scène. Désormais, ils prennent eux mêmes leurs clichés.

Henri Rivière-La tour Eiffel - Trois ouvriers et quatre visiteurs sur la dernière plate-forme
Henri Rivière
La tour Eiffel - Trois ouvriers et quatre visiteurs sur la dernière plate-forme, 1889
Musée d'Orsay
Don Henriette Guy-Loé et Geneviève Noufflard, 1986
© Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Sans être lui-même artiste mais "antiquaire", ami de nombreux peintres, Félix Thioller fait preuve d'une grande originalité dans les sujets qu'il choisit et dans la façon de les traiter. Le peintre Emile Bernard et le sculpteur François Rupert Carabin utilisent une technique traditionnelle, avec une vision qui ne l'est pas moins. Avec cette même technique, Edgar Degas, dont nous présentons le Portrait d'Hortense Howland, tout récemment acquis, compose savamment ses effigies et leur éclairage.
En revanche les nabis Pierre Bonnard et Edouard Vuillard, qui peignaient dans les années 1890 des scènes inspirées notamment par les estampes japonaises, ont adopté tout naturellement, en se servant des petits appareils Kodak, cette nouvelle perspective en aplat, décentrée, ces figures coupées caractéristiques de la vision instantanée. Le graveur Henri Rivière qui a le premier en Europe utilisé la gravure sur bois à la manière des Japonais, n'est pas moins inventif dans ses instantanés parisiens.

Adolphe de Meyer-La danseuse Ruth Saint Denis
Adolphe de (baron) Meyer
La danseuse Ruth Saint Denis, entre 1906 et 1909
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Le mouvement pictorialiste
Il s'agit d'un mouvement né en Europe, plus précisément en Angleterre avec des photographes comme Henry Peech Robinson, Oscar Rejlander, mais surtout Peter Henry Emerson, qui voulaient exercer la photographie comme un art.
Tous sont des amateurs qui n'entendent pas commercialiser leurs photographies, mais des techniciens chevronnés, comme tous ceux qui vont leur emboîter le pas : le Viennois Heinrich Kuehn, l'allemand Adolf de Meyer, les Français Robert Demachy et Constant Puyo. A l'exception d'Emerson, ils utilisent un appareil portable, agrandissent leurs épreuves et souvent les retravaillent à la gomme bichromatée pour leur donner un aspect pictural.

Clarence Hudson White-Jeune fille couchée dans sa chambre
Clarence Hudson White
Jeune fille couchée dans sa chambre, vers 1900
Musée d'Orsay
photo musée d'Orsay / rmn © photo musée d'Orsay / rmn / DR
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Le mot d'ordre de ces photographes était fuir la réalité documentaire et par conséquent adopter une mise au point légèrement floue. Leurs images eurent souvent une inspiration symboliste.
En Amérique, le pictorialisme donna lieu à une création vivace chez des photographes tels qu'Alfred Stieglitz, Edward Steichen, Clarence Hudson White, formant le groupe "Photo Secession" créé en 1902 par. Leurs épreuves, publiées dans la revue Camera Work, témoignent de la qualité, à l'époque, des procédés de reproduction photomécanique (héliogravure, similigravure) qui jouèrent un grand rôle dans la diffusion de la photographie pictorialiste.

Eugène Atget -Rue de la Parcheminerie, March 1913
Eugène Atget
Rue de la Parcheminerie, March 1913, entre 1913 et 1927
Musée d'Orsay
droit réservé - photo musée d'Orsay / rmn / DR
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Un photographe à part : Eugène Atget
Après avoir exercé le métier de comédien, Atget s'essaya à la peinture, puis se mit à la photographie. Il la pratiqua en artisan, plus dans sa façon de concevoir son travail que dans sa technique, assez banale (il utilisait des plaques de verre et divers types de papiers pour ses tirages, mais rien d'exceptionnel). Ne travaillant pas à la commande, il réussit à se faire une clientèle régulière d'illustrateurs, d'historiens de l'architecture, d'artistes et de collections publiques (musées et bibliothèques).
C'est d'abord son projet qui fascine : reproduire dans son entier le vieux Paris et ses environs. Il s'y emploie systématiquement, photographiant les rues sous plusieurs angles (voir ici les diverses vues de la rue de la Parcheminerie, provenant d'un album consacré au quartier de l'église Saint Séverin). Pour les hôtels (Hôtel Le Charron), il procède, en différentes étapes, de l'ensemble au détail, de la façade à la cour, de la porte au heurtoir, des escaliers, dont il détaille la rampe, aux espaces intérieurs, aux dessins des boiseries, etc. Jointe à ce plan grandiose, il possède une vision totalement personnelle, en parfaite empathie avec son sujet, comme l'était Marville avant lui, mais en renouvelant la construction des prises de vue, avec un objectif à courte focale qui permet une ouverture des espaces et un point de vue systématiquement élevé.
Finalement, si les photographes pictorialistes ont donné naissance à quelques grands chefs-d'oeuvre et si certains d'entre eux, en Amérique, allaient être après la guerre des créateurs, au tournant du siècle, c'est finalement un photographe "documentaire" qui fut considéré, par les surréalistes, par un grand connaisseur de l'art moderne tel le galeriste New Yorkais Julien Lévy et par le photographe Walker Evans, comme la référence du XXe siècle.