Exposition au musée

Le mystère et l'éclat. Pastels du musée d'Orsay

Du 08 octobre 2008 au 01 février 2009
William Degouve de Nuncques
Nocturne au Parc Royal de Bruxelles, en 1897
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

Qu'est-ce que le pastel ?<br>

Qu'est-ce que le pastel ?

Odilon Redon-Fantaisie
Odilon Redon
Fantaisie, entre 1840 et 1916
Musée d'Orsay
photo musée d'Orsay / rmn © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

Apparu au XVe siècle, le pastel est une poudre colorée solidifiée. Le bâton de pastel est réalisé en broyant des pigments secs qu'on mélange dans un peu d'eau pure à une charge (argile ou craie) et à un liant (souvent une gomme arabique). La pâte obtenue est essorée dans un linge, avant d'être découpée encore humide en bâtonnets qui sont ensuite séchés à l'air.
D'abord limitées, les couleurs se multiplient peu à peu. Avec l'apparition des colorants synthétiques au milieu du XIXe siècle, la gamme s'élargit considérablement.
Technique de coloriage à sec, le pastel requiert un support légèrement rugueux pour accrocher la matière. Néanmoins, l'adhésion au support reste fragile. Aussi, le meilleur moyen de le protéger est de le mettre sous verre, en évitant un contact direct.
A l'origine, le pastel sert à rehausser de couleur les portraits à la pierre noire, à la sanguine ou à la pointe d'argent. Peu à peu, cette technique s'impose en tant que telle.

Edouard Manet-Portrait d'Irma Brunner
Edouard Manet
Portrait d'Irma Brunner, vers 1880
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda
Voir la notice de l'œuvre

 

L'immense succès des portraits de la vénitienne Rosalba Carriera (1674-1757) lance la vogue du pastel. Les Liotard, Perronneau, Chardin lui donnent ses lettres de noblesse, tandis que Quentin de La Tour le porte à un rare niveau de perfection. Aristocrates et bourgeois du siècle des Lumières sont fascinés de se retrouver si fidèlement saisis sur le vif : effets de matières, rendu des carnations, psychologie, rien n'y manque.

De l'oubli au renouveau

Edgar Degas-Chez la modiste
Edgar Degas
Chez la modiste, entre 1905 et 1910
Musée d'Orsay
Achat, 1979
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

La Révolution française, qui marque un coup d'arrêt de la commande privée, et le néo-classicisme du début du XIXe siècle, féru de toiles héroïques, ont provisoirement raison du pastel. Mais après cette éclipse, la sensibilité des romantiques, tel Delacroix, contribue à son renouveau.

Malgré la "redécouverte" du pastel par quelques artistes, il est encore trop souvent considéré comme un art tout juste digne des "pensionnats de jeunes filles". Pour sortir de cette ornière, une Société des pastellistes français voit le jour en 1885 afin d'organiser des expositions consacrées spécifiquement à cette technique. Le pastel renoue avec le succès : "Les amateurs, de nouveau, l'adulent", note le critique d'art Félix Fénéon, qui constate aussi un formidable élargissement des sujets.

"Réalismes"<br>

Jean-François Millet-La femme au puits
Jean-François Millet
La femme au puits, vers 1866
Musée d'Orsay
Legs d'Alfred Chauchard, 1909
photo musée d'Orsay / rmn © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Adrien Didierjean
Voir la notice de l'œuvre

"Réalismes"

Dans les années 1840 et 1850, une nouvelle génération d'artistes s'attache à représenter tous les aspects de la société. Paysans et ouvriers leur paraissent désormais des sujets tout aussi dignes que les saints ou les héros mythologiques.
Fils de paysan lui-même, Millet privilégie la représentation d'humbles travailleurs, leur prêtant des gestes nobles et des postures hiératiques. Avec le pastel cependant, son art prend une tournure moins sévère qui n'est pas pour déplaire à ses contemporains. Marqué par les maîtres hollandais et flamands du XVIIe siècle, Millet livre quelques pages au climat bucolique. Ses paisibles paysans s'adonnent aux travaux des champs, non sans retrouver la noblesse des gestes immémoriaux (La femme au puits, vers 1866).

Le réalisme idéalisé de Millet trouve ensuite un prolongement dans Le berger (1887) de Puvis de Chavannes ou encore dans les Deux baigneuses au bord d'un étang (vers 1893) de Lhermitte.

Manet et Degas

Edgar Degas-Danseuses
Edgar Degas
Danseuses, entre 1884 et 1885
Musée d'Orsay
Dation, 1997
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

Les pastels de Manet offrent un aspect parfois méconnu de son oeuvre. Si Madame Manet sur un canapé bleu (1874) ou Le tub témoignent du regard franc et sans apprêt et que l'on prête volontiers à l'artiste, ses délicats portraits féminins tels que le Portrait d'Irma Brunner (vers 1880), nous révèlent en revanche un digne héritier des maîtres du XVIIIe siècle.

Degas, pour sa part, pose dans ses pastels comme dans ses peintures un regard attentif sur la vie moderne. Il va s'enfermer dans les coulisses des théâtres, dans les boutiques, ou dans quelque recoin d'appartement : ses perspectives audacieuses et sa palette incandescente transcendent le petit monde des danseuses, des modistes ou des baigneuses.

L'impressionnisme<br>

Eugène Boudin-Etude de ciel au soleil couchant
Eugène Boudin
Etude de ciel au soleil couchant, entre 1862 et 1870
Musée d'Orsay
Legs du comte Isaac de Camondo, 1911
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

L'impressionnisme

Avec l'impressionnisme, les potentialités du pastel s'expriment à la perfection. Le mouvement trouve son origine dans une réaction contre les sujets ténébreux et exaltés du romantisme et dans un rejet des vielles recettes académiques. Bref, il s'agit d'oublier les conventions pour se faire un oeil vierge et atteindre la spontanéité.

Eugène Boudin, en étant l'un des premiers à se mettre à l'école de la nature, ouvre la voie à la sensibilité impressionniste. Le pastel, notamment, lui permet de capter les lumières changeantes des bords de mer.
Dans les années 1860, le jeune Monet l'accompagne en Normandie. Ce dernier continue à utiliser le pastel encore bien des années plus tard, par exemple pour des vues de Londres en 1899 par exemple. A Pissarro, prêt à toutes les expérimentations, le pastel apporte une incomparable fraîcheur.

Claude Monet-Le pont de Waterloo à Londres
Claude Monet
Le pont de Waterloo à Londres, vers 1899
Musée d'Orsay
Legs de baronne Eva Gebhard-Gourgaud, 1965
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot
Voir la notice de l'œuvre

Avant tout paysagistes, les impressionnistes n'éludent pas la représentation de la figure humaine, pourvu qu'elle soit rendue dans la vérité du quotidien, comme dans Le nageur (1877) de Gustave Caillebotte. De même, le thème éminemment humain de la maternité trouve, avec l'américaine Mary Cassatt, une interprète sensible et sans affectation.

"Un flot montant de modernité" : le naturalisme

Henri Gervex-Dieppe
Henri Gervex
Dieppe, vers 1885
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

A la suite des impressionnistes, un courant naturaliste prospère dans les années 1880. Nombreux sont les peintres qui, désormais, communient dans le culte de la nature et du vraisemblable.
Dès le début de la décennie, Zola avait anticipé cette évolution en saluant "un flot montant de modernité, irrésistible, qui emporte peu à peu l'Ecole des beaux-arts, l'Institut, toutes les recettes et toutes les conventions".

Le bord de falaise dans Dieppe (vers 1885), par Gervex, a toute la vérité de la chose vue. Le portrait franc et direct de l'écrivain Huysmans par Forain (vers 1878) n'a rien à envier aux portraits féminins de Marie Bashkirtseff.
Nulle idéalisation non plus dans la corpulente Femme nue se chauffant (1886) de Besnard : les ombres et les reflets colorés de l'âtre trahissent la leçon bien comprise des nouveautés impressionnistes.
Même un Emile Lévy, peintre de grandes compositions mythologiques, fait une entorse à ses rigoureux principes académiques : Porte d'Asnières (1887), son pastel représentant la banlieue sous la neige, révèle l'observateur fidèle et sensible.

Portraits mondains : le temps suspendu<br>

Portraits mondains : le temps suspendu

Emile Lévy-Portrait de Madame José-Maria de Hérédia
Emile Lévy
Portrait de Madame José-Maria de Hérédia, en 1885
Musée d'Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

Dans la haute société de la fin du XIXe siècle, où se mêlent grande bourgeoisie et aristocratie, le portrait mondain offre aux artistes un débouché rentable. Le pastel s'affirme tout naturellement comme une technique privilégiée. A la grande satisfaction des modèles, il rappelle avantageusement les grâces aristocratiques d'avant 1789, tout en permettant des effets flatteurs.
Comme le note un critique de l'époque, le pastel "se prête sans effort à la délicatesse des chairs, à la malice des sourires, il n'est pas fait pour exprimer la gravité de l'âge mûr ou la rigidité de la vieillesse".

Entre la classique Madame de Hérédia d'Emile Levy (1885), et la souple et vaporeuse Mademoiselle Carlier de Lucien Levy-Dhurmer (vers 1910), le carcan bourgeois paraît se déserrer. Reste que dans tous ces portraits, le temps semble suspendu et les poses demeurent convenues. Tel un papillon captif ou un bel ornement dans un salon, ces belles mondaines ne semblent-elles pas réduites à un rôle décoratif ?

Symbolisme

Emile René Ménard-Jugement de Pâris
Emile René Ménard
Jugement de Pâris, en 1907
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

Alors que, dans les expositions, oeuvres impressionnistes et naturalistes se multiplient, ceux qu'on appellera bientôt les symbolistes explorent d'autres voies. Avides d'idéal, ils cherchent à exprimer leurs sentiments, leurs rêves, leurs passions.

Les symbolistes revisitent les sujets allégoriques et mythologiques. Entre les muses évanescentes d'Osbert, les paysages virgiliens de Ménard (Jugement de Pâris, 1907) ou les scènes dramatiques d'un Desvallières, dont on montre pour la première fois l'extraordinaire et monumental pastel Les tireurs à l'arc (1895), les mythes et les légendes d'autrefois retrouvent une saveur toute poétique.

Grâce à la matière poudreuse, les femmes dans les pastels symbolistes célèbrent davantage le mystère que l'éclat. Ces belles alanguies, anonymes et murées dans le silence expriment un climat de rêve et des états d'âme comme la mélancolie.
Quant aux paysages symbolistes, ils ont le magnétismes de lieux hantés. Dans La barrière de Roussel (vers 1892), sourd un sentiment d'abandon qui confère à la barrière une présence presque incongrue. Le mystère est plus palpable encore dans les deux nocturnes de Rippl-Ronai (Un parc la nuit, entre 1892 et 1895) et de Degouve de Nuncques (Nocturne au Parc Royal de Bruxelles, 1897).

Georges Desvallières-Les tireurs à l'arc
George Desvallières
Les tireurs à l'arc, 1895
Musée d'Orsay
Don Paul Simon et de ses sœurs, 1951
© Adagp, Paris, 2024 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

Odilon Redon ou "la ligne abstraite"<br>

Odilon Redon ou "la ligne abstraite"

Odilon Redon-Vieillard ailé barbu
Odilon Redon
Vieillard ailé barbu, vers 1895
Musée d'Orsay
Legs de René Philippon, 1939
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Voir la notice de l'œuvre

Odilon Redon (1840-1916) crée ses premiers pastels en 1880, mais c'est à partir de la décennie suivante que la couleur s'impose dans son oeuvre. Rattaché au mouvement symboliste, l'art de Redon évoque un monde pénétré d'intense spiritualité et tout droit sorti d'un rêve.
"J'ai fait un art selon moi", écrit Redon, mais de préciser : "Je l'ai fait aussi avec l'amour de quelques maîtres qui m'ont conduit au culte de la beauté". Parmi ces "maîtres", on compte Rembrandt, Goya, Delacroix, Gustave Moreau notamment, mais aussi le dessinateur Bresdin, dont le romantisme échevelé et fantastique l'a fortement marqué.

Odilon Redon-Le char d'Apollon
Odilon Redon
Le char d'Apollon, vers 1910
Musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Voir la notice de l'œuvre

Malgré les innombrables interprétations dont il fut l'objet, l'art de Redon vise plutôt à une sorte d'indétermination : "Mes dessins inspirent et ne se définissent pas. [...] ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l'indéterminé". Autant qu'un sens, il faut donc y chercher une émotion purement esthétique. De fait, l'art de Redon se prête à une lecture formaliste que l'artiste lui-même encourage : "Imaginez des arabesques ou méandres variés, se déroulant non sur un plan, mais dans l'espace [...] ; imaginez le jeu de leurs lignes projetées et combinées avec les éléments les plus divers".
Cette importance des moyens plastiques fait de Redon un authentique moderne. Comme l'écrit Maurice Denis en 1912, "il est à l'origine de toutes les innovations ou rénovations esthétiques, de toutes les révolutions du goût auxquelles nous avons depuis lors assisté".