L'Italie des architectes. Du relevé à l'invention.
Apprendre à voir
Avant d'être architectes, Charles Garnier, Alfred Normand ou Eugène Viollet-le-Duc sont avant tout des artistes séduits par la beauté du pays qu'ils découvrent. Comme les peintres qui souvent les accompagnent, les jeunes architectes sont fascinés par les paysages italiens, en particulier leurs couleurs et la lumière qui les baignent. Pour en rendre compte, ils utilisent aquarelle et lavis.
De nombreuses peintures, souvent de taille réduite car faites sur le motif, montrent ainsi de quelle façon le séjour en Italie contribue à l'éveil de leur sensibilité picturale. Bien sûr, les architectes choisissent principalement comme sujets des vestiges antiques ou des édifices. Mais ces représentations sont dominées par le souci plus général de rendre une ambiance, comme en témoigne le pittoresque des effets d'ombre ou celui des personnages. Ce travail leur permettaient de projeter l'architecture dans son contexte.
Cette pratique n'est pas qu'un pur délassement de voyageur. Nombre d'aquarelles sont exposées au Salon ou dans le cadre des sociétés d'architectes aquarellistes, florissantes à la fin du XIXe siècle.
Etudes archéologiques
En 1778, l'intérêt accru pour l'Antiquité conduit l'Académie d'architecture à exiger des pensionnaires l'envoi systématique d'études relatives aux monuments antiques. Ces "envois de Rome" sont considérés comme un moyen pédagogique pour apprendre les règles universelles de l'architecture et doivent être l'occasion de créer une collection de référence.
Leur conception évolue au cours du XIXe siècle en partie à cause du choix des monuments et des sites par les élèves. Attirés en premier lieu par les monuments les plus célèbres, et guidés par leurs professeurs vers les traces de l'Antiquité romaine, leur curiosité se tourne dans un second temps vers d'autres époques ou civilisations. Ils s'intéressent notamment aux vestiges du monde grec, du peuple étrusque, mais aussi au Moyen-Age ou à la Renaissance. Venise et la Sicile leur donnent l'occasion d'appréhender l'influence de l'Orient, où certains poursuivent leurs voyages. La liberté de ton des architectes, soucieux de défendre la supériorité du point de vue artistique sur l'archéologie, prend peu à peu de l'importance dans ces travaux alors envahis par le pittoresque.
La plupart des études archéologiques présentées dans l'exposition ne sont pas des "envois". Elles constituent néanmoins le témoignage d'une démarche d'observation, d'analyse et d'interprétation comparable. La plupart émane de pensionnaires de l'Académie de France à Rome et atteste des études qu'ils mènent de leur propre chef pour compléter leur apprentissage. L'exemple de Viollet-le-Duc, partisan du néogothique français et adversaire de la copie servile, atteste que le relevé des grands édifices italiens, antiques ou non, est la base de la formation. Ces dessins très aboutis sont souvent présentés au Salon après le retour en France de leurs auteurs.
Leçons d'Italie
Pour l'Etat qui finance le séjour à la villa Médicis, l'objectif est de pouvoir employer les pensionnaires revenus en France sur les chantiers des grands édifices publics. Les travaux de restauration, qui conduisent en fait à restituer le monument, sont l'occasion d'exercer leurs qualités d'architecte.
Dans la première moitié du XIXe siècle, les études de restauration ont une incidence féconde sur la création architecturale : l'affermissement des connaissances historiques ou archéologiques permet en effet aux architectes de renouveler leur rapport à l'histoire. Certains recourent même de façon spontanée à l'invention archéologique, qu'ils exercent jusqu'aux limites de la rêverie. En revanche, à partir des années 1860, le malaise des architectes, lié à la raréfaction de nouveaux sites dignes d'être étudiés et à l'émergence de l'archéologie comme science autonome, suscite un sentiment de suspicion face au principe de la restauration et, plus généralement, une certaine méfiance face à une
certaine "italomanie".
Cependant, l'étude des monuments italiens contribue pendant tout le siècle à l'enrichissement de la pratique architecturale, en tant qu'inépuisable source de références. Notamment, l'intérêt des architectes pour la polychromie doit beaucoup aux relevés faits à Pompéi, aux travaux de restitution des couleurs des temples de la Grande Grèce ainsi qu'à la découverte des mosaïques de Venise ou de Monréale.
Le grand tour d'un architecte au XIXe siècle. L'exemple de Louis Boitte
Le séjour en Italie de Louis Boitte (1830-1906) illustre de façon exemplaire le "Grand Tour" d'un architecte au XIXe siècle. Entré en 1847 à l'Ecole des beaux-arts, il remporte en 1859 le Premier Grand Prix de Rome dont la récompense est un séjour de quatre ans à la villa Médicis. Là-bas, les échanges permanents entre les artistes - architectes, peintres, sculpteurs, graveurs et musiciens – favorisent la naissance d'amitiés durables et suscitent bien souvent des collaborations ultérieures. Pendant son séjour, Boitte est particulièrement proche des architectes Joseph Louis Achille Joyau et Charles Alphonse Thierry, ainsi que des peintres Benjamin Ulmann et Ernest Michel, qui l'accompagnent dans ses nombreux périples.
Répartissant son temps entre la préparation des "envois" et voyages d'étude, Louis Boitte profite de la possibilité accordée par l'Académie depuis 1845 d'aller en Grèce. Les dessins rapportés de ses excursions - aquarelles pittoresques, relevés archéologiques ou croquis - illustrent la diversité des intérêts des architectes de l'époque. Un grand nombre témoigne en particulier d'un goût pour la polychromie qui marque toute l'architecture du XIXe siècle.
Boitte poursuit par la suite une carrière officielle. Il est nommé en 1877 architecte du château de Fontainebleau, lieu emprunt de réminiscences italiennes, où il entreprend de spectaculaires restaurations. Témoignage des liens qu'il garde avec ce pays, il est l'un des quatre français à participer au second concours ouvert en 1883 par l'Etat italien pour l'érection du monument à la mémoire de Victor-Emmanuel II, le Vittoriano.
Dans le très riche fonds provenant de l'atelier Boitte et conservé au musée d'Orsay, plus d'un millier de documents sont relatifs à ses voyages et plus de huit cents concernent l'Italie.