Exposition contemporaine

Lucas Arruda Qu'importe le paysage

Jusqu'au 20 juillet 2025
Lucas Arruda (1983)
Untitled (from the Deserto-Modelo series), 2023
© Lucas Arruda. Courtesy de l’artiste, David Zwirner et Mendes Wood DM / Photo : Everton Ballardin

Salle 32

Dans la salle 32, habituellement consacrée au goût des collectionneurs de paysages impressionnistes, le visiteur découvre la première incursion des œuvres de Lucas Arruda, placées en dialogue sensible avec un réaccrochage orchestré par l'artiste. Un panorama du paysage se dessine, de La plage de Trouville d’Eugène Boudin aux Bords de l’Oise, près de Pontoise de Camille Pissarro, remontant jusqu’à une clairière Le matin de Théodore Rousseau, avec un détour Dans les Blés grâce à Berthe Morisot. Ce rapport au paysage se voit complété par le déplacement exceptionnel, au sein du musée d’Orsay, de la Mer orageuse de Gustave Courbet, répondant à un désir intellectuel de rapprocher physiquement ce tableau, si fréquemment cité et associé à Lucas Arruda dans la littérature portant sur ce dernier, et d’enfin examiner leur réelle connexion.

Salle 33

Le principe d’accrochage de la salle 33 obéît à une présentation plus classique de l’œuvre d’Arruda, telle qu’elle a déjà été montrée dans d’autres contextes institutionnels. Cette étape importante – même au sein d’un musée d’art ancien – permet aussi d’appréhender l’œuvre de l’artiste pour elle-même. L’observateur pourrait, peut-être alors, envisager d’autres points de références qui seraientcabsents des collections du musée d’Orsay et donc de l’exposition.
Ici, on retrouverait : la filiation d’une peinture qui estompe la séparation classique entre ciel et mer à l’instar du Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich, un goût pour les quasi-monochromes inspirés de la nature qui fondent dans la lumière rappelant Armando Reverón, un penchant aux textures brumeuses par touches estompées à la William Turner, voire une attention aux aplats crémeux de Giorgio Morandi. À ce dernier, on pourrait aussi associer la reprise inlassable des mêmes sujets, qu’il s’agisse des paysages des débuts aux nombreuses natures mortes, non tant pour leur symbole que pour leur géométrie et qualité graphique, portant le motif à la frontière de l’abstraction.
La peinture de Lucas Arruda évoque certes ces éléments, mais offre surtout une vision nuancée et tout à fait singulière. Ce temps à part au sein du parcours, permet d’observer la profonde originalité intrinsèque de Lucas Arruda et son talent à faire varier le motif sans jamais l’épuiser. Dans cette salle, où l’ordonnancement linéaire est à l’image de la ligne d’horizon et où la multiplicité simultanée des formes rend manifeste la créativité de chaque toile, la question de l’espacement et du rythme devient essentielle.

Salle 34

Le premier point de convergence qui pourrait sauter aux yeux du visiteur dans la salle 34, réunissant à nouveau Lucas Arruda avec un peintre ancien, en l’occurrence Claude Monet, c’est leur caractère commun de prodigieux peintres systématiques. L’éclectisme de la trentaine de Deserto-Modelo présents dans l’exposition résonne avec la production prolifique de Monet qui est un champion attesté des séries : on dénombre dans son œuvre trente cathédrales, dont cinq sont présentées ici, trente-six meules et dix peupliers. De surcroît, le rapprochement du monochrome blanc d’Arruda et du Givre de Monet rend manifeste l’attention très particulière des deux peintres à l’idée même de gradations des teintes et de recherche dans le nuancer des couleurs employées. En attestent chez Monet ces références aux harmonies (verte pour le Bassin aux Nymphéas choisi ici par exemple).
Enfin, l’aboutissement de cette analogie entre Arruda et Monet réside sans doute dans la question impérieuse de la lumière. Un commentaire bien connu de Georges Clémenceau en 1895, lors du premier dévoilement des Cathédrales, mettait déjà en avant deux degrés d’appréciation d’une relation poursuivie ici par Arruda. D’abord, ce que l’éclectisme des circonstances climatiques, horaires ou saisonnières faisait varier du spectre lumineux sur la façade minérale de la cathédrale, ce que Monet lui-même explore dans ses sous-titres « temps gris », « soleil du matin », « plein soleil » etc., tandis qu’évidemment l’esprit de Lucas Arruda créé ex nihilo ou d’après des éléments épars ces instants donnés climatiques.
Mais surtout, souligne Clémenceau, les cathédrales répondent à une ambition picturale ancienne : celle que la toile solaire devienne à son tour source irradiante de lumière. C’est cette même recherche du tableau luminophore, porteur de sa propre lumière, qu’on retrouve dans la démarche de Lucas Arruda, passionné par les diapositives de rétroprojecteurs, qui procède en peinture par enlèvement, en grattant la couche picturale, pour laisser irradier par l’arrière la lumière qu’elles contiendraient.

Le sous-titre de l’exposition, Qu’importe le paysage, est librement interprété du poème en prose du poète brésilien du XIXe siècle Manuel Bandeira. L’auteur y expose que les éléments figuratifs du paysage, de la Glória (quartier de Rio de Janeiro bordé de jungle luxuriante où il résidait), de la baie ou de la ligne d’horizon seraient secondaires au contexte plus immédiat de la création : la ruelle en contrebas. Par pur hasard, ce poème fait écho à un passage d’entretien donné par Lucas Arruda il y a quelques années : « Ma démarche au sein de l’atelier est au cœur de mon processus créatif. Je travaille accompagné de mes références artistiques, de mes expériences avec le monde et de mon rapport à la vie. Je n’ai pas de plan, de projet fixe ou d’idée perçue avant de commencer une nouvelle œuvre ; chaque tableau me montre comment continuer. Peindre, pour moi,  c’est comme tenir une bougie dans l’obscurité qui ne permet de voir que ce qui est proche de soi. » Avant d’imaginer et peindre la lumière donc, il faut regarder son environnement immédiat. Autrement dit, ce sous-titre est loin de refléter un jugement de valeur péjoratif qu’on pourrait lui prêter de prime-abord, mais doit au contraire être lu comme une apostrophe exhortatoire, un impératif catégorique et performatif : il faut que le paysage importe, car sa vue nous inspire. En clin d’œil syntaxique et internationalement intertextuel à Alfred de Musset, qu’importe le paysage, pourvu qu’on ait [l’imagination].

Sylvain Amic, Président de l’Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie

« Pour cette première invitation à un artiste de l’hémisphère sud, c’est une grande joie pour le musée d’Orsay d’accueillir Lucas Arruda au cœur de la galerie impressionniste. Si le thème du paysage constitue le point d’entrée évident de ce rapprochement, c’est bien autour de la question de la lumière et la force de la sensation que les toiles anciennes et contemporaines s’accordent. Alors oui, qu’importe le paysage pourvu qu’on ait … le talent. »

L'artiste, Lucas Arruda

« C’est un honneur d’avoir été invité par Sylvain Amic et Nicolas Gausserand à être le premier artiste brésilien auquel une exposition au musée d’Orsay est consacrée. Au-delà d’un accomplissement personnel, je le vois comme un témoignage de l’importance de la peinture brésilienne aujourd’hui. Parcourir la galerie impressionniste et m’exercer à l’accrochage de mon travail en dialogue avec ces peintures a été une expérience bouleversante. Ce sont ces paysages qui m’ont façonnés, qui m’ont appris comment la lumière peut être un sujet en soi, comment un trait de pinceau peut contenir un mouvement et du temps. Il y a quelque chose de profondément beau dans cette rencontre : mes paysages imaginaires placés en concorde avec ceux peints par les impressionnistes, d’après leurs observations directes. Je pense que cette accumulation de souvenirs, d’images superposées au fil du temps, opère telle une archive interne de paysages  l’époques et de lieux différents. Et même si nos existences sont ancrées dans le moment présent, notre esprit traverse d’autres époques et d’autres images ; je suppose que la peinture n’obéit pas au passage linéaire du temps. »