Masculin / Masculin. L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours.

Mercure, 2001 (modèle : Enzo Junior)
Collection particulière
Photo : Jean-Philippe Humbert © Pierre et Gilles. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont, Paris / Jean-Philippe Humbert
Masculin / Masculin
Académie d'homme, dit Patrocle, 1778
Cherbourg, musée Thomas-Henry
© Cherbourg, musée Thomas-Henry
Pourquoi aucune exposition n'a-t-elle jamais été dédiée au nu masculin jusqu'à Nackte Männer au Leopold Museum de Vienne l'année dernière ? C'est pour répondre à cette question que l'exposition confronte des oeuvres, à travers les époques et les techniques, autour de grands thèmes qui ont forgé la représentation du corps masculin sur plus de deux siècles.
Il faut avant tout distinguer la nudité et le nu : un simple corps dépouillé de ses vêtements, qui suscite la gêne par absence de pudeur, diffère de la vision épanouie d'un corps remodelé et idéalisé par l'artiste. Si cette distinction peut être nuancée, elle met en exergue la valeur positive et décomplexée du nu dans l'art occidental depuis la période classique.
Torse du Belvédère, 1881
Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts
© Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris
Pour notre époque, le nu évoque essentiellement un corps féminin, héritage d'un XIXe siècle l'érigeant en absolu et en objet d'un désir viril assumé. Auparavant pourtant, le corps féminin était moins valorisé que son homologue masculin, plus structuré et musculeux. Au moins depuis la Renaissance, le nu masculin avait bénéficié de la primauté : l'homme en tant qu'être universel se confondait dans l'Homme et son corps était érigé en norme du genre humain, comme c'était déjà le cas dans l'art gréco-romain. Le fond culturel judéo-chrétien occidental abonde dans ce sens : Adam préexiste à Eve qui n'est autre que sa copie à l'origine du péché.
Dans leur grande majorité des hommes, les artistes trouvent dans le nu masculin un "moi idéal", miroir magnifié et narcissique d'eux-mêmes. Jusqu'au milieu du XXe siècle, l'organe sexuel fait pourtant l'objet d'une certaine pudeur, qu'il soit atrophié ou bien dissimulé sous quelque draperie, lanière ou fourreau d'épée subtilement placés.
L'Idéal classique
Le Berger Pâris, 1787
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
© Photo © MBAC
A partir du XVIIe siècle se mettent en place des formations d'excellence pour les artistes les plus privilégiés. Dans le domaine de la sculpture et de la peinture d'histoire, la finalité de ces enseignements est la maîtrise de l'exécution d'un nu masculin : il occupe une place centrale dans le processus de création, les études de nu préparatoires ayant pour dessein de rendre au mieux l'articulation des corps, qu'ils soient habillés ou non dans la composition définitive.
En France, les élèves se forment à l'Académie royale puis à l'Académie des beaux-arts d'après des dessins et des gravures, d'après "la bosse" et d'après le modèle vivant. Jusqu'à une date avancée du XXe siècle, ces modèles sont uniquement masculins pour des raisons de moeurs, mais aussi parce que l'homme est considéré comme l'archétype du canon humain. Pour être noble et digne d'une représentation artistique, ce corps qui remporte les suffrages ne peut être celui d'un homme du quotidien : nécessité est faite de diluer les particularités individuelles du modèle pour élever son sujet.
Plus que tous, les artistes de l'Antiquité et de la Renaissance sont considérés comme ayant établi une synthèse idéale du corps humain sans se perdre dans les méandres de l'individualité. Pour Winckelmann, esthète allemand du XVIIIe siècle, la beauté idéale des statues grecques ne peut s'incarner que dans le nu masculin. Si elle inspire de nombreux artistes, la "noble simplicité et calme grandeur" des dieux winckelmanniens est mise à mal par d'autres lectures de l'art antique : la tourmente du Laocoon de l'Antiquité tardive est perceptible chez le danois Abildgaard, tandis que David prône une virilité davantage romaine.
Même bousculé, réinterprété et renouvelé par les avant-gardes du XXe siècle, le nu masculin classique et sa lourde hérédité continue de faire l'objet d'une fascination, notamment jusqu'à l'entre-deux-guerres et jusqu'à nos jours.
Le Nu héroïque
Horst P. Horst, Photographie, 1932
Hambourg, FC Gundlach
© Droits réservés
Le concept et le mot même de héros sont un héritage de la Grèce antique : demi-dieu ou simple mortel transcendant sa condition humaine pour devenir un exemplum virtutis, il incarne un idéal. L'admiration pour l'art et la culture antiques explique l'omniprésence du héros dans les milieux académiques, notamment pour les sujets imposés aux candidats du prix de Rome : la grande peinture d'histoire se nourrit des exploits de sur-hommes ayant l'enveloppe corporelle la plus parfaite.
Porteuse de valeurs nobles et universelles, cette correspondance entre l'anatomie et la vertu du héros renvoie à la conception néo-platonicienne liant le beau et le bien. La nudité du héros va tellement de soi que le "nu héroïque" fait l'objet d'un débat récurrent pour la représentation de grands hommes passés ou contemporains, aussi incongru que puisse paraître le résultat.
L'héroïsme n'est pas un état, il est une manière d'être révélatrice d'une force de caractère hors du commun : si la force d'Hercule est indissociable de ses exploits, la ruse de David lui permet de vaincre le puissant Goliath. Dans les deux cas, ils sont investis d'une force guerrière particulièrement valorisée par un XIXe siècle en soif de virilité et d'affirmation patriotique : plus que jamais, il est l'idéal à atteindre.
Il faut attendre la crise de la masculinité au XXe siècle pour assister au renouvellement du statut d'un héros, de plus en plus contemporain, et à la diversification de ses caractéristiques physiques.
Cependant, qu'il s'agisse d'une star ou d'un créateur comme Yves Saint-Laurent, ou encore des jeunes hommes des rues de Harlem peints par l'américain Kehinde Wiley, le pouvoir évocateur de la nudité demeure.
Les Dieux du stade
Vive la France, 2006 (modèles : Serge, Moussa et Robert)
© Pierre et Gilles
Au cours du XIXe siècle s'amorce un nouveau regard porté sur le corps, plus médical et hygiéniste, dont l'incidence sur la conception du nu artistique est considérable. Les mouvements d'éducation physique et les gymnases se multiplient. Le "sportif" fascine et, à l'exemple du peintre Eugene Jansson, on vient admirer et convoiter la puissance virile de son corps dans les lieux où il s'exhibe.
Cette conception trouve un accomplissement dans le culturisme, admiration narcissique d'un corps devenu objet à façonner comme une oeuvre à part entière. L'homme moderne à la morphologie athlétique devient un nouvel idéal potentiel : il incarne une beauté qui n'est pas sans appeler la comparaison avec l'art gréco-romain.
En lien avec l'affirmation d'une identité nationale, l'athlète en vient à personnifier la force brute de la nation et une capacité à défendre le pays en temps de guerre. Dans les Etats-Unis des années 1930, il fait l'objet d'un développement particulier avec la valorisation de l'homme simple alliant force physique et courage.
Les régimes totalitaires pervertissent quant à eux le culte de l'athlète au service de leur idéologie : l'Allemagne l'associe de manière démiurgique à la pure invention qu'est l'homme "aryen", tandis que le gouvernement mussolinien élève des idoles de marbres sur le Stadio dei Marmi.
Dur d'être un héros
Roland furieux, 1867
Paris, musée du Louvre
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
Transgressant l'ordre établi, le héros mythologique s'expose à l'ire des dieux et la jalousie des hommes. S'il tient de l'homme ses passions, ses failles morales et parfois sa fragilité, il possède volontiers des dieux leur perfection plastique : l'artiste et le spectateur y trouvent ainsi l'émanation d'un moi sublimé.
Les grands destins dramatiques donnent donc du caractère aux compositions et permettent de traduire toute une gamme d'émotions, de la résolution au désespoir, de la hargne au repos éternel.
S'il est un lieu commun de dire que le visage transcrit au mieux l'expression des sentiments – théorisés et institutionnalisés, des dessins de Le Brun au concours de la "tête d'expression" de l'Ecole des beaux-arts –, il ne faut pas minorer le rôle incontournable du corps et de l'anatomie comme vecteur émotionnel : certains choix formels accèdent même à des conventions communément admises.
La mythologie et l'épopée homérique déclinent abondamment les destins fatals et les passions destructrices de héros dont la nudité est légitimée par un ancrage dans le monde hellénique antique : Court expose le corps démembré de l'infortuné Hippolyte, prémonition de la transposition dans l'univers classique du Mort pour la patrie de Lecomte du Nouÿ.
Nuda Veritas
L'Age d'airain, entre 1877 et 1880
Musée d'Orsay
1880
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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L'esthétique réaliste qui s'empare de l'art occidental dans le courant du XIXe siècle bouleverse la représentation de la nudité masculine. Le corps, tel qu'il est représenté dans toute la vérité de la nature est désormais dépourvu de la mise à distance bienséante qui caractérisait l'idéalisation recherchée par l'exercice du nu académique.
Dans ce contexte où le dévoilement d'un corps porte atteinte à la pudeur – l'homme dénudé paraît encore plus obscène et choquant que la femme dans la société du XIXe siècle où règne la domination masculine – le nu masculin se fait graduellement d'autant plus rare que prolifèrent les figures féminines.
Cet inversement de tendance n'implique pas, cependant, la disparition des hommes nus : leur étude scientifique, à l'aide de techniques nouvelles comme la décomposition du mouvement par des séries de photos prises en rafale – la chronophotographie –, fait progresser les connaissances anatomiques et transforme l'enseignement délivré aux artistes.
Dès lors il s'agit moins, pour les artistes les plus avant-gardistes, d'aboutir à un canon de beauté hérité du passé, qu'à un corps dont l'harmonie demeure fidèle aux caractéristiques du modèle.
La puissance évocatrice du nu inspire à des artistes comme l'autrichien Schiele des autoportraits nus qui révèlent les tourments existentiels de l'artiste. Investies parfois d'une dimension christique, de telles représentations dépassant le réalisme pour accéder à une introspection connaissent une grande postérité jusqu'au XXIe siècle, notamment en photographie.
Sans complaisance La fascination pour le réel qui s'impose dans les milieux artistiques du milieu du XIXe siècle est à l'origine d'un profond renouvellement de la peinture religieuse. Alors que le recours à l'idéalisation antique des corps apparaissait comme conforme au dogme religieux, des artistes comme Bonnat lui donnent un nouveau souffle en représentant des personnages bibliques dans la cruelle vérité de leur condition physique.
Egalité devant la mort, en 1848
Musée d'Orsay
Dation
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Ce principe était déjà à l'oeuvre dans Egalité devant la mort de Bouguereau qui, à ses débuts, adopte dans le contexte des derniers feux du romantisme, la force de l'image d'un cadavre ordinaire. Loin d'embellir le romancier qu'on lui demande de célébrer, Rodin cherche à rendre le type physique corpulent de Balzac avec une implacable fidélité, sans pour autant lui ôter de sa superbe.
Se pose alors la question du rapport de l'art à la réalité à laquelle Ron Mueck s'attelle dans son oeuvre. Et l'étrangeté suscitée par une modification d'échelle donne une intensité au corps mort de son père qui entre en résonance avec le défunt de Bouguereau.
Im Natur
Le Pêcheur à l'épervier, 1868
Zurich, Fondation Rau pour le Tiers-Monde
© © Lylho / Leemage
L'inscription du corps nu dans un paysage n'est pas un défi nouveau pour les artistes du XIXe siècle. A bien des égards, il s'agit même d'un élément récurrent de la grande peinture d'histoire et un exercice plastiquement exigeant à l'aune duquel est jugée la maîtrise technique des artistes.
Il s'agit en effet de parvenir à la plus grande justesse dans les correspondances de proportion, de profondeur et d'éclairage entre le corps nu et son environnement. Si le Pêcheur à l'épervier de Bazille est l'une des tentatives les plus abouties – dans un contexte contemporain – de l'inscription d'un homme nu dans une lumière atmosphérique qui devient celle des impressionnistes, il n'en oublie pas pour autant les principes de construction académique.
La nudité masculine dans la nature prend une autre signification à mesure que la société subit les transformations du progrès technique et de l'urbanisation. L'homme est alors à la recherche d'une communion avec la nature, à même de le réconcilier avec les excès et le déracinement engendrés par le monde moderne, tout en se conformant aux théories hygiénistes prônant l'exercice physique et le grand air.
Jeune assis au bord de la mer, étude, 1836
Paris, musée du Louvre
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier
Cette dimension philosophique qui inspire les peintres comme Hodler et Munch se ressentait déjà dans Le Jeune homme au bord de la mer de Flandrin, dont la perfection des formes crée une harmonie entre le corps et le rivage. Ce sentiment de plénitude explique sans doute la renommée de l'image, notamment dans les cercles homosexuels clandestins de l'avant Première guerre mondiale, qui inspire déjà Gloeden dans des photographies où les corps nus entrent en fusion avec la lumière méditerranéenne de la Sicile.
Dans la douleur
Les écarts que s'autorisent les artistes à l'égard des normes classiques leur ouvrent de nouvelles perspectives pour une représentation plus expressive du corps dans le tourment ou la souffrance. Le déclin du nu académique et de la tempérance classique explique une prédilection pour les supplices, comme celui d'Ixion condamné par Zeus à rester attaché à une roue en flammes dans une rotation infinie.
Les contorsions du corps peuvent également exprimer des tourments plus psychologiques. La douleur du corps masculin participe naturellement des enjeux de pouvoir entre homme et femme dans la période contemporaine : le corps nu peut être avilissant et, dans certaines conditions, de nature à remettre en cause la virilité et la domination masculine. Il n'est pas innocent, à cet égard, que Louise Bourgeois ait choisi une figure masculine pour son Arch of Hysteria.
Would-Be Martyr and 72 virgins, 2008
Paris, Galerie Daniel Templon
© Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris. © David LaChapelle
Cependant, le martyre ne suscite pas que des compositions torturées : la mort d'Abel, tué par son frère Caïn dans le livre de la Genèse, semble au contraire nourrir une pose de relâchement ultime caractéristique d'un corps sur le point d'expirer. Cet abandon n'est toutefois pas sans une ambivalence que les artistes soulignent avec détermination : le corps, souvent magnifié et dans une certaine extase morbide, est en effet offert à la délectation du spectateur.
Dans ces conditions, la souffrance n'est qu'un artifice pour justifier une nouvelle fétichisation du corps. A l'opposé de cette séduction, des photographes se livrent à des expérimentations pour mettre le corps en morceau, dans une perspective esthétique, voire ludique.
Le Corps glorieux
Saint Sébastien expirant, 1789
Montpellier, musée Fabre de Montpellier Agglomération
© Musée Fabre de Montpellier Agglomération - cliché Frédéric Jaulmes
La culture judéo-chrétienne influence indéniablement la représentation de l'homme nu à partir de l'art de la période moderne. Pourtant, la conception catholique du corps entre en contradiction avec son dévoilement dès l'ère paléochrétienne : il ne serait qu'une simple enveloppe charnelle dont l'âme du chrétien se libère à sa mort.
Sous l'influence de théologiens prônant l'alliance du sensible et du spirituel, la nudité s'impose pourtant peu à peu, pour des figures majeures comme celle du Christ et de saint Sébastien. Leur corps martyrisé, transcendé par une souffrance endurée grâce à la foi, permet ainsi paradoxalement à l'âme humaine de se rapprocher de dieu.
Pour l'église catholique, la vulnérabilité du corps du Christ soumis aux souffrances et porteur de stigmates dit son humanité, quand témoignent de sa divinité son visage inspiré et son corps volontiers idéalisé, héritiers de canons classiques sous-jacents.
La figure de saint Sébastien est particulièrement complexe : ce saint populaire, parangon du martyr survivant à son premier supplice, incarne la victoire de la vie sur la mort. Cet élan vital n'est sans doute pas étranger à sa beauté juvénile et au dévoilement de son corps, tous deux acquis dès le XVIIe siècle.
Ce faisant, sa représentation s'éloigne insensiblement du dogme catholique pour acquérir une autonomie et une liberté sans précédent : la sensualité du saint se veut de plus en plus présente, tandis que sa souffrance est parfois indécelable. Seul le dévoilement du sexe reste jusqu'au XXe siècle un interdit dans cette quête de volupté.
La Tentation du mâle
Le Bain (The Bath), 1951
New York, Whitney Museum of American Art
Don anonyme
© Jon F. Anderson, Estate of Paul Cadmus / ADAGP, Paris © Whitney Museum of American Art, NY - Art
Un regard assumant un désir pour le corps de l'homme et la libéralisation des moeurs donne naissance à des oeuvres audacieuses dès le milieu du XXe siècle. Ainsi, Paul Cadmus n'hésite pas, dans l'Amérique pourtant puritaine de l'après Seconde guerre mondiale, à prendre pour sujet une scène de drague entre hommes dans un Finistère pour le moins improbable.
Alors que l'attirance physique des corps est longtemps restée confinée dans le secret des intérieurs privés, elle apparaît de plus en plus au grand jour, dans des cercles de sociabilité exclusivement masculins comme la douche collective, ou encore sous couvert de la reconstitution d'une Antiquité platonique.
L'érotisme se fait même très cru chez Cocteau dont l'influence est certaine sur Warhol dans ses années de jeunesse. La beauté et la séduction se défont alors de l'idéal transmis par les références du passé pour s'ancrer dans les particularismes des pratiques et de la culture contemporaine, qu'a su si justement interpréter Hockney dans sa peinture.
L'Objet du désir
Le Sommeil d'Endymion, 1791
Montargis, Musée Girodet
© Cliché J. Faujour/musée Girodet, Montargis
Pendant longtemps, le corps masculin dans l'art a fait l'objet d'une "objectivation" : l'admiration sans bornes pour la perfection des nus gréco-romains, pure reconstruction intellectuelle d'un corps devenu canon, a rendu leur lecture bienséante, même celle de Winckelmann pourtant investie d'une charge érotique puissante.
Si les milieux académiques encourageaient naturellement le nu dans la grande peinture d'histoire, certains sujets n'occultaient pas pour autant toute sensualité et ambiguïté. Au tournant du XIXe siècle, les réflexions sur les caractères propres aux deux sexes et leurs frontières nourrissent un intérêt pour les amours bisexuelles de Jupiter ou d'Apollon, et la formule d'un jeune héros mourant dans les bras de son amant rencontre une faveur particulière.
Chez Girodet, Endymion prend les traits d'un éphèbe au corps caressé sensuellement par les rayons de la déesse de la lune, ayant inspiré de nombreuses interprétations homoérotiques. Chez les symbolistes comme chez Gustave Moreau, la différence entre les sexes est consommée au détriment d'un homme vulnérable, sous l'emprise d'une force fatale et destructrice identifiée comme féminine.
A l'opposé cependant, et sur un mode moins dramatique, Hodler représente la naissance d'un amour adolescent entre un jeune homme tourné vers lui-même et une jeune fille sous l'emprise de son charme.
Au cours du XIXe siècle, la sensualité et l'érotisation assumée considérées comme propres au corps féminin porte un coup sérieux à la virilité traditionnelle du nu masculin : ce coup n'est cependant pas fatal, le nu masculin étant loin de disparaître au XXe siècle.
La libération des pratiques sexuelles affirme haut et fort une certaine volupté et investi avec souvent peu de réserves d'une charge sexuelle le corps masculin. Le modèle est généralement identifié, signe d'une affirmation de l'individualité à l'oeuvre, comme chez Pierre et Gilles où se mêlent mythologie et portrait contemporain.