Misia, reine de Paris

Misia à sa coiffeuse, en 1898
Musée d'Orsay
acquis avec la participation de la Fondation Meyer, 2004
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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De la musique avant toute chose
Misia au piano, 1902
San Francisco, Collection of Ann & Gordon Getty
© DR
Misia n'a rien créé par elle-même mais ses rencontres successives et sa présence magnétique aux côtés des artistes ont fait d'elle une muse, un mécène et un arbitre du goût pendant plusieurs décennies.
Née dans une famille de musiciens, elle est initiée très jeune au piano et poursuit sa formation sous la direction de Gabriel Fauré (1845-1924). Excellente interprète, elle donne son premier concert public en 1892 mais refuse de faire carrière, jouant pour son seul plaisir et celui de ses amis.
Misia au piano, 1899
Collection particulière
© Jean Vong Photography Inc, New York
Plusieurs portraits d'elle la représentent devant son clavier, entourée de ses proches, dans le salon de son appartement de la rue Saint-Florentin. Cadrés en plan serré ou large dans une vision panoramique englobant le décor, ces portraits présentent la facette la plus intime de Misia pour qui la musique est un refuge et un partage.
Ses goûts musicaux sont étendus. Fervente interprète de Beethoven, Schubert et Chopin, elle s'enthousiasme pour Debussy, au temps de son amitié avec Mallarmé, et pour Ravel qui lui dédie, en 1906, Le Cygne d'après Les Histoires naturelles de Jules Renard et le poème symphonique La Valse en 1920. Avec le changement de siècle, les goûts musicaux de Misia évoluent vers une nouvelle esthétique représentée par Satie, Stravinski, Auric et Poulenc.
Misia au temps de La Revue blanche
Déjeuner au Relais à Villeneuve-sur-Yonne : Cipa Godebski, Marthe Mellot, Thadée Natanson, une domestique, Edouard Vuillard, Misia Natanson, Romain Coolus, Ida Godebska, Alfred Athis Natanson, vers 1898-1899
Collection particulière
© Cliché musée d'Orsay / Patrice Schmidt
En 1889, les fils d'Adam Natanson – Alexandre, Thadée et Alfred – fondent à Bruxelles une publication culturelle et artistique, La Revue blanche (1889-1903), blanche comme sa couverture. Creuset d'opinions progressistes, elle attire les meilleures plumes et les artistes les plus novateurs de l'époque. Son champ d'investigations s'étend à tous les domaines – politique, artistique, social – offrant une tribune aux grands débats qui agitent la société au tournant du siècle.
Affiche pour La Revue blanche, 1895
Paris, Bibliothèque Nationale de France
© Bibliothèque Nationale de France, Paris
Misia, devenue Madame Thadée Natanson en 1893, ne participe pas directement à cette effervescence intellectuelle mais accueille à bras ouverts les collaborateurs les plus proches de son mari : Coolus, Vuillard, Bonnard, Vallotton, Toulouse-Lautrec, tous amoureux d'elle. Elle incarne alors l'idéal de la Parisienne élégante, lectrice de La Revue blanche.
Les maisons de campagne des Natanson, La Grangetteà Valvins et Le Relais à Villeneuve-sur-Yonne, deviennent l'annexe des bureaux de la revue. Des idées et des idylles y naissent et s'y dénouent comme en témoignent de nombreuses photographies et des tableaux dans lesquels Misia est omniprésente.
Madame Verdurinska
Misia et Edwards assis sur le pont du yacht "Aimée", en 1906
Musée d'Orsay
donation sous réserve d'usufruit de M. Antoine Terrasse, 1992
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Après sa séparation d'avec son second mari, Alfred Edwards, Misia voit sa vie métamorphosée par la rencontre, en 1908, avec le peintre d'origine catalane José Maria Sert (1874-1945). Celui-ci l'introduit dans les milieux artistiques d'avant-garde et lui présente Serge de Diaghilev.
Bouleversée par la révélation de Boris Godounov, Misia s'engage aux côtés de l'impresario en apportant un soutien financier à son entreprise.
Elle devient la marraine des Ballets russes, assiste à toutes les représentations mais n'intervient pas dans les choix esthétiques.
Misia à son bureau, 1897
L'Annonciade, Musée de Saint-Tropez
© Photographe Jean-Louis Chaix, ville de Saint-Tropez
Dans l'écrin de son salon du quai Voltaire décoré par Bonnard, Misia réunit le nouveau gotha artistique. "[...] elle excitait le génie comme certains rois savent fabriquer des vainqueurs, rien que par la vibration de son être, [...] plus Mme Verdurin que la vraie, prisant et méprisant hommes et femmes, du premier coup d'oeil" (Paul Morand).
Madame Verdurinska, comme la surnomme son amie Gabrielle Chanel, devient un médiateur du goût et de la mode, réunissant ses amis pour mieux les brouiller ensuite. Ses dîners et ses soupers après spectacles sont courus du Tout-Paris.
Amour, castagnettes et tango
Misia Sert et sa nièce Mimi Godebska. Les Tasses noires, 1925 (retravaillés en 1934-37)
Collection Neffe-Degandt Ltd
© Photo Roy Fox
La vie sentimentale de Misia a forgé sa légende au même titre que sa vie sociale. Dans sa jeunesse, elle tourne la tête des célibataires mélancoliques qui l'entourent : Vuillard, Bonnard, Vallotton, Romain Coolus. Sa rupture avec Thadée Natanson, sur fond de tractations menées par Alfred Edwards, inspire à Mirbeau une pièce de théâtre, Le Foyer.
En 1911, la mort accidentelle de sa rivale auprès d'Edwards, l'actrice Geneviève Lantelme, reste inexpliquée. Dans la bordure des panneaux peints pour son appartement du quai Voltaire, Bonnard s'amuse du marchandage entamé entre les deux femmes autour des perles de Misia.
Misia Natanson de profil en voiture, Cannes, 1901
Collection particulière
© Archives Vuillard, Paris
Misia ne se remettra jamais de l'abandon de Sert pour la jeune Roussadana Mdivani, sculptrice d'origine géorgienne surnommée Roussy. Elle tente de vivre un impossible trio qui s'achève avec la disparition de Roussy en 1938.
Devenue presqu'aveugle et dépendante à la morphine, Misia entreprend d'improbables équipées à Venise où sa silhouette décharnée et son élégance s'accordent aux charmes surannés de la ville qui voit mourir, en 1929, son seul ami, Serge de Diaghilev.
Après trois mariages et trois divorces, la "Reine de Paris", comme la surnomment les journalistes, meurt solitaire.
Chronologie
Misia Natanson en robe noire, 1896-1897
Collection particulière
© Archives Vuillard, Paris
1872 / 30 mars
Naissance à Saint-Pétersbourg de Marie Sophie Olga Zénaïde Godebska, dite Misia. Son père, Cyprien Godebski (1835-1909), est un sculpteur d'origine polonaise. Sa mère Sophie, fille du violoncelliste virtuose belge Adrien-François Servais, meurt à sa naissance en laissant deux autres enfants : Franz (1866-1948) et Ernest (1869-1890).
1874
Naissance de Cyprien (Cipa), le demi-frère de Misia.
Misia reçoit des leçons de piano de Gabriel Fauré.
La famille Godebski achète une maison de campagne, La Grangette, à Valvins près de Fontainebleau.
1893
Mariage à Ixelles (Belgique) de Misia avec son cousin par alliance, Thadée Natanson (1868-1951), un avocat, homme d'affaires, journaliste d'origine polonaise, fondateur de La Revue blanche. Le couple s'installe au 9, rue Saint-Florentin, près de la place de la Concorde.
Misia se lie avec les artistes et collaborateurs de La Revue blanche : Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Félix Vallotton, Henri de Toulouse-Lautrec, Romain Coolus, Octave Mirbeau, Tristan Bernard, Claude Debussy, Maurice Ravel, etc.
1897
Misia et Thadée achètent une maison de campagne, Le Relais, à Villeneuve-sur-Yonne.
1900
Misia fait la connaissance d'Alfred Edwards (1856-1914), un richissime homme d'affaires, propriétaire de journaux à grand tirage, du Théâtre et du Casino de Paris.
1904
Divorce de Misia et Thadée Natanson.
1905
Mariage de Misia avec Alfred Edwards. Le couple habite au 244, rue de Rivoli, et loue un pied-à-terre à l'hôtel du Rhin, place Vendôme. Edwards fait construire un yacht de 35 mètres de long, Aimée (nom donné d'après les initiales de Misia Edwards).
1906
Edwards tombe amoureux de l'actrice et demi-mondaine Geneviève Lantelme (1887-1911), qu'il épousera en 1910.
1907
Misia se sépare d'Edwards.
1908
Début de la liaison de Misia avec Sert.
Première représentation à l'Opéra de Paris de Boris Godounov de Modeste Moussorgski. A cette occasion, Misia aurait fait la connaissance de Serge de Diaghilev (1872-1929).
1909
Misia divorce d'Edwards, qui lui verse une importante rente mensuelle.
Première saison des Ballets russes au théâtre du Châtelet.
1910
Misia présente Jean Cocteau (1889-1963) à Diaghilev.
1911
Misia s'installe dans un appartement 29, quai Voltaire.
1914
L'Allemagne déclare la guerre à la France. Misia, accompagnée de Cocteau, organise des convois de véhicules pour secourir les blessés du front.
1916
Misia vit en partie à l'hôtel Meurice.
1917
Scandale du ballet Parade.
Misia rencontre Gabrielle Chanel (1883-1971). Chanel devient son amie la plus proche pendant la période de l'entre-deux-guerres. Misia et Sert l'introduisent dans le monde artistique parisien.
1920
Mariage religieux de Misia avec José María Sert. Voyage de noces à Venise en compagnie de Coco Chanel. Misia et Sert présentent la jeune couturière à Diaghilev.
1925
Sert rencontre la sculptrice d'origine géorgienne Isabelle Roussadana Mdivani (1906-1938), dite Roussy, qui devient sa maîtresse. Roussy vit avec le couple Sert à l'hôtel Meurice.
1927
Troisième divorce de Misia. Sert s'installe à l'hôtel Lutetia avec Roussy.
1928
Misia emménage dans un grand appartement 3, rue de Constantine, où elle vivra de 1928 à 1946.
Mariage civil de Sert avec Roussy au consulat de La Haye.
1929
Misia se rend d'urgence au chevet de Diaghilev malade au Grand Hôtel du Lido à Venise. Diaghilev meurt à l'aube du 19 août.
1930
Mariage religieux de Sert avec Roussy à l'église espagnole de Paris.
1930-1931
Misia accompagne Chanel à Hollywood, où celle-ci doit concevoir des costumes pour les stars de quatre films produits par Samuel Goldwyn.
1933
Misia donne un concert avec la pianiste Marcelle Meyer dans la salle des fêtes de l'hôtel Continental à Paris et au théâtre des Ambassadeurs.
1938
Décès de Roussy à l'âge de trente-deux ans. Après sa disparition, Sert se rapproche de Misia mais chacun conserve son appartement. Misia souffre de graves problèmes ophtalmiques. Elle resserre les liens avec sa nièce Mimi Blacque-Belair.
1945
Décès de José María Sert à Barcelone
Le journaliste et critique Boulos (Paul Ristelhueber, 1910-1972), ami de Serge Lifar et secrétaire de Sert, devient le confident de Misia : elle lui raconte ses souvenirs qui seront publiés à titre posthume. Boulos lui fournit de la morphine et se drogue avec elle.
Misia renoue avec Coco Chanel dont elle s'était éloignée pendant la guerre.
A la suite d'une hémorragie qui lui fait perdre un oeil, Misia est soignée en Suisse.
1947
Dernier voyage de Misia à Venise.
1949
Décès de sa nièce Mimi dans un accident d'automobile.
Misia passe vingt-quatre heures en prison, arrêtée par la police pour usage de drogue.
1950/ 15 octobre
Décès de Misia à son domicile, rue de Rivoli. Gabrielle Chanel fait sa toilette mortuaire. Une cérémonie religieuse a lieu à l'église polonaise de Paris. Misia est enterrée au cimetière de Samoreau, près de Valvins, dans la même tombe que sa nièce.