Van Gogh à Auvers-sur-Oise
Chronologie
Le 17 mai 1890, Van Gogh arrive à Paris, après un séjour d’un an dans un hospice pour aliénés à Saint-Rémy-de-Provence, où il s’est fait interner volontairement après plusieurs crises de démence.
Il s’installe dès le 20 mai à Auvers-sur-Oise, un village situé à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, où habite un médecin spécialiste de la mélancolie, le Dr Paul Gachet.
Pendant 70 jours, alternant confiance et angoisse, il peint et dessine frénétiquement 74 tableaux et de nombreux dessins. Il produit aussi sa première gravure.
Le 27 juillet, en pleins champs, il se tire une balle de revolver et meurt le 29, dans sa chambre de l’auberge Ravoux.
Introduction : Van Gogh à Auvers-sur-Oise
Le 17 mai 1890, Van Gogh arrive à Paris, après un séjour d’un an dans un hospice pour aliénés à Saint-Rémy-de-Provence, où il s’est fait interner volontairement après plusieurs crises de démence. Il s’installe dès le 20 mai à Auvers-sur-Oise, un village situé à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, où habite un médecin spécialiste de la mélancolie, le Dr Paul Gachet. Pendant 70 jours, alternant confiance et angoisse, il peint et dessine frénétiquement 74 tableaux et de nombreux dessins. Il produit aussi sa première gravure. Le 27 juillet, en pleins champs, il se tire une balle de revolver et meurt le 29, dans sa chambre de l’auberge Ravoux. Cette exposition est la toute première consacrée en propre à cette période des derniers mois de l’artiste.
Le Dr Paul Gachet, un médecin collectionneur et peintre amateur
Paul Gachet (1828 – 1909) consacre en 1858 sa thèse de médecine à la mélancolie. En 1872, il achète une maison à Auvers-sur-Oise où il reçoit Cezanne, Guillaumin et Pissarro.
Esprit anticonformiste, adepte de l’homéopathie, Gachet accueille Van Gogh en ami autant qu’en patient. Le peintre déjeune chez lui d’abord tous les dimanches. Il peint son portrait, des bouquets, des vues du jardin et, finalement, sa fille Marguerite. En remerciements de ses soins, il lui offre des toiles.
Peintre amateur et graveur sous le pseudonyme de Paul van Ryssel Gachet fournit à Van Gogh l’occasion de graver et d’imprimer chez lui sa première et unique eau-forte.
À la mort de Vincent, Theo lui offre de nombreuses toiles en remerciement du soutien prodigué à son frère.
Entre 1949 et 1954, ses enfants Paul et Marguerite Gachet donnent au Louvre 9 tableaux, des dessins, la plaque de la gravure, la palette ayant servi au portrait de Marguerite, et des objets peints par l’artiste.
Auvers-sur-Oise, un village pittoresque
En 1890, Auvers-sur-Oise est un bourg peuplé de 2000 habitants, réunissant différents hameaux agricoles étirés sur près de 10 km le long de l’Oise.
À une heure de train au nord de Paris, le village attire beaucoup de citadins, à l’instar du Dr Gachet, qui y construisent de nouvelles résidences. Leurs constructions modernes contrastent avec les maisons aux vieux toits de chaume, interdits depuis un incendie en 1879, qui émeuvent Van Gogh parce qu’ils lui rappellent son Brabant natal.
Le village accueille également de nombreux peintres. Charles-François Daubigny s’y installe en 1861 ; sa veuve ouvrira son jardin à Van Gogh. Cezanne, Pissarro et une foule d’autres artistes, étrangers souvent, viennent y chercher le pittoresque d’un paysage d’Ile-de-France vallonné, baigné par l’Oise, avec des maisons s’étageant à flanc de coteau, entre bois et champs.
« Auvers est gravement beau… »
À son arrivée, Van Gogh se déclare charmé par le village et son environnement : « il y a beaucoup de bien-être dans l’air. » Comme le lui a recommandé le Dr Gachet, il se « jette dans le travail », pour se « distraire », oublier son mal et la menace d’une récidive.
Installé à l’auberge Ravoux, en face de la mairie, au centre du village, il va peindre dans un rayon limité et s’attache à toutes sortes de sujets, interprétant librement la réalité des lieux.
Il adopte une vie strictement réglée, se lève et se couche tôt, il peint à l’extérieur le matin et retouche ses tableaux l’après-midi, dans une salle mise à la disposition des peintres par Ravoux. Mais il évite la fréquentation des artistes de passage, semblant rechercher la solitude et fuir ce qui pourrait le détourner de la peinture.
Les lettres d’Auvers
La correspondance de Van Gogh couvre une vingtaine d’années de sa vie et comprend 820 lettres de sa main, les quatre cinquièmes étant adressées à son frère Theo, écrites en français à partir de 1886.
À Auvers-sur-Oise, Van Gogh écrit régulièrement à Theo malgré leur proximité géographique, à sa sœur Willemien, à sa mère et à Gauguin.
On conserve 24 lettres de cette époque.
Elles décrivent sa vie quotidienne, ses besoins matériels, ses rencontres et, succinctement, ses peintures. Elles expriment ses attentes envers Theo, son angoisse grandissante, à demi-mot, puis plus ouvertement.
Six n’ont pas été envoyées. Ce sont souvent des brouillons qui révèlent les hésitations de Vincent dans cet exercice d’écriture.
Dans cet espace, sont lues sa première lettre d’Auvers et sa dernière, dans sa version non envoyée, ainsi que d’autres extraits de cette correspondance.
Bouquets et études de plantes
À Auvers-sur-Oise, Van Gogh peint 9 natures mortes de fleurs, dans l’intention probable de les vendre ou de les donner. Leur production s’étend de son arrivée, mi-mai, à la mi-juin.
Plusieurs sont exécutées chez le Dr Gachet, à son intention, et dialoguent ainsi avec des tableaux de sa collection, ceux de Cezanne notamment.
La plupart sont de petite taille, comme des exercices où la rapidité est recherchée, mais quelques-unes ont le format ambitieux de ses natures mortes florales d’Arles ou de Saint-Rémy.
Tous ces bouquets frappent par l’audace d’une touche très manifeste, une composition très simple jouant sur la géométrie de la table et des vases, et des arrangements de fleurs champêtres sans apprêt.
Le Portrait moderne
Peindre les gens est « la seule chose en peinture qui m'émeut le plus profondément et me fait ressentir l'infini, plus que toute autre chose ».
L’ambition de Van Gogh est d’atteindre chez ses modèles « cet éternel indéfinissable, dont le nimbe était le symbole et que nous essayons d'atteindre par l'éclat lui-même, par la vibration de nos couleurs ». Exalter leur caractère par la couleur, donner à ses toiles l’expressivité des passions qui les habitent, voilà ce qui constitue « le portrait moderne ».
Mais à Auvers comme auparavant, il peine à trouver des modèles, sinon dans son entourage immédiat : Gachet, sa fille Marguerite, la fille de son aubergiste, Adeline Ravoux, des enfants, deux jeunes femmes non identifiées.
Il déploie dans ces portraits des expérimentations plastiques parfois étonnantes, par le format carré, les fonds tramés, des jeux de couleur ton sur ton, un dessin simplifié à l’extrême.
Études graphiques
À peine arrivé à Auvers-sur-Oise, plein d’une énergie retrouvée, Van Gogh réclame du papier à Theo. Il se lance dans des expérimentations de dessins rehaussés au pinceau d’une huile bleue, mélangés d’aquarelle, sur des papiers gris-bleu ou rosé. La plume et l’encre s’y mêlent à la craie noire, bleue ou brune, ou au crayon. Il multiplie des essais, d’étonnants griffonnages et des notations fugaces aux résultats éblouissants de vivacité.
Neuf grandes feuilles montrent des vues du village ou des champs alentour, tandis que 48 pages dessinées et un carnet de croquis révèlent sa curiosité pour les gens, les animaux, saisissant des détails inattendus.
Avec ces dessins, Van Gogh s’occupe entre deux tableaux, se change les idées en restant actif, comme pour conjurer une peur du vide ou d’une crise toujours menaçante.
De la pleine campagne caractéristique et pittoresque…
Sur les 74 toiles peintes à Auvers, environ 20 sont consacrées à des paysages « naturels », sans maisons ou presque, nombre d’entre eux faits sur le plateau au-dessus du village. La plupart sont peintes durant la seconde partie du séjour auversois de Van Gogh. Ces vues de champs, où se juxtaposent parcelles de céréales, choux, luzerne, betteraves ou pommes de terre, sont rarement accompagnées de figures d’ouvriers agricoles, alors qu’ils devaient être nombreux en cette saison. C’est probablement, chez Van Gogh, un signe du désir d’exprimer son sentiment de solitude.
Les formats en double carré
Parmi les 74 tableaux peints à Auvers se distinguent 13 toiles au format « double carré » : 12 paysages et un portrait en hauteur, d’un format allongé de 50 cm sur 1 mètre unique dans l’œuvre de Van Gogh. L’exposition rassemble pour la première fois 11 de ces œuvres.
Cet ensemble est d’autant plus significatif qu’il s’agit d’un format choisi délibérément par l’artiste et non d’un format commercial, et qu’il comprend ses trois derniers tableaux.
Leur réalisation s’étale sur un peu plus d’un mois, entre le 20 juin et la mort du peintre : il ne s’agit pas d’une série peinte dans un jet créatif, mais d’une recherche pensée, reprise, approfondie.
Visait-elle à former un ensemble décoratif constituant une longue frise, ou était-ce la base d’un projet d’exposition personnelle comme l’évoque Van Gogh le 10 juin 1890 ?
Ces toiles révèlent assurément des explorations plastiques d’une grande liberté, d’un artiste au seuil d’une « nouvelle peinture ».
Une reconnaissance rapide et éclatante
À la nouvelle de la mort de Van Gogh, le 29 juillet 1890, les lettres de condoléances des peintres amis des deux frères affluent vers Theo. Loin du mythe de l’artiste maudit, elles montrent que Vincent est un peintre reconnu de ses pairs, célébré par quelques critiques, fort de plusieurs expositions et qui a vendu en février une première toile.
Theo monte aussitôt une première exposition dans son appartement, tandis que Gachet, très affecté, projette une monographie illustrée et commande à son élève Blanche Derousse des gravures de reproduction.
Emile Bernard, sans doute l’ami le plus proche, publie dès 1893 les lettres que Van Gogh lui a adressées.
À la mort de Theo, atteint de la syphilis, six mois après la mort de son frère, en février 1891, sa veuve Johanna (1862-1925) s’emploie à faire publier et connaître les tableaux et lettres de son beau-frère, dont elle a hérité. Son fils Vincent (1890-1978) fondera le musée Van Gogh d’Amsterdam en 1973, mais il est certain qu’au moment de la Première Guerre mondiale, Van Gogh est déjà clairement reconnu comme un protagoniste de l’art moderne.
La mort de Van Gogh
Le dimanche 27 juillet au soir, Van Gogh se tire une balle dans la poitrine, sur les hauteurs d’Auvers. Blessé mais conscient, il parvient à redescendre à l’auberge Ravoux. Le médecin local, le Dr Mazery puis le Dr Gachet, appelés à son chevet le déclarent intransportable et inopérable. Ils font appeler Theo, qui arrive le lendemain. Van Gogh meurt le 29 vers 1h30 du matin.
Il est enterré le 30 juillet, entouré de villageois, de quelques amis peintres venus de Paris, comme Emile Bernard, Charles Laval, Lucien Pissarro, et Julien Tanguy, ainsi que de Theo et de son beau-frère Andries Bonger.
Van Gogh qui a connu sept ou huit crises de démence au cours des 18 mois précédents a tenté de s’empoisonner plusieurs fois au cours de celles-ci, et avait entre ces épisodes des pensées suicidaires. Il n’en connaît aucune à Auvers, mais vit dans l’angoisse de leur retour.
Van Gogh souffrait d’un état dépressif ancien – de « mélancolie » –, accentué par l’échec de son projet de communauté d’artistes, suite au départ de Gauguin d’Arles, fin décembre 1888. La naissance de son neveu Vincent, comme le désir de Theo de s’établir à son compte, l’ont fait se sentir un fardeau pour son frère. Il est aussi possible qu’il ait eu conscience de la syphilis de Theo, et de la fin inéluctable de son soutien.
Van Gogh à Auvers-sur-Oise et le cinéma
La littérature s’est emparée de la vie de Van Gogh dès 1934, mais c’est le cinéma qui a été l’agent le plus puissant de la transformation en mythe de la figure de l’artiste.
Le 7e art s’est particulièrement intéressé à la dernière période d’Auvers-sur-Oise, sur laquelle plane l’élément dramatique par excellence, le suicide du peintre.
Vincente Minnelli tire d’un best-seller d’Irving Stone, Lust for life (1936), la matière du premier film de fiction sur le peintre, incarné par Kirk Douglas, dont le titre français est La vie passionnée de Vincent Van Gogh (1956).
Mais c’est un cinéaste peintre de formation, Maurice Pialat, qui a fait de la période d’Auvers la matière de tout un film, pourtant sobrement intitulé Van Gogh (1991), comme si tout le peintre s’y résumait.