Dans un siècle qui s’est passionné pour les « grands hommes », Jeanne d’Arc est certainement la figure féminine qui a le plus inspiré les artistes. Son destin tragique avait déjà fasciné la génération romantique, mais c’est vraiment dans le dernier quart du XIXe siècle qu’elle devient une figure incontournable en peinture, en sculpture et jusque dans les arts décoratifs.
Toute cette période est marquée par le long processus de sa canonisation, entamé en 1869 et qui n’aboutit qu’en 1920, après sa béatification en 1909 et sa proclamation comme « vénérable » en 1894.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le grand médaillon en bronze étamé de Jean Rivière, qui est daté de 1895. Cet artiste toulousain, issu d’une famille d’artisans du meuble, se forme à la sculpture au sein de la très active école des beaux-arts de sa ville natale. S’il ne parvient pas à remporter le Grand Prix municipal qui lui aurait permis de poursuivre sa formation à Paris, il fait néanmoins une honorable carrière de sculpteur, d’ébéniste et d’enseignant à Toulouse, créant notamment un atelier du bois au sein de l’école des beaux-arts en 1907.
Rivière représente ici Jeanne d’Arc comme une jeune fille aux longs cheveux dénoués, de profil à gauche ; elle fixe du regard une fleur de lys qui lui apparaît dans un nimbe dont les rayons lumineux forment une sorte de médaillon dans le médaillon, débordant largement du cadre de l’œuvre. Derrière elle, en complément de ce symbole évoquant la mission que Jeanne doit accomplir pour sauver le roi de France, trois autres médaillons également en saillie figurent probablement sainte Catherine, saint Michel et sainte Marguerite, dont elle dit avoir entendu les voix. Les dates inscrites en bas, 1410-1431, correspondent à l’une des années supposées de sa naissance et à celle de sa mort.
Ce n’est pas la Jeanne d’Arc guerrière que l’artiste a choisi de figurer, à l’inverse de certains de ses contemporains comme Emmanuel Fremiet, Paul Dubois ou Frank Craig ; ce n’est pas non plus tout à fait la modeste bergère de Domrémy, dont Henri Chapu avait donné en 1872 une image qui connut une immense popularité. Rivière s’intéresse ici à la figure mystique, à l’instar de plusieurs artistes rattachés au courant symboliste. Comme Eugène Carrière ou Odilon Redon, Rivière s’attache à donner un équivalent plastique aux voix entendues par la jeune fille, sous la forme de visions qui lui apparaissent dans un halo mystérieux.