Manet et Degas réinventent-ils le sujet du nu féminin ?
Stéphane Guégan – Oui, compte tenu de leur connaissance des précédents sur lesquels ils appuient leur audace, de Titien à Rubens, de Velázquez à Goya, sans parler de l’essor de la photographie qui pousse à s’affranchir des codes de la bienséance esthétique. Notons au passage que le XIXe siècle, à partir d’Ingres et Chassériau, a connu une série de débats et de scandales engendrés par l’exposition publique de nus jugés plus ou moins indécents. C’est donc d’une lame de fond, contraire à la morale commune, qu’il convient de parler. Depuis la Renaissance et la réappropriation de l’héritage gréco-romain, le nu jouissait d’un rôle central dans l’apprentissage des arts du dessin, voués à cerner ce que la nature offrait de plus harmonieux. La théorie dite « classique » fait du corps humain l’image de la perfection. En le dissociant de la nudité et donc du corps sexué, en érigeant la statuaire en modèle de la peinture, un idéal esthétique s’était fixé et se perpétuait à travers la copie. Contester cette discipline revenait à renverser tout un ordre de valeurs. Romantiques, comme Delacroix, et réalistes, comme Courbet, s’y emploient au XIXe siècle, avant-même que la photographie et la Nouvelle Peinture ne dissolvent les canons de beauté au profit de la réalité corporelle. De l’Olympia de Manet aux « baigneuses en chambre » de Degas, la nudité féminine, loin de n’être qu’objet, affiche une vérité aussi engageante que dérangeante.
- Extrait de « Questions aux commissaires de l'exposition Manet / Degas »
Manet et le nu
Manet révolutionne le genre du nu en y introduisant la chair vive de ses modèles et la notion de désir qui s'exprime dans le jeu des regards. Le regard de celle qui pose d'abord, surprise dans sa nudité et qui se tourne vers le spectateur ; le regard de ce dernier ensuite, lui-même surpris dans la position du voyeur fasciné qui ne peut se détacher des yeux, ni du corps de la femme dévêtue qui le fixe.
La Nymphe surprise
Le Déjeuner sur l'herbe (1)
Le Déjeuner sur l'herbe (2)
Olympia
Degas et le nu
Degas poursuit le chemin ouvert par Manet. Avec lui, le bordel devient la métaphore de l'atelier, un autre atelier même où il peut aller plus loin dans l'aventure de la peinture. Peintre ou client, le regardeur est intégré, accepté, souvent représenté de face quand la femme, saisie dans son intimité, offre au spectateur un dos, objet de fascination de l'artiste, semble-t-il.
Le nu, de Manet à Degas
Degas : l'obsession du nu
Femmes au tub
Degas, un artiste à part
La quête du mouvement
Les extraits présentés ci-dessus sont issus des documentaires suivants :
- Édouard Manet, une Inquiétante étrangeté réalisé par Hopi Lebel ; coproduction : Les Films d'Ici et musée d'Orsay, en partenariat avec France 5
- Degas, le corps mis à nu écrit et réalisé par Sandra Paugam ; coproduction : Les Films du Tambour de Soie, musée d'Orsay et La Réunion des musées nationaux - Grand Palais, avec la participation de France Télévisions