Racontez-nous la genèse de ce projet de résidence. Comment avez-vous abordé cette année de résidence, dans quel état d’esprit ?
C’est Donatien Grau* qui a eu l’idée de m’inviter à faire ce projet pour Orsay.
J’avais publié quelques mois plus tôt un livre « Artists’ Instagrams, the never seen Instagrams of the Greatest Artists », August Editions, 2019, dans lequel je m’étais amusé à imaginer les Instagrams, s’ils avaient existé, des grands artistes du XXe siècle. Ce projet était né de mon propre étonnement devant les comportements que ce social media avait créés auprès de ces utilisateurs, mais aussi et surtout des artistes. Il y a une sorte d’exaltation de l’ego, de la mise en scène de soi et du claironnement de ses bonnes fortunes qui paraît aller à l’encontre d’une certaine réserve, voire d’une certaine modestie, et de l’élégance que l’on associe en principe à l’image du grand artiste, et ceci peut-être encore davantage lorsqu’on s’éloigne dans le temps, avec ceux qui peuvent être considérés comme des maîtres du passé.
© Jean-Philippe Delhomme
Bien entendu, lorsqu’on lit les biographies, on s’aperçoit que les artistes de toutes époques cherchaient à se mettre en valeur, avaient eux aussi leurs enjeux d’ego et de rivalités, et leurs moments de doute et de confrontation aux contingences.
Donatien m’a ainsi proposé de poursuivre en me concentrant cette fois sur les artistes du XIXe siècle. Ce projet m’a bien sûr beaucoup plu, car en tant que peintre travaillant sur la représentation, la peinture du XIXe me passionne. Au de-là de ma contribution, c’était l’occasion extraordinaire d’entrer davantage dans l’intimité des œuvres et de venir fréquemment au musée.
L’appellation « résidence Instagram » peut être surprenante. Nous aurions tendance à imaginer une résidence physique, plus confidentielle. Pourriez-vous revenir sur cette nouvelle idée ? comment a-t-elle émergé ?
Oui, c’est assez drôle d’appeler cela une « résidence », dans la mesure où c’est tout à fait virtuel. Mais ce n’est pas non plus sans pertinence, la présence dans les social media ayant tendance à avoir plus de réalité que celle dans le monde physique. Ceci dit, lorsque ce terme de « résidence Instagram » a été énoncé, nous ne savions pas encore que nos vies et nos rapports aux autres seraient radicalement « digitalisées » et on-line les mois suivants, la formule était en quelque sorte prémonitoire.
Quel regard portez-vous sur cette année de résidence qui vient de s’écouler ?
Cela bien entendu n’aura pas été l’année que nous imaginions en démarrant au mois de Janvier dernier ; la possibilité de se rendre au musée, les démarrages et interruptions d’expositions, tout cela a été entrecoupé et a donné naissance à autre chose, un mode de vie général devenu massivement virtuel et à distance par nécessité, qui s’est bien entendu appliqué à l’art et au musée. J’ai essayé au fil des semaines que mes Instagrams d’artistes du XIXe siècle soient en résonnance ou du moins allusifs à ce que nous vivions. Je pense que l’humour peut être un encouragement, ou du moins un allègement, passager. Je pouvais sentir comme cette situation demandait de persistance à ceux qui au musée étaient investis dans des projets, montaient des expositions, etc. et j’avais envie de m’associer à cet effort, tout en pouvant aussi ressentir la frustration pour les visiteurs dont je fais aussi partie de ne pouvoir se déplacer et voir physiquement les œuvres.
Mais je me suis également attaché à ce que ces allusions à l’actualité ne m’éloignent pas de ce qui me paraissait amusant au départ, c’est-à-dire les problématiques des artistes dans leur époque, mais qui pouvaient aussi avoir une résonnance contemporaine. C’était important pour moi que ces dessins et leur légende correspondent à des réalités de l’histoire de l’art.
© Jean-Philippe Delhomme
Votre perception des œuvres des collections du musée a-t-elle évolué ?
Bien sûr, et cela a été pour moi l’aspect merveilleux de l’entreprise. Pouvoir entrer fréquemment au musée, mais aussi et surtout en faire des visites en compagnie de Sylvie Patry, Directrice des Collections, était passionnant pour moi : d’une part l’écouter, et parfois échanger des points de vue sur certaines œuvres. Lorsqu’on revoit plusieurs fois une œuvre, à différents moments, lorsque le musée est fermé, seul ou en compagnie de quelqu’un de passionné, donne une sensation d’intimité. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que cette intimité ou familiarité que l’on pourrait supposer avec l’œuvre ne l’épuise pas, et qu’à chaque fois, le même mystère, la part insaisissable se répète. Je pense aux Manet les plus connus, par exemple, que je pourrais peut-être dessiner presque de mémoire (surtout l’Olympia pour être honnête) mais à chaque fois que je me retrouve devant Le Déjeuner sur l’herbe, c’est le même étonnement, de nouvelles découvertes. C’est aussi vrai pour les Monet, les Fantin-Latour, Bazille, Bonnard, etc…
© Jean-Philippe Delhomme
Pourriez-vous revenir sur 3 ou 4 œuvres qui vous semblent les plus représentatives de votre résidence ? symboliques de votre travail ?
Manet, Olympia : c’est l’un des tableaux qui me fascine le plus, et l’exposition « Le Modèle Noir » a vraiment changé ma perception en me faisant me concentrer davantage sur Laure, le modèle noir, dont la main est devenue pour moi le centre de gravité du tableau. Cela m’a inspiré un post au moment du mouvement Black Lives Matter aux USA.
Bazille, L’atelier de Bazille : j’aime beaucoup cette peinture, qui n’a rien de révolutionnaire au sens de l’histoire de l’art, mais qui nous donne l’occasion de pénétrer dans un atelier d’artiste et d’y être parmi un cercle d’amis et de complicités et dans lequel transparait quelque chose comme une forme de gentillesse. Donnant à Manet la tache de le représenter, il me semble que Manet, pourtant virtuose, y a peint Bazille avec une exagération d’échelle, même s’il est dit que Bazille était grand. Ce qui m’a aussi inspiré un post.
© Jean-Philippe Delhomme
Monet, Grosse mer à Étretat. Là encore, c’est un tableau que j’aime et admire, et dont, toutes proportions gardées, je me sens en affinité pratiquant moi-même dès que c’est possible la peinture en plein air. Il y a dans les biographies et les lettres de Monet des évocations des aléas liés aux déchainement des éléments -Monet roulé par une vague avec son chevalet à une autre occasion – et cela m’a également inspiré un post, en diaporama !
Baudelaire par Nadar. L’ultime mélancolie de Baudelaire, sa distance aux vulgarités de l’époque, le portrait qui pourrait être un post Instagram, tout cela m’a inspiré un post en résonnance avec la digitalisation de nos vies : « One day, even the Spleen will be digitized. »
Que représente pour vous cette collaboration avec le musée d’Orsay ? vous a-t-elle inspiré de nouveaux projets ?
Cela m’a surtout permis d’approfondir ma perception de la peinture du XIXe, de lire davantage les ouvrages qui traitent de cette période, et par rebond de me faire réfléchir, certes à une échelle plus modeste, à ma propre pratique, de représenter aujourd’hui au moyen de la peinture, avec une culture, une technique, et des enjeux qui ne sont pas du tout les mêmes.
Il y a aussi, peut-être peut-on en parler maintenant, le projet que nous avons fait avec Maylis de Kérangal sur les réserves du musée, « Légendes des Réserves », qui a encore été une autre manière d’aborder les collections.