La production écrite d’Edvard Munch est énorme, environ 15 000 pages de poèmes, de réflexions, de souvenirs, de lettres, et bien sûr son journal dans lequel vous avez puisé pour nourrir cette soirée. Quelles approches avez-vous privilégiées pour choisir les textes ?
Je me suis essentiellement appuyé sur le recueil d’écrits publiés par Jérôme Poggi. On y trouve notamment des poèmes et des extraits de son journal. J’ai sélectionné des fragments qui pouvaient résonner les uns avec les autres et avec les thématiques d’Ibsen. L’obsession de la mort pensée comme renaissance, le désir, la vitalité, la maladie, l’hérédité, l’art…. Plutôt que de faire le va-et-vient entre les textes de Munch et ceux d’Ibsen, j’ai réalisé un petit montage de textes de Munch qui seront lus en ouverture de la soirée et qui j’espère produiront des rémanences dans les oreilles des spectateurs.
Vous faites lire ces extraits du journal de Munch en écho aux écrits du dramaturge Henrik Ibsen, modèle du peintre. Comment avez-vous pensé ce « dialogue » ?
Il y a plusieurs pièces d’Ibsen que Munch évoque dans ses textes ou illustre par des gravures, des aquarelles, des peintures. Des pièces auxquelles il revient régulièrement : Peer Gynt bien sûr, mais aussi Les Revenants, Quand nous nous réveillons d’entre les morts, John Gabriel Borkman, Hedda Gabler… Plutôt que de multiplier les entrées, j’ai choisi de me concentrer sur deux extraits assez longs des Revenants et de Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, parce que ces deux pièces mettent en scène un personnage d’artiste : un jeune peintre dans la première, un vieux sculpteur dans la seconde. Ce sont aussi deux œuvres clés du « dialogue » entre Munch et Ibsen : le jeune Munch a été frappé par les Revenants, qui est devenu pour lui une sorte de livre de chevet (il en réalisera plus tard une scénographie pour le grand metteur en scène berlinois Max Reinhardt), et le vieil Ibsen a été frappé par l’exposition de Munch sur la Frise de la vie, au point que Munch pense que son exposition a inspiré l’œuvre ultime du dramaturge.
La chanteuse Karine Vourc’h sera sur scène aux cotés des comédiens de l’Odéon-Théâtre de l’Europe : comment avez-vous orchestré ces lectures ? Que chantera Karine Vourc’h à cette occasion ? Quelle articulation avez-vous imaginée entre le chant et la lecture ?
J’ai tout de suite eu envie que ces lectures convoquent aussi une troisième figure incontournable de cette fin de siècle à Oslo : le compositeur Edvard Grieg. J’ai proposé à Karen Vourc’h, qui est franco-norvégienne et que je connais depuis longtemps (elle a chanté Mélisande dans ma mise en scène de Pelléas et Mélisande en 2010 et 2014), de chanter des poèmes d’Ibsen mis en musique par Grieg. Et j’ai demandé au pianiste Michaël Guido de me proposer des pièces courtes de Grieg qui pourraient aussi accompagner les textes de Munch en ouverture de la soirée. Quant aux acteurs, j’ai d’abord pensé à ceux qui avaient déjà incarné des personnages d’Ibsen avec moi : Claude Duparfait qui fut mon jeune Peer Gynt et qui joua également dans Brand, Rosmersholm et Le Canard sauvage ; Chloé Réjon et Bénédicte Cerutti qui jouaient ensemble dans Une maison de poupée, et Pierric Plathier qui ferait un magnifique Osvald dans Les Revenants.
Il y a dans la peinture d’Edvard Munch une spontanéité, une recherche synthétique et parfois même une impression souhaitée d’inachevé. Avez-vous noté des correspondances entre la façon de peindre de Munch et son écriture ? Y a-t-il, selon vous, des tableaux de l’artiste qui entrent particulièrement en résonance avec ses propres écrits ?
C’est en travaillant pour cette soirée que j’ai découvert à quel point l’œuvre d’Ibsen avait accompagné celle de Munch. Je ne connaissais pas toutes ses œuvres directement inspirées d’ibsen et que l’on trouve réunies notamment dans le beau livre d’Ingrid Junillon sur Munch et Ibsen. Mais dans ma première mise en scène d’Ibsen, une version intégrale de Peer Gynt en 1995, j’avais intégré pour la scène du mariage une grande toile peinte reproduisant le célèbre tableau La Danse de la vie. Je devais donc avoir l’intuition que les deux artistes dialoguaient à travers leur œuvres. Je retrouve en tout cas chez les deux une immense vitalité, un appétit de vivre, une soif d’absolu et d’idéal, qui génère en retour une angoisse existentielle profonde et une obsession de la maladie, de la finitude et de la mort. De nombreux tableaux m’évoquent Ibsen et ils seront également projetés pendant la soirée…
Lectures avec l’Odéon – Théâtre de l’Europe
- Direction artistique : Stéphane Braunschweig
- Avec Bénédicte Cerutti, Claude Duparfait, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Karen Vourc’h (chant) et Michaël Guido (piano)