Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour révéler le travail de Girault de Prangey ?
Girault de Prangey est mort en 1892. La photographie ancienne en France n'a été exposée régulièrement qu'à partir des années 1970. Son œuvre a véritablement émergé au début des années 2000 au moment où le fonds a été proposé au marché international, aux institutions et aux collectionneurs. A la même époque, le musée de Bulle en Suisse a redécouvert sa collection. Nous sommes allés de surprises en surprises. Depuis, Girault de Prangey a bénéficié de plusieurs expositions.
Comment se situe le travail de Girault de Prangey par rapport à celui des autres pionniers de la photographie ?
L'œuvre de Girault de Prangey se situe au tout début de la photographie. Il commence en 1841 deux ans à peine après l'annonce de l'invention ! Pour autant il n'est pas en premier lieu un technicien, ni un inventeur comme c'était le cas de beaucoup de pionniers. C'est un artiste, riche, qui a un projet ambitieux incluant l'usage de la photographie. Il y met des moyens, une sensibilité, une intuition des possibilités plastiques du médium qu'aucun autre ne peut déployer alors. Son œuvre est unique par son ampleur et sa variété.

Étude de plantes, 1841
© Photo Bnf
Quelle photo de Girault de Prangey vous touche plus particulièrement ?
Thomas Galifot : Un daguerréotype intitulé Etude de plantes résume dans une composition très sophistiquée le programme d'une vie de photographe, dédiée à l'art et l'archéologie (un buste de Vénus dans la cour d'un atelier d'artiste) et à la botanique (l'écrin exubérant de végétation). Si l'image est fascinante, c'est aussi par la volonté qu'elle exprime, très tôt, de dépasser les limites en concentrant tous les défis techniques : relief, profondeur, transparence, finesse des détails dans le rendu de surfaces aux textures et aux couleurs variées...dont le vert, si difficile à photographier à l'époque.
Sylvie Aubenas : Beaucoup de ses daguerréotypes sont touchants car ils sont réalisés dans l'enthousiasme des débuts, à l'époque de la découverte d'un nouveau moyen d'expression. Cet artiste savant qui s'était fixé le but sérieux de produire des publications sur l'histoire de l'architecture est parfois enivré par les possibilités de la photographie : c'est pourquoi j'aime la grande couronne de palmes se détachant sur le ciel grec.

Athènes. Palmier près [de l’église des] S.[aints] Théodore[s], 1842
© Photo Bnf
Avez-vous fait des découvertes en préparant cette exposition ?
Cette exposition a été l'occasion de porter une véritable attention aux près de cinquante ans qui ont suivi le grand voyage méditerranéen de Girault de Prangey. La vision du photographe en est renouvelée : c'est une œuvre sur papier d'une qualité et d'une variété insoupçonnée qui a été redécouverte, et qui révèle le grand photographe que Girault est resté jusqu'aux années 1870. La vision de l'homme a également changé : loin du cliché qui lui était accolé, celui d'un ermite misanthrope une fois le dos tourné à l'archéologie, on le redécouvre très sociable et très savant, intégré aux milieux de l'horticulture et de l'acclimatation.
Qu'aimeriez-vous que le visiteur retienne de cette exposition ?
On peut en retenir la redécouverte récente d'un grand photographe inconnu à la personnalité très attachante et à la vie romanesque. On peut retenir aussi que dès l'origine des photographes ont produit des images fortes qui s'inscrivent esthétiquement dans l'histoire du médium. Le cas Girault de Prangey confirme que l'on n'a pas fini de découvrir de grands photographes du XIXe siècle.