150 ans de la mort de Jean-François Millet, le peintre de la vie paysanne


À l'occasion des 150 ans de la mort de Jean-François Millet, maître incontesté de la peinture paysanne, plongez dans les collections du musée d'Orsay pour découvrir l'œuvre de ce pionnier de l'école de Barbizon.

Autoportrait en buste, date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Don Peytel, 1914
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Tony Querrec
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Le peintre Jean-François Millet et sa famille, 1854
Musée d'Orsay
Achat, 1984
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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L'Angélus, entre 1857 et 1859
Musée d'Orsay
Legs Alfred Chauchard, 1910
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Un homme et une femme récitent l'angélus, prière qui rappelle la salutation de l'ange à Marie lors de l'Annonciation. Ils ont interrompu leur récolte de pommes de terre et tous les outils, la fourche, le panier, les sacs et la brouette, sont représentés.
En 1865, Millet raconte : "L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts". C'est donc un souvenir d'enfance qui est à l'origine du tableau et non la volonté d'exalter un quelconque sentiment religieux, Millet n'est d'ailleurs pas pratiquant.
Dans une scène simple, il souhaite fixer les rythmes immuables des paysans. Ici, l'intérêt du peintre se porte sur le temps de la pause, du repos.
Isolé au premier plan, au milieu d'une plaine immense et déserte, le couple de paysans prend des allures monumentales, malgré les dimensions réduites de la toile. Leurs visages sont laissés dans l'ombre, tandis que la lumière souligne les gestes et les attitudes. La toile exprime ainsi un profond sentiment de recueillement et Millet dépasse l'anecdote pour tendre vers l'archétype.
C'est sans doute ce qui explique le destin extraordinaire de L'Angélus : objet d'un incroyable engouement patriotique lors de sa tentative d'achat par le Louvre en 1889, vénérée par Salvador Dali, lacérée par un déséquilibré en 1932 et devenue au cours du XXe siècle une icône mondialement célèbre.

Paysan appuyé sur le manche d'une bêche, étude pour L'Angélus vers 1859, date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Achat, 1875
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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Des glaneuses dit aussi Les glaneuses, 1857
Musée d'Orsay
Donation sous réserve d'usufruit Mme Pommery, 1890
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean Schormans
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Fidèle à l'un de ses sujets favoris, la vie paysanne, Millet livre dans ce tableau le résultat de dix années de recherches autour du thème des glaneuses.Ces femmes incarnent le prolétariat rural. Elles sont autorisées à passer rapidement, avant le coucher du soleil, dans les champs moissonnés pour ramasser un à un les épis négligés.
Le peintre en représente trois au premier plan, dos cassé, regard rivé au sol. Il juxtapose ainsi les trois phases du mouvement répétitif et éreintant qu'impose cette âpre besogne : se baisser, ramasser, se relever. Leur austérité s'oppose à l'abondance de la moisson au loin : meules, gerbes, charrette et la multitude de moissonneurs qui s'agitent. Ce foisonnement festif et lumineux paraît d'autant plus lointain que le changement d'échelle est abrupt.
La lumière rasante du soleil couchant accentue les volumes du premier plan et donne aux glaneuses un aspect sculptural. Elle souligne vivement leurs mains, nuques, épaules et dos et avive les couleurs de leurs vêtements. Puis, lentement, Millet estompe les lointains pour produire une atmosphère dorée et poudreuse, accentuant l'impression bucolique de l'arrière-plan. Le personnage à cheval, isolé à droite est vraisemblablement un régisseur.
Chargé de surveiller les travaux réalisés sur le domaine, il veille également à ce que les glaneuses respectent les règles liées à leur activité.
Sa présence ajoute une distance sociale en rappelant l'existence des propriétaires dont il est l'émanation.
Sans user d'anecdotes pittoresques, par des procédés plastiques simples et sobres, Millet confère à ces glaneuses, pauvres sans doute, mais pas moins dignes, une valeur d'emblème, dénuée de tout misérabilisme.

Feuille d'études : profil et mains, étude pour Les glaneuses (1855-56), date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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Glaneuses, date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs Léon Bonnat, 1922
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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Un vanneur, vers 1848
Musée d'Orsay
Legs Alfred Chauchard, 1910
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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Cette peinture est une variante tardive d'une œuvre présentée par Millet au Salon de 1848 sous le même titre et achetée par Ledru-Rollin, alors ministre de l'Intérieur de la toute jeune Seconde République. Millet ouvrait ainsi une nouvelle voie dans son art. Abandonnant les mythologies et le pittoresque, il avait trouvé son héros : le paysan.
Le vanneur est ici saisi dans la réalité de son travail, le geste est observé avec précision. Il soulève le van de son genou, secoue le grain, faisant ainsi voleter des paillettes d'une poussière qui emplit la grange et donne au tableau une atmosphère dorée. Tout l'art de Millet est présent ici, ses larges simplifications, ses grandes localisations de tons, la qualité de ses teintes, de ses rapports de valeurs et surtout, la présence de grandes figures pensées comme des allégories.
Cette toile fut largement commentée en 1848. Gautier donne le ton : "Il est impossible", écrit-il alors, "de voir quelque chose de plus rugueux, de plus farouche, de plus hérissé, de plus inculte", mais il ajoute "et bien ! ce mortier, ce gâchis épais à retenir la brosse est d'une localité excellente, d'un ton fin et chaud quand on se recule à trois pas. Ce vanneur [...] se cambre de la manière la plus magistrale". Dans cette version tardive, Millet souligne encore plus l'effort du paysan dans la courbure du corps. Courbet fut un grand admirateur du Vanneur, et il l'eut sans doute à l'esprit lorsqu'il entreprit l'année suivante Les casseurs de pierre ( œuvre détruite lors des bombardement de Dresde au cours de la Seconde Guerre Mondiale).

Tête de femme avec reprise, étude pour le visage de la mère de paysan greffant un arbre (1855), 1854
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Le Mage
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Laitière normande à Gréville, 1874
Musée d'Orsay
Legs James N.B. Hill, 1978
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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Si la Laitière normande est l'une des dernières œuvres peintes par Millet, c'est aussi un motif auquel il s'intéressa toute sa vie. Robert L. Herbert étudiant la genèse de ce tableau a en effet découvert au musée Thomas Henry de Cherbourg la reproduction d'une aquarelle de l'artiste datée de 1840. Elle représente dans un style néo-rococo proche des gravures romantiques qui circulaient alors une première laitière normande.
Ces paysannes qui transportent ainsi sur une épaule un récipient fermé par un bouchon d'herbe sont nombreuses dans la campagne normande.
La grande figure féminine se détache ici sur un ciel clair à dominante jaune. Elle marche sur un étroit chemin tracé dans l'herbe, vêtue d'une chemise blanche, d'un corselet orangé, d'une jupe grise. Un pan de tissu bleu, froncé à la taille, passe sur son épaule gauche. A l'horizon, on aperçoit une barrière d'où dépasse la tête d'une vache, certainement celle qui vient d'être traite. Ce tableau, fruit d'une longue observation, est resté inachevé, mais il concorde parfaitement avec le style des dernières œuvres du peintre : utilisation du trait épais qui cerne le corps et accentue l'effet sculptural de la silhouette, liberté de la touche, élimination de tout détail superflu.

Bergère avec son troupeau, vers 1863
Musée d'Orsay
Legs Alfred Chauchard, 1910
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Le calme, la sérénité et l'harmonie triomphent sur cette toile. Vêtue d'une capeline de laine et coiffée d'un capuchon rouge, une jeune bergère (peut-être la propre fille du peintre) se tient debout en avant de son troupeau. Elle tricote, le regard baissé vers son ouvrage. Dans un paysage monotone, qui s'étend sans le moindre accident jusqu'au lointain, elle est seule avec ses animaux. Le troupeau forme comme une tache de lumières ondulantes, reflets des embrasements du soleil couchant. La scène est admirable de justesse et de mélancolie. Millet a su observer jusqu'aux moindres détails, telles les petites fleurs du premier plan. Il joue de la parfaite harmonie des bleus, des rouges et des dorés.
Dès 1862, Millet pensait à un tableau de bergère gardant ses moutons. Il n'en parlait à personne, mais Alfred Sensier raconte que le thème "s'était emparée de son esprit".
Une fois achevée, cette œuvre est présentée au Salon de 1864 où elle reçoit un accueil chaleureux. "Tableau exquis" pour les uns, "chef-d'œuvre" pour les autres, la scène des plus paisible séduit tous ceux qui préfère l'évocation des idylles champêtres à celles de la misère paysanne. Bergère avec son troupeau obtient même une médaille et l'Etat, jusqu'alors fort peu intéressé par Millet, souhaite l'acquérir. Mais l'œuvre a déjà été promise au collectionneur Paul Tesse. Comme nombre d'autres Millet, ce tableau entre finalement dans les collections nationales en 1909, grâce legs d'Alfred Chauchard, le directeur des Grands magasins du Louvre.

Deux baigneurs, 1848
Musée d'Orsay
Achat, 1875
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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La fileuse, chevrière auvergnate, entre 1868 et 1869
Musée d'Orsay
Legs Alfred Chauchard, 1910
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Michel Urtado
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Une jeune paysanne, assise sur un talus, file la laine au fuseau en gardant ses chèvres. Elle est vêtue d'une robe taillée dans une toile grossière et d'un fichu de laine. Elle a aux pieds des sabots de bois et porte sur la tête une coiffe en paille aux bords informes. Sa quenouille est faite d'un bâton de coudrier qui retient l'écheveau de laine brute. La chevrière file cette laine en la dévidant au moyen du fuseau qu'elle tient de la main droite.
Cette jeune fileuse a été peinte à Barbizon à partir d'une série de croquis réalisés par Millet en 1866, lors d'un séjour en Auvergne et dans l'Allier. Il y accompagnait sa femme allée prendre les eaux à Vichy et fut étonné par le pays et ses habitants : "Les habitants de la campagne sont bien autrement paysans qu'à Barbizon, écrit-il à Sensier. Ils ont cette bonne tête de gaucherie qui ne sent en rien le voisinage des eaux, je vous l'assure. Les femmes ont en général des museaux qui annoncent bien le contraire de la méchanceté".
La jeune chevrière représentée ici trahit cet intérêt pour les physionomies observées en Auvergne. Cette paysanne regarde droit vers le spectateur et le fait pénétrer dans son univers psychologique. Le résultat est une forme de portrait naturaliste et peut-être une transposition, dans les dernières années du peintre, de ce qu'avaient été les portraits de ses débuts.

Boqueteau transpercé par le soleil couchant au fond d'un champ, vers 1871
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs Léon Bonnat, 1922
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Rachel Prat
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L'église de Gréville, entre 1871 et 1874
Musée d'Orsay
Achat en vente publique, 1875
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Millet retrouve avec bonheur, en 1870-1871, sa région natale où il se réfugie avec les siens pour échapper aux désastres de la guerre franco-prussienne. Tous ses souvenirs d'enfance et de jeunesse lui reviennent en mémoire tandis qu'il parcourt la campagne. La petite église de Gréville, où il se rendait tous les dimanches avec ses parents, est l'un de ces lieux emblématiques de son passé.
Il fait, sur le motif, plusieurs dessins, et rapporte la toile à Barbizon. Mais Millet n'est pas entièrement satisfait du résultat, ainsi qu'il le dit au peintre britannique Henry Wallis en 1873 : "je ne suis pas arrivé à rendre une certaine impression de cette scène qui avait frappé mon imagination lorsque j'étais enfant, mais j'espère y parvenir un jour". Au-delà des conventions classiques de la peinture de paysage, c'est peut-être aussi cette vision venue de l'enfance que millet cherche à restituer en peignant un paysan et des moutons si minuscules au regard des dimensions réelles du bâtiment.
Exposée au musée du Luxembourg à partir de 1875, la toile touche les artistes de la jeune génération, tel Van Gogh. Son Eglise d'Auvers-sur-Oise (musée d'Orsay) n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de Millet. Cézanne, quant à lui, en possédait une photographie.
La force du tableau réside sans doute dans l'évocation mélancolique d'une sorte d'âge d'or, que la modernité tend à effacer. L'église de Gréville distille un sentiment mêlé, la pérennité d'un monument simple, qui a survécu à plusieurs générations, et la poignante mélancolie qui saisit l'homme confronté à l'éphémère de son propre destin. Le soleil couchant, le grand envol d'oiseaux, la perspective impressionnante, chargée d'âme, ajoutent à cette vision d'un impossible absolu.

Paysanne allaitant, 1845
Musée d'Orsay
Achat, 1896
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Tony Querrec
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Album factice : Etudes pour le Christ et la femme adultère, date indéterminée
Collection Musée d'Orsay - Département des Arts Graphiques du musée du Louvre, Paris
Legs Léon Bonnat, 1922
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot
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Le Printemps, entre 1868 et 1873
Musée d'Orsay
Don Mme Frédéric Hartmann, 1887
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Cette peinture fait partie d'un cycle des saisons qui occupa Millet pendant les dernières années de sa vie. Il lui fut commandé par Frédéric Hartmann, un des mécènes de Théodore Rousseau, en mars 1868.
Millet y travailla épisodiquement jusqu'à sa mort, acheva Le Printemps en mai 1873, L'Eté et L'Automne en 1874, mais laissa l'Hiver inachevé. Le Printemps est d'abord une peinture de paysage, genre auquel Millet se consacre davantage depuis 1865. Il ne laisse que peu de place à l'homme - petite figure de paysan sous l'arbre au centre -, mais est l'expression d'une rencontre, d'un dialogue teinté de lyrisme et de poésie entre l'homme et la nature. Celle-ci y est précisément observée, notamment avec ces petites fleurs qui émaillent le bord du chemin. Il s'agit d'une nature aimée et habitée. On y a planté un verger, installé une route, bâti une barrière (protection contre la nature sauvage que l'on aperçoit au fond). Ici, tout est symbole : la course des nuées d'orage, la terre lilas brun, les branches dépouillées et coupées aux arbres suggèrent la fuite de l'hiver tandis que les arbres en fleur, la verdeur claire de la forêt sont signes du renouveau printanier.
Le thème est classique - il fut notamment traité par Poussin - mais Millet l'aborde avec une volonté expressive dans la représentation de la nature. Par la simplicité du sujet, par le sentiment qu'il exprime des variations de la lumière, Millet se rattache à la tradition du paysage de son ami Rousseau, et au delà à celle de Constable ou Ruysdaël, mais par ses couleurs étonnamment fraîches, par sa façon de capter l'instant, il se rapproche des Monet, Bazille ou Renoir qui fréquentaient la forêt de Fontainebleau à cette date, avant que le nom d'impressionnistes leur soit attribué.