Au musée d’Orsay, un concours d’éloquence pour célébrer les talents des étudiants réfugiés en France

Journée mondiale des réfugiés
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© Musée d’Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu

Le 23 mai 2025, le musée d’Orsay a accueilli la troisième édition du concours d’éloquence « Voix en exil » dans le cadre de son partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Huit étudiants réfugiés en France et venus d’Afghanistan, du Bangladesh, du Burundi, de Colombie, du Soudan et d’Ukraine, ont pris part à cet exercice d’art oratoire, entrainés par des tuteurs de l’association Eloquentia. La lauréate de cette édition est Myroslava Shenher, 22 ans, réfugiée de la guerre en Ukraine et étudiante à la Sorbonne en affaires internationales. 

Corps de texte
Voix en exil : les participants
© Musée d'Orsay Musée d’Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu Laëtitia Striffling-Marcu

« L’heure est à la solidarité, pas au repli sur soi »

Le fil conducteur de cette édition reprenait les mots de Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « L’heure est à la solidarité, pas au repli sur soi. » Chacun des participants, quatre femmes et quatre hommes, a livré un discours de cinq minutes devant près de 300 personnes réunies dans l’auditorium du musée. Particularité de cette édition : chaque candidat devait articuler sa plaidoirie en lien avec une œuvre du musée d’Orsay.

Avant l’ouverture des plaidoiries, Paolo Artini, représentant du HCR en France, a dressé un tableau préoccupant de la situation humanitaire mondiale. « Le contexte humanitaire est particulièrement grave », a-t-il souligné, évoquant les 123 millions de personnes déplacées de force à travers le monde sous l’effet des conflits armés. Plus alarmant encore, alors que les besoins humanitaires explosent, les financements, eux, s’effondrent. « Cette année, l’augmentation des besoins est accompagnée d’une baisse drastique du soutien financier », a-t-il regretté, citant notamment la crise au Soudan, où seuls 11 % des besoins humanitaires sont actuellement couverts. Visiblement ému, il a salué le choix du musée d’Orsay de s’engager dans ce partenariat : « L’art nous rappelle que l’humanité est universelle. »

Le jury, présidé par l’homme de théâtre Alexis Michalik, comptait parmi ses membres Cyril Delhay (professeur d’art oratoire à Sciences Po), Amadou Tidiane Diallo (juriste et lauréat de l’Académie pour la participation des réfugiés), Virginie Donzeaud (administratrice générale adjointe du musée d’Orsay et de l’Orangerie), Élodie Journeau (avocate en droit des étrangers et droit d’asile au barreau de Paris), et Amara Makhoul (rédactrice en chef à France 24 en charge du site InfoMigrants).

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© Musée d’Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu

Myroslava Shenher, lauréate de cette édition

La grande gagnante du concours est Myroslava Shenher, 22 ans, originaire d’Ukraine et étudiante à la Sorbonne en affaires internationales. Arrivée en France en mars 2022 après avoir fui Kharkiv alors que les troupes russes étaient aux portes de la ville, elle a livré une plaidoirie vibrante, s’appuyant sur La Gare Saint-Lazare de Claude Monet, œuvre phare des collections du musée d’Orsay.

Dans un discours sans notes, elle a comparé la gare et ses trains à la situation des exilés : « Nous sommes tous sur un quai, face à un train du populisme qu’il faut arrêter. » Elle a exhorté l’Europe à ne pas céder à l’indifférence et a conclu sous les applaudissements en scandant : « Slava Ukraini ! ».

« Je suis heureuse, non pas de ma victoire, mais que les gens aient entendu mon message, j'ai vu que je les avais touchés », a-t-elle confié après la cérémonie.

Nous reproduisons ici une partie de la plaidoirie de la lauréate, Myroslava Shenher :

Images
Claude Monet
La Gare Saint-Lazare, 1877
Musée d'Orsay
Legs Gustave Caillebotte, 1896
© GrandPalaisRmn (Musée d'Orsay) / Benoît Touchard
Voir la notice de l'œuvre
« Je n’ai pas choisi de naître en temps de guerre. Mais j’ai choisi de ne pas me taire. Quand j’ai quitté Kyiv en 2022, le grondement des bombes couvrait le chant des oiseaux. Je me souviens de ces trains au départ de la gare. C’était un moment suspendu entre peur et espoir. En un seul mot : flottement. C’est une image qui ne me quitte jamais.
« La Gare Saint-Lazare », de Claude Monet, au musée d’Orsay : ce tableau de brume, de vapeur, de mouvement. Un train qui part. Ou qui arrive. Un futur qui se dessine. Ou un passé qui s’efface. À travers ce brouillard, c’est le mouvement qui se dessine. Celui des familles qui partent. Des soldats qui partent au front. Des corps… qui finissent par y revenir. Ce tableau est devenu pour moi une métaphore du départ. Mais aussi de l’espérance du retour.
Je suis ukrainienne. Et ces mots, aujourd’hui, résonnent comme un cri. Depuis plus de trois ans, mon pays subit une guerre brutale. Des villes détruites. L’exil, la peur, la perte. Des enfants qui connaissent les sirènes avant l’alphabet. Ce n’est pas qu’un conflit. C’est une attaque majeure contre nos valeurs. Liberté. Dignité. Démocratie. […]
Tout ce que je vous dis aujourd’hui ne concerne pas seulement l’Ukraine. Il s’agit de nous tous. Car aujourd’hui, c’est mon pays. Comme hier, ce fut le vôtre. Et demain, ce sera encore un autre. Comme dans le tableau de Claude Monet, nous sommes tous sur un quai. Allons-nous rester immobiles, figés par la peur ? Ou monter tous ensemble dans ce train de solidarité ?
Moi, je rêve d’un retour. Un jour, je reviendrai à Kyiv. Je retournerai chez moi, libre. Dans mon pays enfin en paix. Et je veux pouvoir dire : l’Europe ne nous a pas abandonnés. Elle est restée debout. Fidèle à elle-même.
Oui, l’heure est venue. De choisir l’humanité contre l’indifférence. La solidarité contre le repli. Et pouvoir, en sortant du train de mon pays, dire avec force : « Slava Ukraini. » »
Personne citée
Plaidoirie de Myroslava Shenher, lauréate du concours d'éloquence
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