Thème
Le peintre Thaulow et ses enfants dit aussi La famille Thaulow, 1895
Musée d'Orsay
Achat à Jacques-Emile Blanche à l'Exposition Universelle, 1900
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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La pratique du portrait, individuel ou de groupe, est aujourd'hui banalisée par l'usage amateur de la photographie numérique et sa diffusion instantanée par les réseaux de communication. Cette pratique d'apparence spontanée s'inscrit cependant dans une longue histoire du portrait peint, sculpté, photographié et en reprend de nombreux codes. Les collections du musée d'Orsay représentent à ce titre une courte période, entre 1848 et 1914, mais révèlent pour ce genre artistique une extraordinaire diversification des modes de représentation et des usages du portrait.
Qu'est-ce qu'un portrait ?
Hvile dit aussi Repos, 1905
Musée d'Orsay
Achat avec participation de Philippe Meyer, 1996
© Musée d’Orsay, dist. GrandPalaisRmn / Patrice Schmidt
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Toute représentation de figure humaine ne peut être considérée comme un portrait. Lorsque le titre de l'œuvre précise « Portrait de… » ou énonce de manière directe des éléments de l'identité de la ou des personnes figurées, il n'y a généralement plus d'ambiguïté. À l'opposé, certaines représentations de figures humaines visent à exprimer une idée abstraite (la Mort, la Justice, l'Abondance…). Elles ne doivent pas être confondues avec le genre du portrait. Mais il existe naturellement des cas plus complexes : il arrive qu'un personnage peint, sans que le titre de l'œuvre fasse mention de son identité, soit néanmoins identifiable ; on peut alors considérer qu'il y a un portrait inséré dans un sujet plus vaste, une composition historique par exemple. Un portrait est-il nécessairement ressemblant ? On le pense spontanément, mais toute l'histoire du portrait montre que s'opposent deux conceptions elles-mêmes porteuses d'infinies nuances : l'une qui vise une forme de fidélité à la morphologie du modèle, l'autre qui cherche à transcender l'apparence, généralement pour idéaliser le personnage, quelquefois pour traduire un caractère, une psychologie particulière.
Petit historique du genre du portrait jusqu'au XIXe siècle
L'Empereur Napoléon III, en 1862
Musée de la Légion d'honneur, Paris
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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L'art funéraire égyptien comporte d'importants ensembles de figures individualisées, qu'il s'agisse du défunt lui-même ou des personnages qui l'accompagnent dans les scènes diverses qui sont représentées. Le portrait, dans cette conception religieuse de l'art, a pour fonction de fixer l'image du disparu pour lui permettre de continuer à vivre dans l'au-delà. La civilisation romaine, si elle continue d'illustrer ce lien entre la mort et le portrait (présent sur les sarcophages et les cénotaphes), introduit aussi l'usage plus courant que nous connaissons encore : les bustes sculptés sont présents dans les demeures privées et tiennent également une place dans la vie politique, assurant la postérité des principaux hommes publics.
Durant le Moyen Âge chrétien, le statut du portrait pose des problèmes de rapport au sacré. Influencés par les religions iconoclastes orientales, ou plus simplement sensibles à la croyance superstitieuse qui fait de l'image un support à des pratiques magiques, potentiellement maléfiques, les princes et les hommes d'Église considèrent avec méfiance le portrait, qui peut même faire l'objet d'un « tabou ». Pourtant, l'effigie de l'homme vivant réapparaît dans l'art par le biais des représentations religieuses. Les papes introduisent leur propre représentation à côté de celles des saints qui accompagnent le Christ ou la Vierge dans les mosaïques du Haut Moyen Âge (comme Félix IV, au VIe siècle, dans l'église Saints-Cosme-et-Damien de Rome). Puis, des laïcs apparaissent sur les fresques ou les retables par le truchement de leur fonction de donateurs : finançant une œuvre d'art réalisée pour la gloire de Dieu, leur bienfait les protège de tout maléfice éventuel.
C'est au XIVe siècle, en France, que le portrait se libère de tout contexte sacré. L'œuvre que l'on considère souvent comme le premier portrait individuel à part entière est celui de Jean II le Bon, roi de France de 1350 à 1364. Elle est conservée au musée du Louvre. Le visage du futur roi est représenté de profil, sur un fond neutre, sans aucun attribut ni accessoire.
Le portrait connaît au XVe siècle un véritable essor. Flamands, Vénitiens, Florentins du Quattrocento infléchissent le genre chacun selon sa sensibilité : portraits intimes de personnages saisis dans leur cadre quotidien, comme les époux Arnolfini par Van Eyck (1434, Londres, The National Gallery) ou portraits en pied de nobles cavaliers représentés dans toute leur gloire sur des fonds de paysages toscans.
Le portrait de cour se développe aux XVIe et XVIIe siècles. Les commanditaires, courtisans et personnages désireux de reconnaissance sociale, sont issus de la noblesse de robe et de la grande bourgeoisie. Ils constituent la clientèle de peintres qui se spécialisent dans ce genre. Contre l'abâtardissement qui le menace, une nouvelle catégorie émerge alors : le portrait allégorique ou mythologique, qui élève le modèle jusqu'aux plus hautes sphères de la peinture d'histoire. C'est à cette époque et dans ce contexte qu'est définie par le théoricien de l'art Félibien la hiérarchie des genres (1667), qui renvoie le portrait après les représentations de sujets issus de la Bible ou de l'histoire ancienne (peinture d'histoire), ainsi qu'après celles de sujets de la vie quotidienne (scène de genre). Des catégories différentes du genre du portrait se codifient donc peu à peu, le rigide portrait d'apparat n'ayant que peu à voir avec les formules beaucoup plus libres qui s'épanouissent avec l'avènement du portrait psychologique au XVIIIe siècle. Ainsi les accessoires tendent à disparaître au profit de la tête seule du modèle, dans une technique qui rompt bien souvent avec l'esthétique du « bien fini ». C’est un prélude au portrait romantique, qui quête chez son modèle le sentiment intime, la personnalité vraie, le moi caché.
Triomphe et crise du portrait au XIXe siècle
Pendant la période couverte par les collections du musée d'Orsay (1848 à 1914), alors que la photographie est une technique et un art naissant (invention par Nicéphore Niépce en 1826), le genre du portrait est particulièrement florissant en peinture et en sculpture. La bourgeoisie, à la fois actrice et bénéficiaire de la révolution industrielle, accède au pouvoir d'achat qui lui permet de devenir commanditaire. À défaut d'une galerie de portraits d'ancêtres dans un château, le bourgeois parisien ou provincial décore son hôtel particulier ou son appartement du portrait de son épouse, et de la famille plus généralement. Le buste, en terre ou en marbre, trouve sa place au jardin d'hiver ou dans le vestibule. Si la famille bourgeoise ne peut asseoir sa légitimité sur une lignée prestigieuse d'ancêtres, elle a le sentiment de transmettre à la postérité l'image de sa réussite. Plus tard, à moindres frais, l'album des photos commémorant les moments essentiels de la vie familiale – mariage, baptêmes… – remplira un rôle similaire. C'est alors que les ateliers de portraits photographiques, véritable industrie qui ne limite pas son développement aux grandes villes, se multiplient, répondant au besoin effréné de portraits, qui touche progressivement toutes les classes sociales.
Le régime républicain, accroissant le nombre des acteurs de la vie politique, multiplie aussi ses figures tutélaires : le culte du « grand homme » se fonde et s'illustre par des portraits peints, et surtout sculptés, qui envahissent l'espace public, en particulier l'environnement urbain. Les commandes de la IIIe République sont honorées par les artistes de style éclectique, puis naturaliste qui forment le courant majeur de l'art officiel. On pourrait ainsi croire que les impressionnistes, du fait de leur engouement pour le paysage, sont peu concernés par le genre du portrait ; néanmoins, et pour des raisons diverses, ils apporteront aussi leur contribution à l'évolution de ce genre artistique, qui sera profondément marqué par Degas, Cézanne, Van Gogh et Gauguin, artistes pour lesquels l'impressionnisme ne fut qu'une étape de recherche esthétique.
Ressources
Œuvres à découvrir en classe
Pour compléter votre visite, quelques œuvres rarement exposées en raison de la fragilité de leur support vous sont proposées en vue d'une consultation en classe.
Photographies
- Anonyme, Léon Comerre peignant dans son atelier, vers 1910, épreuve argentique
- Léon Riesener (1808-1878), Portrait d'Eugène Delacroix de face, en buste, 1842, daguerréotype
- Barthélémy Thalamas (actif entre 1850 et 1860), Portrait métaphorique, vers 1850, daguerréotype
- Hugh Welch Diamond (1809-1886), Portrait de folle entre 1852 et 1854, épreuve sur papier albuminé à partir d'un négatif verre au collodion humide
- Charles Hugo (1826-1871), Victor Hugo devant le rocher des Proscrits, vers 1853, épreuve sur papier salé
- Adrien Tournachon (1825-1903), Pierrot Photographe, dit aussi Le mime Deburau, 1854, épreuve sur papier salé
- André Adolphe Eugène Disdéri (1819-1889), Marquise de Jalar en pied, en huit poses, 1860, épreuve sur papier albuminé d'après un négatif sur verre au collodion
- Julia Margaret Cameron (1815-1879), Mrs Herbert Duckworth, dit aussi Julia Jackson, mère de Virginia Woolf, 1872, épreuve au charbon à partir d'un négatif verre au collodion humide
- Edgar Degas (1834-1917), Portrait au miroir d'Henry Lerolle et de ses deux filles, Yvonne et Christine, 1895-1896, épreuve sur papier albuminé à partir d'un négatif verre au gélatino-bromure, agrandissement par Tasset
- Fernand Khnopff (1858-1921), Marguerite Khnopff, soeur de l'artiste, étude pour « Le Secret » peinture de 1902, vers 1901, aristotype (épreuve au citrate) à partir d'un négatif verre
- Paul Strand (1890-1976), Photograph – New York 1917, épreuve photomécanique (photogravure)
Dessins
- Charles Angrand (1854-1926), Antoine endormi, vers 1896, crayon Conté
- Gustave Courbet (1819-1877), Jeune homme assis, étude. Autoportrait dit au chevalet, vers 1847, fusain sur papier
- Edgar Degas (1834-1917), Portrait d'Édouard Manet, vers 1866-1868, mine de plomb
- Paul Gauguin (1848-1903), Autoportrait, vers 1902-1903, mine de plomb
- Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953), None, vers 1895, pastel sur papier
- Edouard Manet (1832-1883), Portrait de Mme Manet sur un canapé bleu, 1874, pastel sur papier brun marouflé sur toile
- Léon Spilliaert (1881-1946), None, 1903, crayon graphite, encre noire et encre brune à la plume et au pinceau
Publications
Généralités
- Cogeval, Guy (dir.), Le Musée d'Orsay à 360 degrés, Paris, Musée d'Orsay / Skira Flammarion, 2013
- Pommier, Edouard, Théories du portrait : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1998
Peinture
- Bonafoux, Pascal, Les Peintres et l'Autoportrait, Genève, Skira, 1984
- Badea-Päun, Gabriel, Portraits de société XIXe-XXe siècles, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007
- Guégan, Stéphane, Madeline, Laurence, Schlesser, Thomas, L'Autoportrait dans l'histoire de l'art. De Rembrandt à Warhol, l'intimité révélée de 50 artistes, Paris, Beaux-Arts éditions, 2009
- Ishaghpour, Youssef, Courbet, le portrait de l'artiste dans son atelier, Paris, L'Echoppe, 1998
- Pludermacher, Isolde, Édouard Manet, les femmes, Rouen, Editions des Falaises, 2015
- Collectif, Orsay. La peinture, Paris, Scala Editions, 2003
Sculpture
- Pingeot, Anne, Orsay. La sculpture, Paris, Scala Editions, 2003
- Collectif, Daumier : les Célébrités du Juste milieu (1832-1835), études et restauration, Paris, RMN, 2005
Photographie
- Heilbrun, Françoise, Bolloch, Joëlle, Figures et portraits, Paris, Musée d'Orsay / Milan, 5 Continents, 2006
- Heilbrun, Françoise, Bajac, Quentin, Orsay. La photographie, Paris, Scala Editions, 2000