Questions à Caroline Corbeau-Parsons et François Blanchetière

Accrochage des collections : « Autour des Jeux Olympiques de 1900 : sport et idéal »
Caroline Corbeau-Parsons
Sophie Crépy © Musée d'Orsay / Sophie Crépy

La gare d’Orsay, avant de devenir musée en 1986, fut construite pour accueillir les 50 millions de visiteurs de l’Exposition Universelle de 1900, mais aussi des spectateurs des Jeux Olympiques qui s’y étaient adjoints, les premiers à avoir été organisés à Paris. « Autour des Jeux Olympiques de 1900 : sport et idéal », accrochage multidisciplinaire, à l’instar des J.O., rend hommage à cet héritage. Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice Arts graphiques et Peinture qui a préparé cette présentation, et François Blanchetière, conservateur en chef Sculpture et Architecture, répondent à nos questions.

Quand le sport est-il apparu dans l’art ? Est-il largement représenté dans les collections d’Orsay, à travers tous les domaines ?

Caroline Corbeau-Parsons : Le sport et l'exploit physique font leur apparition dans l'art très tôt. Ces thèmes et leur corollaire, le beau idéal, restent invariablement associés à l'Antiquité grecque. On pense bien sûr au Discobole (Diskobólos), l'une des plus célèbres statues de l'Antiquité attribuée à Myron (450 av J.-C), mais la thématique du sport est également omniprésente dans la céramique grecque, où se déclinent les exploits de lanceurs de javelot, de nageurs et nageuses, de coureurs de relais, d'hoplitodromes (ndlr : course en armure), et de bien d’autres athlètes. La composition en frise englobant le vase permettait aux céramistes de suggérer le mouvement et le déroulement de l'action.

Le thème du sport est présent dans à peu près tous les domaines de la collection du musée d'Orsay, mais souvent de manière marginale, et sans nécessairement que soient représentés des sportifs professionnels. La période couverte par le musée d'Orsay (1848-1914) correspond toutefois à l'avènement d'une culture du sport et des loisirs, et la collection reflète cet engouement pour l'activité physique.

Les artistes présents au musée d’Orsay qui s’emparent de ce sujet s’inspirent-il de l’Antiquité ou cherchent-ils au contraire à s’en détacher ?

Caroline Corbeau-Parsons : Des artistes comme George Desvallières (1861-1950), dont deux œuvres monumentales (N.B. : Hercule au Jardin des Hespérides et Tireurs à l’arc) sont présentes dans l'accrochage, prennent l'idéal grec pour référence. À la fin du XIXe, beaucoup d'artistes symbolistes en quête d'absolu et de spiritualité retournent aux sources de la mythologie pour se projeter dans une nouvelle Arcadie, et le culte du corps qui se développe alors fait écho à celui de l’antiquité et au précepte d’« un esprit sain dans un corps sain », que Pierre de Coubertin (1863-1937) transformera en « un esprit ardent dans un corps musclé ». Mais d'autres œuvres incluses dans l'accrochage saisissent l'engouement pour le sport à la Belle Époque, et notamment celui des femmes, qui pratiquent le corps dans leurs vêtements de ville, bien souvent corsetées et chapeautées.

George Desvallières
Les tireurs à l'arc, 1895
Musée d'Orsay
Don Paul Simon et de ses sœurs, 1951
© Adagp, Paris, 2024 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Au-delà de la représentation des corps, les artistes visent-ils une forme de représentation sociale à travers ce sujet ?

François Blanchetière : Certains artistes sont effectivement attentifs à l’ancrage social des pratiques sportives qu’ils représentent, comme c’est le cas pour l’escrime ou l’aviron, par exemple. Il s’agit certainement des deux sports les plus représentés à cette époque, et ils sont très marqués socialement, ce sont des activités propres à une certaine élite sociale, aussi bien bourgeoisie qu’aristocratique (car le mode de vie de la noblesse reste la référence et l’objectif à atteindre pour l’élite sociale jusqu’à la Première Guerre mondiale au moins). Il n’est pas anodin que l’escrime ait ses origines dans l’entraînement militaire, et que le port de l’épée ait longtemps été réservé à l’aristocratie. Le fait que le duel, à l’épée ou au pistolet, ait été perçu encore durant tout le XIXe siècle comme le seul moyen véritable d’obtenir réparation après un outrage, alors même qu’il était interdit par la loi, est assez révélateur de la persistance d’une certaine conception de l’honneur qui remonte au Moyen-Âge…

Quel a été l’apport de l’innovation technique dans la représentation de l’effort sportif ?

Caroline Corbeau-Parsons : Le développement de la chronophotographie, qui dans un intervalle de temps très court permet de prendre des instantanés du même sujet, a été une révolution dans l’analyse et la compréhension de la locomotion du vivant. Le galop du cheval en particulier était au cœur des débats à la fin du XIXe siècle, et les techniques photographiques ont pu prouver que contrairement à ce que l’on avait cru, les pattes du cheval au galop étaient toutes en suspension au moment de leur regroupement, et non pas en extension. Les travaux du britannique Eadweard Muybridge (1830-1904) et du français Étienne-Jules Marey (1830-1904) ont été fondamentaux dans ces découvertes qui ont véritablement passionné leurs contemporains.

La photographie puis le cinéma ont aussi diffusé à grande échelle l’image des grands sportifs en action, et ont contribué à en faire des vedettes. La presse sportive connaît en effet une véritable explosion au tournant du XXe siècle et les événement sportifs commencent à attirer les foules.

Images
Eadweard Muybridge, Photogravure Company of New York, University of Pennsylvania
Cheval au galop, 1887
Musée d'Orsay
Don Fondation Kodak-Pathé, 1983
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
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Comment s’est opéré le choix des œuvres de cet accrochage ?

Caroline Corbeau-Parsons : Au cœur de l’accrochage sont les Jeux Olympiques de 1900, les premiers à s’être tenus à Paris. La gare d’Orsay, qui abrite maintenant notre musée, a été construite à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, mais aussi de ces jeux, qui étaient concomitants à ce grand événement. Ce fait est beaucoup moins connu, et l’accrochage était l’occasion de rappeler cette histoire commune avec la gare d’Orsay qui abrite nos collections.

Par sa sélection resserrée, il offre un aperçu de l’idéal que devient le sport à ce moment particulier de l’histoire. Tout un pan de l’accrochage est dédié à l’engouement des femmes pour le sport autour de 1900, alors que pour la première fois certaines participent aux Jeux Olympiques.

Hercule au jardin des Hespérides de Desvallières, restauré et ré-encadré pour l’occasion, domine l’accrochage par sa taille monumentale et témoigne de l’intérêt renouvelé pour le fondateur mythique des Jeux Olympiques et sa plastique de surhomme au moment de la Belle Époque. Ce regain d’intérêt s’inscrit dans une période pendant laquelle l’éducation physique et le culte du corps sont perçues comme des antidotes possibles à la décadence associée à la fin du siècle. L’espoir en une régénération par le sport en partie nourri par le traumatisme de la défaite de la France contre l’Allemagne en 1870 est d’ailleurs au cœur du projet des jeux modernes porté par Pierre de Coubertin. 

Un troisième volet, plus largement dominé par la photographie, s’attache à montrer comment cet art relativement nouveau décrypte et de mesurer l’exploit physique, mais diffuse aussi l’image de ces nouveaux héros que sont les sportifs. 

François Blanchetière : La collection de sculpture permet de prolonger cet accrochage. Certaines œuvres, comme Le Maître d'armes de Bernhard Hoetger (1874-1949), Héraklès d'Antoine Bourdelle (1861-1929) ou encore L'Age d'airain d'Auguste Rodin (1840-1917) font écho à des problématiques connexes à celle du développement des pratiques sportives : le regard sur le corps, l’évolution du canon, des types physiques considérés comme beaux, le symbolisme des grands événements sportifs, etc.

Images
Auguste Rodin, Thiébaut frères
L'Age d'airain, entre 1877 et 1880
Musée d'Orsay
Achat après commande de l'Etat, 1880
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Thierry Ollivier
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Bernhard Hoetger, Eugène Blot
Le Maître d'armes, entre 1901 et 1903
Musée d'Orsay
Achat, 1983
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Adrien Didierjean
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Antoine Bourdelle, Alexis et Eugène Rudier
Héraklès tue les oiseaux du lac Stymphale, 1909
Musée d'Orsay
Achat, 1924
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Adrien Didierjean
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Les réserves contiennent-elles d’autres œuvres sur le sport ? Quelles sont celles que vous avez écartées à regret de la présentation ?

Caroline Corbeau-Parsons : Peu d’œuvres ayant trait au sport autour de 1900 sont dans nos réserves, mais Monet, Sisley et Caillebotte, par exemple, ont peint des scènes de régates ou des parties de bateau plus tôt, dans les années 1870, quand se développent les loisirs. Boudin et Manet ont aussi croqué leurs contemporains goûter aux joies des nouvelles stations balnéaires, mais l’accrochage, pour rester cohérent, se concentre sur cette période plus tardive de la Belle Époque, quand explose la culture du sport.

François Blanchetière : Nous avons dû renoncer à inclure des œuvres importantes, comme le tableau Les Lutteurs d’Alexandre Falguière (1831-1900), parce qu’ils nous étaient demandés en prêt par d’autres musées pour des projets ambitieux que nous voulions soutenir. Ce tableau de Falguière, par exemple, fait l’affiche et la couverture du catalogue de la belle exposition « Colosses ! » du musée Courbet d’Ornans.

Caroline Corbeau-Parsons : La lutte, jugée trop violente en 1900 pour faire partie des Jeux Olympiques, n’était d’ailleurs pas encore reconnue comme un sport à part entière.

Alexandre Falguière
Lutteurs, 1875
Musée d'Orsay
Don Otto Klaus Preis, 1995
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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